Moins d’un mois après la conférence de réconciliation entre le grand Katanga et le grand Kasaï, un forum pour l’unité et la réconciliation des katangais ouvert le 16, s’est clôturé le 19 mai 2022 à Lubumbashi (Haut-Katanga). C’est Mgr Fulgence Muteba Mugalu, archevêque métropolitain de Lubumbashi et président de l’Assemblée épiscopale de la province ecclésiastique de Lubumbashi (ASSEPL) qui en a pris l’initiative. Les participants au nombre de 200 personnalités d’origine katangaise, s’étaient réunis sous le thème «Frères et soeurs un jour, frères et soeurs toujours». Pour les exhorter à plus de cohésion sociale, le prélat avait déclaré dans un point de presse samedi 14 mai 2022 : « il faut absolument que nous puissions entrer dans cette dynamique. Nous n’avons pas de choix que de nous engager à vivre ensemble. Ce forum s’inscrit dans cette dynamique». Puis, un tantinet menaçant, l’archevêque avait ajouté: «celui qui ne répondra pas à cette invitation risque de perdre ses ailes. Nous voulons que les gens enterrent la hache de guerre. Nous n’entendons pas mettre tout le monde dans le même sac. C’est l’unité dans la diversité».
Pour dissiper tout malentendu sur ses propos, l’ecclésiastique a ensuite promis qu’«après le dialogue entre katangais sera initié un dialogue avec tous les autres. Il s’agit d’une initiative citoyenne. Faire baisser la tension, qu’on se parle, qu’on se pardonne car il y a eu mort d’hommes».
Forum apolitique ?
A en croire le n° 1 de l’église catholique dans les 4 provinces du grand Katanga que ses détracteurs disent très proche du candidat à la présidence Moïse Katumbi, le forum du Centre Mgr Jean-Pierre Tafunga n’avait rien de politique. «La politique n’est pas notre apanage, encore moins notre préoccupation primordiale. Je peux vous assurer que nous sommes à l’aise dans cette posture de pasteur et que nous n’avons aucun intérêt à servir une quelconque politique ou à nous ranger derrière un homme politique. Notre démarche n’a donc pas une finalité politique. Il est important de le souligner pour éviter l’amalgame, le mélange de genres et la confusion. Nous sommes tout simplement au service du bien commun, de la dignité de la personne humaine principalement, et katangaise», avait-il souligné à l’ouverture du forum le 17 mai. Sans doute pour rassurer la crème politique très composite de l’ex- Katanga rassemblée à son initiative.
Une tâche qui paraissait aux observateurs, plutôt laborieuse.
En effet, 72 heures auparavant, des médias avaient fait état d’affrontements dans la ville frontalière (avec la Zambie) de Kasumbalesa entre partisans de Moïse Katumbi, dernier gouverneur du grand Katanga, et ceux de l’UDPS du président Tshisekedi, tous deux candidats à la présidentielle de 2023. Des incidents qui auraient eu lieu vendredi 13 mai 2022 alors que la section locale de Ensemble pour la République de Katumbi tenait une réunion de nouveaux adhérents. «Des militants identifiés comme appartenant à l’UDPS, le parti au pouvoir, se sont attaqués aux manifestants, tabassant et blessant certains parmi eux», avait-on lu dans quelques médias locaux. Sur les réseaux sociaux, des vidéos amateurs présentaient des images, plutôt vagues d’affrontements assorties d’uncommentairedénonçant des faits non soutenus par les illustrations ainsi présentées. Et attestant donc d’une volonté politique à l’évidence peu propice à la conciliation. Lesorganisateurs du forum de Lubumbashi assurent pouvoir placer sous éteignoir de telles saillies intercommunautaires. «La joie de vous voir parmi nous est immense et difficile à dissimuler, de voir toutes ces icônes du Katanga, ces personnalités, ces figures de proue qu’on n’a plus vues depuis longtemps. C’est quelque chose de très émouvant. D’entrée de jeu, je voudrais souligner avec force que l’initiative qui nous réunit ici est une éthique. Elle est d’une importance capitale. En effet, pour la première, dans l’histoire contemporaine du Katanga, nous nous retrouvons pour célébrer notre fraternité, c’est-à-dire, célébrer ce qui nous cimente et fait de nous une même famille, la famille katangaise. Aussi, je voudrais insister sur le fait que cette initiative ecclésiastique, pleine de noblesse, fondamentalement est par essence citoyenne et spirituelle. Elle n’a donc rien de politique comme on peut tenter de le croire ou de le faire croire. En dehors de la politique, il y a la vie, dans sa beauté et sa complexité», avait, en effet, martelé Mgr Muteba.
Participants à majorité politiques
Pourtant, les 200 convives du Centre Mgr Jean-Pierre Tafunga étaient, dans leur très grande majorité, des acteurs politiques, à commencer par l’ancien gouverneur, président de Ensemble pour la République et candidat déclaré à la prochaine présidentielle, Moïse Katumbi, aux côtés duquel on voyait la députée Jaynet Désirée Kabila, la soeur jumelle de l’ancien président de la République dont les adeptes annoncent le retour imminent dans la politique active.
Le 17 mai à l’ouverture du forum, tout s’est passé comme si les organisateurs s’étaient arrangé pour placer ces deux personnalités côte à côte dans le but de faire passer un message de réconciliation.
Il y avait là également les anciens premiers ministres Vincent de Paul Lunda Bululu et Sylvestre Ilunga Ilunkamba ; mais également des députés nationaux et provinciaux ainsi que de certains membres du gouvernement.
S’adressant à ce beau monde, Fulgence Muteba leur a rappelé ce qu’ils avaient en commun : l’âme katangaise. «La démarche de l’église est de s’associer et de permettre aux frères et soeurs que vous êtes, politiciens ou non de dialoguer en toute sincérité et dans la vérité et de consolider notre fraternité pour honorer le sang katangais qui coule dans nos veines. Vous êtes là parce-que vous croyez au Katanga, vous êtes là parce-que vous êtes fiers d’être des Katangais et convaincus que malgré le découpage en 4 provinces, l’âme Katangaise est intacte, parce que vous croyez également à la fraternité katangaise, à l’hospitalité du Katanga, à la force du vivre-ensemble, à la force politique et économique du Katanga. Vous êtes enfin là parce-que vous êtes convaincu qu’un Katanga scandale géologique n’est pas un vain slogan mais une réalité qui peut booster notre économie et hisser la République Démocratique du Congo, notre pays parmi les nations les plus puissantes au monde», avait déclaré l’évêque, sur un ton de prédication.
Différence katangaise
Si l’intention de l’archevêque de Lubumbashi était de concilier les katangais pour préparer leur réconciliation avec le reste de la nation, son sermon à l’ouverture des assises laissait transparaître plutôt l’inverse. A la fois parce qu’il exaltait la «différence katangaise» et se révélait nostalgique du ‘‘grand Katanga’’ dont le démembrement est parfois reproché à l’ancien président nationaliste Joseph Kabila.
Mercredi 18 mai, les travaux du forum étaient consacrés à l’épineux problème de la «rupture entre les Katangais», en attendant d’aborder la question de la «renaissance du Katanga», jeudi 19 mai, jour de la clôture des assises. «Comme si la rencontre poursuivait l’objectif de consacrer uniquement la différence entre le peuple katangais et les autres peuples qui vivent au Katanga», selon le commentaire d’un internaute posté mercredi 18 mai 2022. Ce faisant, le forum de Lubumbashi a prêté le flanc aux dénonciations de repli identitaire, entre autres.
On rappelle à cet effet que Mgr Fulgence Muteba, initiateur du forum est lui-même beaucoup trop engagé politiquement, pour prétendre réconcilier les katangais des différentes tendances socio-politiques. Nommé par le Pape François à la tête de l’archidiocèse de Lubumbashi le 22 mai 2021 après avoir dirigé le diocèse de Kilwa-Kasenga où il s’était révélé comme un soutien indéfectible de Moïse Katumbi aussi bien qu’un adversaire acharné de l’alors président de la République, Joseph Kabila, ce prélat est notoirement «le plus grand bénéficiaire des largesses du richissime homme d’affaires katangais», confiait, début 2018, un diplomate européen en place à Kinshasa.
Il s’était particulièrement illustré dans l’affaire dite des mercenaires qui provoqua le départ en exil de l’ancien gouverneur du Katanga. «C’est du grand n’importe quoi. Il n’y a rien. J’ai des prêtres qui circulent sur tout le territoire et je peux vous dire que nous serions au courant si quelque chose se tramait. Je vous le dis en toute sincérité et la main sur le coeur, il n’y a ni rebelles, ni camp d’entraînement. Ce sont des bruits dangereux que font courir certains dignitaires du pouvoir pour nuire à leur adversaire Qui veut noyer son chien, l’accuse de rage», déclara-t-il à l’époque aux médias. Avant de se lancer dans une véritable croisade anti-Kabila dans diverses capitales occidentales.
Dimanche 14 janvier 2018 à l’église Notre Dame de Jette à Bruxelles, Mgr Muteba avait concélébré avec un groupe de prêtres un «culte en mémoire des morts du 31 décembre 2017» au cours duquel il avait déclaré que «même pendant la guerre la plus atroce, on ne bombarde pas les églises, on ne bombarde pas les hôpitaux». Moïse Katumbi était présent en cette circonstance.
Mgr Muteba, l’anti-Kabila
Quelques mois après sa nomination en qualité d’évêque métropolitain de Lubumbashi, Fulgence Muteba a manifesté son attachement à la cause katangaise en se rendant à la prison de Kasapa pour y consoler le pasteur Daniel Ngoy Mulunda condamné pour incitation au tribalisme.
Le 19 janvier 2022, il avait décrié en des termes durs la dispersion d’une manifestation organisée par des groupes de la société civile et des partis politiques de l’opposition réclamant la libération de Ngoy Mulunda. «Je condamne vigoureusement l’usage intentionnel, délibérément disproportionné, de la force répressive. Tout bien considéré, le recours à la force et à la violence constitue une violation flagrante et intentionnelle du droit de manifester pacifiquement reconnu à la fois par la Charte des Nations Unies et par la Constitution de notre pays, la RDC», avait-il lancé dans un communiqué, ajoutant que «considérant la gravité des incident, je demande qu’une enquête soit diligentée et que, pour servir de leçon, au nom du droit et de la justice, les coupables soient déférés devant les Cours et Tribunaux pour répondre de leurs actes. Aussi j’invite les autorités publiques du Haut- Katanga à tout mettre en oeuvre pour ne pas entraver la quête inlassable du Bien commun et le ‘‘vivre ensemble’’, si précieux et si indispensables pour la paix, le bien-être et le développement dans notre chère province, en particulier dans la ville ‘‘sensible’’ de Lubumbashi».
Pour plusieurs observateurs, les sentiers de la réconciliation ouverts par Mgr Fulgence Muteba ne peuvent être qu’étroits et viciés. C’est le point de vue du célèbre colonel Eddy Kapend, ancien aide de camp du défunt président Laurent-Désiré Kabila le 17 mai 2022 au cours d’un point de presse lors de la journée commémorative de l’entrée des troupes de l’AFDL à Kinshasa en 1997. « J’aurais souhaité qu’au forum de Lubumbashi, les participants reconnaissent d’abord qu’ils ont divisé la province», a déclaré Eddy Kapend. Avant de traiter cette réconciliation des katangais de «foutaise de nature à compromettre l’unité nationale». Selon ce dignitaire katangais, «s’il doit y avoir réconciliation, c’est entre les politiciens et le peuple. Ce peuple a faim. Les politiciens ont plusieurs mécanismes de réconciliation, à l’instar du parlement. La rencontre de Lubumbashi n’a rien d’une réconciliation».
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Me Claudel Tshikamba, un avocat katangais partage cet avis lorsqu’il déclare à la presse que «la réconciliation entre les politiciens divisés par des intérêts privés ne concerne pas la population».
Volonté de puissance régionale
A Lubumbashi, les observateurs s’accordent à reconnaître que les assises du Centre Jean- Pierre Tafunga concourent donc plutôt à l’affirmation d’une sorte de volonté de puissance katangaise. «L’espace Katanga veut accroître son influence et sa position en RDC», ont affiché des confrères mercredi 18 mai 2022, 24 heures après l’ouverture des travaux, les organisateurs s’étant clairement assignés l’objectif de «jeter les ponts de la collaboration politique et économique entre les quatre provinces issues du Katanga démembré ; renforcer les mécanismes de l’identité katangaise à vivre et à léguer aux générations futures ; définir les intérêts du peuple katangais et des populations vivant au Katanga en vue du développement à partir des richesses du sol et du sous-sol …». Le tout étant à couler dans des «résolutions qui permettent à l’espace Grand Katanga d’accroître son influence et de consolider sa position en RDC».
De principes ou mécanismes de réconciliation, il n’y en a donc pas eu beaucoup au forum de Lubumbashi. Il aura plutôt été question de taire les divergences au nom d’une volonté de puissance provinciale pour ne pas dire ‘‘régionale’’. Pourvu que ce forum ne se révèle pas «une tentative de coalition des notables katangais autour d’un leader qui porterait les idéaux défendus par les leaders sécessionnistes des années ’60, et exhumés par certaines héritières et héritiers de ces convictions rétrogrades», ainsi que le note un internaute.
JN