Mardi 10 mai 2022, la Cour constitutionnelle a procédé au tirage au sort d’un membre dans chacun des trois groupes qui la composent, suscitant une polémique qui semble encore loin de s’estomper. D’autant plus qu’au terme de cet exercice, pourtant prévu par les lois et textes légaux qui régissent le fonctionnement de la plus haute instance judiciaire du pays, deux juges dont le président de la Cour, Dieudonné Kaluba, ont perdu leurs sièges.
Si les commentaires vont dans tous les sens, comme c’est souvent le cas dans l’opinion et dans le microcosme politique en RDC, nombreux parmi eux pointent du doigt le président de la République et à ce titre, magistrat suprême du pays, Félix Tshisekedi. Qui, en déclenchant cette opération, aurait voulu se débarrasser de l’un ou de l’autre membre de la haute cour. Particulièrement de son président, l’avocat et professeur d’université Dieudonné Kaluba, nommé il y a un an en remplacement de François Lwamba Bindu, démissionnaire.
Dans l’opinion, un communiqué de la Cour constitutionnelle publié le 9 mai 2022 du François Aundja Issia wa Bosolo semblait conforter la thèse d’une manoeuvre présidentielle pour renouveler la composition de la haute Cour en ce qu’il indiquait que l’initiative de l’opération émanait de son cabinet. «Suite aux instructions de son excellence monsieur le président de la République, chef de l’Etat, me parvenues par le biais de son directeur de cabinet suivant sa lettre n° 1028/ 05/ 2022 du 06 mai 2022, que conformément aux dispositions des articles 158 alinéa 4 de la constitution et 6 alinéa 2 de la loi organique n° 03/ 026 du 15 octobre 2013, qu’il sera procédé au tirage au sort d’un membre par groupe le mardi 10 mai courant à 10h30′ dans la salle d’audiences», peut-on, en effet, lire dans le dit communiqué de ce greffier de la haute cour.
Initiative présidentielle
Dans les médias et sur les réseaux sociaux, une information de nos confrères de Jeune Afrique annonçant que «Félix Tshisekedi veut remplacer Dieudonné Kaluba à la Cour constitutionnelle» a tôt fait de devenir virale et d’orienter les commentaires en sens divers, d’autant plus qu’elle semblait provenir de l’entourage du président sorti de la haute Cour Dieudonné Kaluba.
LaurentOnyemba, unjeune avocat récemment nommé chargé de la communication de Moïse Katumbi Chapwe, ancien gouverneur du Katanga qui vise le top job en RDC, compte parmi les premiers à avoir dégainé en direction du Palais de la nation, le cabinet de Félix Tshisekedi. «Le tirage au sort de ce mardi à la Cour constitutionnelle n’a aucun soubassement juridique. C’est un coup d’Etat constitutionnel qui intervient après la démission des juges Esambo et Banyaku, le départ du juge Vundwawe, l’éviction des juges Ubulu et Kilomba», a-t-il rageusement griffonné dans un tweet mardi matin. Tandis qu’Hervé Diakiese, un autre juriste de la constellation katumbiste soutient que «le tirage au sort de ce jour constitue un casus belli juridicum» parcequ’ilnerépond pas à la question de savoir si «le président de la Cour qui tire son mandat de ses pairs pour une durée supérieure à la vacance qu’il comblait est concerné par cet exercice».
Du côté de l’opposition FCC de l’ancienprésidentJoseph Kabila, Patrick Nkanga, rapporteur du bureau politique du PPRD a expliqué aux médias que «la Cour constitutionnelle, la plus haute instance judiciaire de la République, dont la composition actuelle procède du péché, va bientôt mourir dans le péché. Ainsi, le délitement de l’Etat et des institutions de la République poursuit son chemin aisément ».
Commentaires intéressés
Et, c’est dans les mêmes eaux contestatrices et dénonciatrices que s’empêtrent les propos du député national et avocat Delly Sessanga, qui lui aussi s’estfendue d’une longue diatribe au sujet du tirage au sort du mardi dernier. Sur sa page facebook mais aussi sur son compte twitter, cet élu du Kasaï Central écrit : «les changements orchestrés ce jour à la Cour constitutionnelle me rappellent cette réflexion de J. Rostand : ‘Il est affreux de voir reveniravecdescouleursd’avenir tout ce qu’on détestait dans le passé. Quel gâchis de voir ainsi défigurée notre oeuvre commune pour un Etat de droit». Sessanga semontreplustranchant encore contre le pouvoir en place : «lorsqu’un pouvoir n’a plus de limite que le miroir de ses propres lubies ; qu’en fait d’exercice de l’autorité, il n’aspire à ne jamais rencontrer d’obstacle que le fond de l’imagination de sa propre volonté : voilà une dictature dans sonprincipe. Untelrégimemérite une totale réprobation et doit être par conséquent combattu dans son principe par tous les démocrates».
En tirant aussi bruyamment sur le pouvoir tshisekediste, Sessanga avait quelque peu oublié ses précédentes prises de position sur les procédures de renouvellement de la Cour constitutionnelle. Desinternautes, décontenancésparlerevirement de ces propos, le lui ont rappelé. Le 20 avril 2021, en effet, c’est le même Sessanga qui assurait dans un tweet que «le respect scrupuleux des procédures de changement de ses (de la Cour constitutionnelle, ndlr) membres est un élément de sa légitimité, le tirage au sort un dispositif clé de son indépendance. Le bricolage et échafaudage instauré depuis 2016 en lieu et place du tirage au sort ont fait perdre à la cour sa régularité et compromis son statut. L’avènement d’une cour constitutionnelle indépendante pour garantir l’Etat de droit reste encore une conquête à entreprendre».
Conjectures diverses
On s’y perd en conjectures. D’autresjuristes, manifestement moins engagés politiquement ont néanmoinsjugéla procédure mise en oeuvre à la haute Cour tout à fait légale. A l’instar du professeur de droit et député national Sam Bokolombe Batuli pour qui «le renouvellement tertiaire de la Cour constitutionnelle est une procédure normale. A priori, rien n’indique qu’il inférerait la volonté du président de la République d’évincer le professeur Dieudonné Kaluba de son poste. C’est, certes, vrai qu’un tel étalon ne peut que déranger dans et en dehors du sérail».
Plus explicite sur lesujet, Me Willy Wengaatempéré moultardeurs contestataires sur Top Congo FM en rappelant le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle qui stipule que tous les trois ans la Cour renouvelle d’un tiers de ses membres par tirage au sort et que ce tirage s’effectue pour un membre de chacundestroisgroupesdésignés par la présidence de la République, le parlement et le conseil supérieur de la magistrature. Ça, c’est pour la théorie.
Le sort du président
Dans la pratique, le décès de deux de ses juges a dispensé la haute Cour de l’exercice du tirage au sort pour se délester de ses membres en 2018 ; idem en 2021, parce que la démission et le limogeage de deux juges ont encore une fois dispensé la haute Cour du tirage au sort pour se renouveler. «S’agissant du président de la Cour constitutionnelle, il a été élu par ses pairs pour parachever le mandat de son prédécesseur, et a encore le droit de demeurer juge à la Cour, s’il n’est pas frappé par le tirage au sort», précise cet avocat au barreau de Kinshasa/Gombe.
C’estcequiestadvenu. Auterme du tirage au sort organisé mardi 10 mai 2022, le président de la haute Cour, Dieudonné Kaluba, et le juge Evariste-Prince Funga ont fait les frais de la procédure de renouvellement. Non sans rechigner, le cabinet Dieudonné Kaluba ayant qualifié la procédure d’illégale à l’avance. Même si, selon un communiqué de l’ONG ACAJ publié le 11 mai 2022, «la procédure du tirage au sort de deux juges s’est déroulée dans la transparence et en harmonie avec l’article 158 alinéa 4 et l’article 6 alinéa 2 de la loi organique de ladite Cour».
Le dossier Matata
Dans les médias etsur les réseaux sociaux, des relais proches de l’ancien 1er ministre Matata Ponyo sur qui pèse des soupçons de détournement de plus de 250 millions USD destinés au financement du Parc agro-industriel de Bukanza-Lonzo se sont empressés de lier le départ de Dieudonné Kaluba aux poursuites à engager contre leur champion. C’est ce qu’assure en substance Christophe Rigaud, un journaliste proche de tous les milieux de l’opposition en RDC depuis la fin de la décennie ’90. «Tirage au sort à la cour constitutionnelle : le président Dieudonné Kaluba Dibwa, ainsi qu’Evariste-Prince Funga Molima ont été remplacés. En cause, la décision de la cour de ne pas juger l’ancien premier ministre Matata», écrit-il. Ce à quoi le principal concerné, accusé d’avoir corrompu le haut magistrat, acrudevoir répondre. «Je n’ai jamais corrompu le professeur Kaluba pour orienter la décision de la cour sur le dossier Bukangalonzo. Les juges de la cour ont dit le bon droit et ont clos définitivement toutes les poursuites à mon endroit. Honneur à ce professeur d’université qui a refusé de dire le droit politique», a déclaré Augustin Matata dans untweet, mercredi 11 mai 2022. Sans vraiment parvenir à dissiper son ombre qui n’en plane pas moins sur le tirage au sort du mardi 10 mai.