Les 14 groupes parlementaires de l’Assemblée nationale sont occupés à préparer leurs contributions respectives à la loi électorale appelée à encadrer le 4ème cycle des élections générales prévues pour fin 2023.
Parmi les points chauds en débat à ce sujet figure notamment le verrouillage ou non de l’accès aux fonctions dites régaliennes ou de souveraineté dans le cadre de cette nouvelle législation.
On peut rappeler à ce sujet la polémique qui a enflé tout au long de ces dernières années entre les partisans d’un tel verrouillage et les adeptes d’une non-limitation de l’accès à toutes les fonctions dirigeantes de l’Etat en RDC.
Après que le candidat malheureux à l’élection présidentielle de décembre 2018, Nöel Tshiani Mwadiamvita eût alerté sur le danger d’infiltration d’influenceurs étrangers au sommet de l’appareil d’Etat en proposant que certaines fonctions régaliennes (président de la République, 1er ministre, ministres de la Défense, de l’Intérieur, etc.) soient exclusivement réservées aux seuls Congolais nés de père et de mère eux-mêmes Congolais.
Cette proposition sponsorisée par le député national Nsingi Pululu a soulevé une levée de boucliers de la part notamment des sympathisants du parti Ensemble pour la République de l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi. Ces derniers estiment en effet que c’est une proposition discriminatoire visant à faire échec aux ambitions pour le top job de leur mentor né de père juif italien et de mère zambienne. Ce à quoi ceux qui soutiennent la thèse du verrouillage rétorquent qu’il est tendancieux de vouloir ainsi ramener à un individu les motivations d’une initiative législative qui n’est pas inédite dans le continent africain et à travers le monde. «En Zambie, la constitution en vigueur limite l’accès à la présidence de la République aux seuls citoyens zambiens de père et de mère eux-mêmes zambiens. Il en est de même au Cameroun et en Egypte sans que cela ne puisse prêter à ce genre de victimisation car il s’agit simplement de la protection des Intérêts Nationaux», déclare à ce sujet un professeur de droit public de l’Université de Kinshasa approché par nos rédactions.
Intérêts Nationaux en jeu
Le député national Lambert Mende Omalanga est aussi de ce dernier avis. «Dans l’intérêt supérieur de la nation, il nous revient le devoir dans le travail législatif que nous élaborons en notre qualité d’élus du peuple, d’assumer les conséquences des dysfonctionnements qui caractérisent souvent nos institutions et d’y pallier efficacement sans nous laisser distraire par des considérations partisanes», affirme-t-il.
A l’appui de son argumentaire, le lumumbiste Mende évoque la nécessité de gérer au mieux les conséquences dramatiques de «ce choc entre le pot de terre et le pot de fer qu’a été le colonialisme dont nous ne parvenons toujours pas à nous dépêtrer. Il est clair que c’est notre faiblesse face aux manipulations étrangères qui est à la base de l’impuissance de la plupart de nos institutions publiques et de l’incapacité de notre pays à prendre son envol vers l’émergence». Justifiant la nécessité de scruter avec la plus grande rigueur les conditions d’accès aux fonctions régaliennes, c’est-à-dire celles dont l’exercice permet à ceux ou celles qui les détiennent d’influencer de manière déterminante dans la vie nationale, il propose un amendement à l’article 103 de la loi électorale en discussion portant sur les conditions d’éligibilité du président de la République.
Lambert Mende illustre son propos par la ‘‘bombe’’ que fut pour le Liban la démission spectaculaire et inattendue de M. Saad Hariri de ses fonctions de 1er ministre de ce pays en 2017. «Le 1er ministre Hariri était en mission officielle pour son pays, le Liban, à Ryad en Arabie Saoudite, pays d’origine de sa mère, Mme Nida Bustani, où il était né et dont il détenait aussi la nationalité. Les dirigeants saoudiens qui étaient en conflit le Liban, pays de son père dont il était lui-même le 1er ministre détenteur des pleins pouvoirs conformément à la constitution libanaise, le convainquirent de démissionner pour faire pression sur le pays dont il dirigeait le gouvernement», rappelle Mende en substance sans aller dans les détails de cet événement qui met en relief la problématique du lien pouvant exister entre la transnationalité des dirigeants au niveau le plus élevé d’un État et les impératifs de la défense de la souveraineté nationale.
«Ce fait à lui tout seul devrait disposer le législateur congolais à réfléchir sur les risques de l’écartèlement que pareille dichotomie existentielle peut faire courir à un pays aussi fragile et aussi convoité que la RDC. Il me paraît mal avisé de le balayer du revers de la main par un conformisme ou un mimétisme de mauvais aloi», martèle-t-il. Et d’ajouter qu’au regard du caractère cosmopolite de la RDC et de certaines des familles congolaises, «on ne peut pas refuser aux bi nationaux d’avoir voix au chapitre dans ce pays qui est aussi le leur. Mais, s’agissant de la plus haute fonction régalienne, celle de président de la République, nous devrions nous astreindre à la plus grande prudence car il s’agit du pilotage au niveau le plus élevé des intérêts existentiels de la Nation», soutient-il.
En d’autres mots, l’élu de Lodja (Sankuru) plaide pour une loi électorale en vertu de laquelle les bi nationaux pourraient accéder à toutes les responsabilités publiques à l’exception de la plus régalienne d’entre elles, celle de président de la République compte tenu de son importance stratégique et des pouvoirs exorbitants qui y sont attachés.
«C’est une façon comme une autre de rompre avec la malédiction dans laquelle nous maintiennent depuis l’État Indépendant du Congo léopoldien ceux qui de l’extérieur ont accaparé par la force ou la ruse le pouvoir définitoire de la gouvernance en réduisant la RDC au rang peu enviable de terrain de déploiement de leurs enjeux. Il faut donc détricoter l’extraversion caricaturale de la pensée et de la praxis politique dans notre pays en mettant la fonction de président de la République à l’abri des risques des allégeances partagées par l’amendement de l’article 103 en y ajoutant une incise précisant que seuls les Congolais de père et de mère eux-mêmes Congolais peuvent être candidats à l’élection présidentielle», conclut-il.
JP E. MUKUNA