Si l’opinion publique avait besoin d’une victime expiatoire pour expurger les frustrations consécutives à la vie chère, elle a été servie le mercredi 30 mars dernier par la destitution spectaculaire du ministre de l’Economie par l’Assemblée nationale. Au cours d’un vote sans appel, 277 députés nationaux s’étaient exprimés en faveur de la motion de déchéance initiée par leur collègue UNC Crispin Mbindule, 199 contre et 12 abstentions. Plusieurs personnalités politiques ont salué cette vitalité démocratique jamais observée auparavant, à l’instar du député national Eliezer Ntambwe pour qui «l’époque où une autorité morale dictait l’expression du suffrage des élus est totalement révolue». Certains ont préféré y percevoir des signaux des rivalités rampantes au sein de l’Union sacrée où la suprématie de Modeste Bahati, président de l’AFDC-A dont le ministre sanctionné Jean- Marie Kalumba est membre, serait de plus en plus remise en question.
Quoi qu’il en soit, la destitution du ministre de l’Economie nationale est dans l’ordre des choses dans la mesure où la grogne populaire qui enfle à cause de la précarité amplifiée par la hausse des prix des biens de première nécessité ne pouvait que trouver un écho favorable auprès de la représentation nationale.
Les péchés de Jean-Marie Kalumba
Les députés nationaux qui ont pris la parole à la tribune de l’hémicycle du Palais du peuple n’ont pas épargné l’accusé. Sur la sellette, Kalumba a été tour à tour accusé d’avoir manipulé des mineurs avec des billets de 100 USD, d’avoir signé au mois d’août 2021 avec les opérateurs économiques un accord sur la réduction des denrées alimentaires à hauteur de 30% jamais concrétisée, d’avoir supplanté les commerçants en important pour plus de six millions de dollars des produits surgelés au mois de décembre 2021, au lieu d’acheter au même prix des navires de pêche qui auraient pu booster la production locale, etc.
Bref, Jean-Marie Kalumba a été victime de la flambée des prix des biens sur le marché que l’ensemble du gouvernement des ‘’Warriors’’ peine à contenir. L’économie étant un domaine transversal et les décisions pour lesquelles le ministre de l’Economie a été guillotiné ayant été validées en conseil des ministres, la réaction du gouvernement en rapport avec la déchéance d’un de ses membres peine à convaincre. Aussitôt les résultats du vote annoncés, Patrick Muyaya a publié un communiqué au nom du gouvernement pour prendre acte de la décision de la représentation nationale, et surtout insister sur le fait que le ministre destitué «a été visé à titre individuel». Un autre communiqué de la primature est tombé dans la foulée indiquant que le 1er ministre Sama Lukonde prendrait dans la semaine «des mesures urgentes pour calmer la spéculation qui tend à se mettre en branle au niveau des marchés depuis plusieurs semaines».
S’attaquer aux vraies causes
Il est évident que l’éjection du ministre AFDC de l’Economie du gouvernement est le fruit d’un consensus au sein même de la famille politique du chef de l’Etat, l’Union sacrée de la nation. Seul devant la fureur des élus nationaux, le sort de Jean-Marie Kalumba semblait déjà scellé avant même qu’il n’aligne ses moyens de défense. Mais ce n’est pas en cassant le thermomètre que le gouvernement et l’Assemblée nationale vont faire baisser la fièvre sociale. Il sera difficile d’expliquer que le budget de l’Etat a été doublé au rythme de l’accroissement des recettes occasionné par la peur du gendarme inspirée par l’Inspection générale des Finances, et qu’en même temps les prix ne font que s’envoler pendant que les grèves se généralisent et que certains commis de l’Etat tels que les députés et ministres provinciaux comptent plusieurs mois d’arriérés de salaire.
A tout le moins, dans un effort palpable d’encadrement des prix des produits de première nécessité, le gouvernement se doit de révéler les causes structurelles de la surchauffe observée sur le marché avant d’envisager une thérapeutique de choc. Economiste, fiscaliste expérimenté et professeur des Universités, le président de l’Assemblée provinciale de Kinshasa Godé Mpoy Kadima prévenait à cet égard que «les questions de prix ne se règlent jamais par voie de décret et d’arrêté. Ce sont des questions qui obéissent aux forces du marché, en l’occurrence la loi de l’offre et de la demande». Des notions basiques d’économie politique qu’il fallait rappeler à un gouvernement visiblement occupé à prendre les vessies pour les lanternes. Et Godé Mpoy de revenir à la charge : «en date du 10 septembre 2021, j’attirais l’attention du gouvernement sur le risque qu’il prenait en se substituant aux commerçants des surgelés. Depuis lors, la FEC n’importe presque plus et nous vivons la crise du fret. Le 1er ministre doit rouvrir les débats avec la FEC et laisser les forces du marché interagir… Le commerce est une culture qui se construit et l’économie est une science architectonique».
L’heure du changement a sonné
Les politiques publiques à mener pour améliorer le pouvoir d’achat des Congolais en cette année pré-électorale requièrent un maximum de leadership managérial au sein de l’exécutif. Ce n’est tout de même pas la même équipe gouvernementale, qui avalisait les décisions prises par le ministre de l’Economie destitué sur la foi de différents comptes rendus des conseils des ministres, qui pourrait être à la hauteur d’un tel défi. Surtout que plusieurs spécialistes tel que le professeur Daniel Mukoko Samba annoncent des jours plus difficiles pour notre économie extravertie, dans un contexte international dominé par la résurgence de la guerre froide et par la guerre en Ukraine. L’autarcie de l’Ukraine et de la Russie qui contribuent à hauteur de 30% de céréales consommés sur la planète et de la moitié des énergies fossiles utilisée par l’Union européenne ainsi que l’effort de guerre consenti par l’OTAN et la Russie vont créer une crise économique mondiale qui va «réverbérer à coup sûr sur nos performances économiques nationales», alerte Mukoko Samba. Pour être cohérent, le gouvernement Sama Lukonde dont le bilan économiqueestdéjàfamélique devrait normalement subir un profond remaniement à défaut d’être totalement défait. C’est dans tous les cas la seule suite logique à donner au désaveu du ministre de l’économie qui sonne comme un rejet du cabinet Sama dont il pilotait la politique de la balance des prix.
JBD