Pas besoin d’être expert en casuistique constitutionnelle pour sonder la téléologie politicienne de l’esbroufe du député national de Luiza qui, dans un élan magistral, a annoncé avoir mis une sourdine à sa demande d’examen, par la plénière de l’Assemblée nationale, d’une pétition en faveur de la révision de la Constitution. Pour mieux cerner la stratégie holistique dans laquelle s’inscrit l’action de l’honorable Delly Sessanga, opportunément sorti de sa réserve depuis sa prise de bec avec le président de l’Assemblée nationale qu’il taxa de ‘’voyou’’ pour une broutille, il sied de revenir sur les prémisses ayant présidé à l’avènement de la troisième République.
La Constitution du 18 février 2006 en vigueur avait été conçue comme une sorte d’armistice destinée à permettre aux belligérants de troquer définitivement leurs treillis contre les costumes d’hommes politiques policés. Si, pendant le règne passé d’un de ces anciens belligérants, toute velléité de révision ou de changement de la Constitution ne pouvait que susciter des suspicions légitimes, la méfiance devrait normalement fondre comme beurre au soleil après l’accession d’un démocrate pur jus au pouvoir, qui du reste est issu de la légendaire opposition politique non violente longtemps incarnée par feu le Docteur Etienne Tshisekedi wa Mulumba.
Sentant venir l’impérieuse nécessité d’adapter la loi fondamentale à l’évolution politique et institutionnelle du pays, l’actuelle opposition parlementaire, en dépit du fait qu’elle avait fait feu de tout bois pour obtenir une révision constitutionnelle tendant à réhabiliter le deuxième tour de la présidentielle, bat ainsi en retraite contre toute attente. Pendant que leur proposition de révision constitutionnelle était placée en ordre utile du calendrier de la session en cours, son initiateur, Delly Sessanga Hipungu, a choisi de se rétracter d’une manière inattendue. A la surprise générale, il a pris de court l’Assemblée nationale en retirant sa copie. « J’ai demandé et obtenu de l’Assemblée nationale la suspension du débat sur la pétition de l’Envol RD-Congo sur la révision de la Constitution, en attendant la levée de l’état de siège. Car en vertu de l’article 219 de la Constitution, aucune révision ne peut intervenir pendant l’état de siège », a-t-il soutenu, non sans malice.
Anguille sous roche
Malgré l’angélisme que Delly Sessanga a affiché en la circonstance, celle-ci sonne comme une fuite en avant d’une opposition en perte de repères qui joue la montre, en espérant ainsi empêcher toute initiative légitime de révision ou de changement de la Constitution par la majorité. Les opposants savent pertinemment que le président de la République avait levé l’option de maintenir l’état de siège jusqu’au retour définitif de la paix dans les deux provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Aussi tentent-ils, par des manoeuvres dilatoires, de prendre la majorité au mot en étouffant dans l’oeuf toute possibilité de redimensionnement justifié de la constitution.
Il n’est pas exclu que dans les prochaines heures, la majorité parlementaire prenne conscience qu’on vient de lui couper l’herbe sous les pieds. Car au fond, Sessanga fait sciemment une lecture biaisée et orientée de cet article 219 de la Constitution. Les termes dudit article n’ont pourtant aucune équivocité : « aucune révision ne peut intervenir pendant l’état de guerre, l’état d’urgence ou l’état de siège, ni pendant l’intérim à la présidence de la République, ni lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat se trouvent empêchés de se réunir librement ».
Il appert clairement que Delly Sessanga fait délibérément un raccordement frauduleux comme s’il ne savait pas que l’état de siège ‘‘partiel’’ en vigueur actuellement n’empêche en rien le fonctionnement ‘’normal’’ des institutions. L’Assemblée nationale et le Sénat n’ont aucun souci pour se réunir ‘’librement’’. De sa conception par le président de la République à son entérinement par les deux chambres, l’état de siège en vigueur a été prudemment circonscrit dans 2 provinces sur les 26 que compte la RDC. On est donc loin de l’état de siège total et global dont parle l’article 219 de la constitution. A titre illustratif, n’a-t-on pas organisé en 2018 des élections sur l’ensemble du territoire national, sans le Grand Nord-Kivu, en raison d’une insécurité grandissante ? « Si l’on devait s’en tenir à la logique mise en avant par l’honorable Sessanga, c’est comme s’il fallait empêcher un pays comme le Sénégal d’arrêter le métabolisme constitutionnel de son exemplaire processus démocratique à cause de la guerre en Casamance », persifle un constitutionnaliste de l’Université de Kinshasa.
Et si boshab avait raison ?
Pourquoi par ailleurs ne pas remettre au goût du jour le débat suscité par l’éminent constitutionnaliste Evariste Boshab, qui avait publié en 2013, aux éditions Larcier un ouvrage malencontreusement chahuté intitulé Entre la révision de la Constitution et l’inanition de la nation ? Il est vrai qu’à l’époque, la sortie de cet ouvrage avait suscité moult appréhensionsdans l’opposition qui pensait que cette éminence grise du régime de Kabila faisait ainsi le lit d’un changement de la Constitution aux fins d’octroyer un troisième mandatàl’ancienprésident de la République. Or, une lecture diagonale guidée de ce livre suggère plutôt qu’une Constitution figée, ne s’adaptant pas aux exigences de progrès de la communauté nationale qu’elle régente, peut être un facteur de déliquescence d’un Etat. Il serait temps que le député national André Mbata Mangu un autre constitutionnaliste qui préside la commission PAJ de l’Assemblée nationale, prenne la tête d’une autre lecture à nouveaux frais de la loi fondamentale qui mérite un examen toujours approfondi et sans préjugés.
JBD