Entre Kampala et Kigali, deux anciens alliés dans l’agression de la RDC vers la fin des années ’80, la brouille qui a duré près de trois ans, en raison de l’entêtement de Kigali et de Paul Kagame principalement est en passe d’être résorbée. Fermée à l’initiative de Kigali en raison de vagues soupçons de soutien de Kampala aux mouvements armés hostiles au régime de Paul Kagame, le poste frontalier de Gatuna-Katuna entre les deux pays a été rouvert le 31 janvier 2022 à minuit, après trois années de fermeture au grand dam de Kampala. Parce que pour la seule année 2018, les exportations ougandaises vers le Rwanda représentaient plus de 211 millions USD alors qu’elles s’établissaient à 13 millions USD de marchandises vers l’Ouganda, selon la Banque Mondiale.
Le président ougandais a néanmoins trouvé la parade à cette perte commerciale en se tournant vers son voisin congolais, Félix-Antoine Tshisekedi. Au terme de négociations demeurées discrètes depuis 2019, les deux chefs d’Etat se sont rencontrés le 16 juin 2021 à la frontière entre les deux pays à Kasindi, pour y lancer des travaux de rénovation des routes d’intérêts commerciaux communs. «Au lieu de construire des murs entre nous, il vaut construire des ponts et cette initiative est vraiment un exemple de ce que nous devons multiplier comme échanges entre nos deux pays et nos deux peuples», avait déclaré le chef de l’Etat de la RDC, se réjouissant de l’initiative prise par son collègue de l’Ouganda.
Réchauffement avec la RDC
Kampala s’engageait ainsi à rénover les axes routiers Mpondwe (Ouganda) – Beni (RDC), 84 km ; Beni (RDC) – Butembo (RDC), 54 km ; Bunagana (RDC) – Rutshuru (RDC) – Goma (RDC), 94 km. Le financement du projet s’inscrivant dans le cadre d’un partenariat public-privé impliquant l’intervention d’une société indienne basée en Ouganda chargée de financer les travaux à hauteur de 60 %, contre 20 % pour l’Ouganda et 20 autres pour la RDC.
L’intérêt commercial de ce projet de rénovation routière était manifeste, pour Kampala particulièrement, qui tient ainsi à écouler ses produits commerciaux vers les grandes villes de la RDC. Des matériaux de construction et des produits manufacturés, essentiellement. Kinshasa pouvant en profiter de son côté pour exporter ses nombreux produits agricoles, dont le thé, le café et le cacao ainsi que le bois déjà abondamment exporté en circuits parallèles.
L’autre intérêt du projet de rénovation routière ougando-congolais, et pas des moindres, est sécuritaire, notamment sur l’axe Beni-Kasindi où des embuscades des rebelles ADF contre les véhicules des commerçants sont courants. Fin novembre 2021, Kinshasa et Kampala sont passés à la vitesse supérieure en lançant des opérations militaires conjointes contre ces rebelles ougandais et les milices congolaises qui écument les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri depuis quelques décennies.
Des statistiques de la Bank of Uganda du mois de janvier 2022 indiquent que les exportations du pays à destination de la RDC se sont établies à 74,3 millions USD, contre 29,9 millions USD en décembre de l’année précédente. Ce qui représente un bond de près de 44 % faisant du voisin congolais la première destination des exportations ougandaises vers les Etats d’Afrique de l’Est et du COMESA, rapporte Ecofin. La RDC supplantant de ce fait les partenaires commerciaux traditionnels de Kampala (Kenya, Tanzanie, Rwanda).
Normalisation avec le Rwanda
A l’évidence, le rapprochement entre l’Ouganda et la RDC contraignait Kagame et le Rwanda à l’isolement dans la région. Les observateurs voient dans la réouverture soudaine du poste frontalier de Gatuna-Katuna fin janvier dernier, une tentative de retour en grâce de Kagame auprès de son ancien allié, Museveni. Même s’il ne faut pas négliger le rôle déterminant joué par le Lieutenant-Général Muhoozi Kainerugaba, ci-devant fils aîné du n° 1 ougandais. Le jeune officier général jouant de plus en plus un rôle d’envoyé spécial de Yoweri Museveni auprès de ses pairs de la région, au Kenya et au Rwanda notamment.
4 jours avant la réouverture du poste frontalier de Gatuna-Katuna le 31 janvier dernier, Muhoozi Kainerugaba, qui appelle Paul Kagame «Tonton» en souvenir du passé militaire commun entre son père et lui, s’était rendu à Kigali. Le fils Museveni avait eu des entretiens jugées «cordiales, productives et tournées vers l’avenir sur les préoccupations du Rwanda et les mesures pratiques nécessaires pour rétablir les relations entre le Rwanda et l’Ouganda » par la partie hôte.
Muhoozi Kainerugaba
Fort de la récente réouverture du poste frontalier entre le Rwanda et l’Ouganda, Muhoozi Kainerugaba a annoncé, mardi 8 mars 2022, sa retraite de l’UDPF, l’armée ougandaise dont il commandait notamment les forces terrestres. Une semaine plus tard, le 14 mars 2022, l’aîné des enfants Museveni retournait à Kigali (visite privée) où il a été accueilli à l’aéroport local par deux fonctionnaires du gouvernement rwandais, le général Willy Rwagasana (Garde Républicaine) et le colonel Ronald Rwivanga, porte-parole des RDF. Il s’est entretenu avec Paul Kagame des relations entre leurs deux pays, ont rapporté des médias, sans plus. Mais des observateurs notent que quelques jours après la réouverture du poste frontalier de Gatuna-Katuna, Kampala avait réaménagé ses services de renseignements militaires, limogeant le général de division Abel Kandiho, Chieftaincy of military intelligence (CMI), que Kigali accusait d’avoir torturé des Rwandais.
En tout état de cause, en normalisant ses relations diplomatiques avec le Rwanda, tout en améliorant celles qui le lient à la RDC, Yoweri Museveni tire son épingle du jeu sans se compromettre outre mesure. Jusque-là.
LE MAXIMUM