Ses partisans ne s’en cachent pas. A Félix Tshisekedi, arrivé à la tête de la RDC en janvier 2019, il faut un second mandat. Pour matérialiser son projet de société. Cinq ans ne sauraient suffire à cet effet et les têtes couronnées de l’Union sacrée tshisekediste ne se privent pas de le rappeler à qui veut l’entendre. Après des décennies de gâchis et de mauvaise gouvernance, on ne saurait pas changer grand’chose en un seul mandat présidentiel, du reste accaparé en grande partie par les responsabilités inhérentes à la présidence de l’Union Africaine qui avait échu à leur champion, l’avant-dernière étant toute entière électorale. Le successeur de Joseph Kabila (18 ans au pouvoir) n’aura donc eu que deux ans de pouvoir effectif. Insignifiant au goût de certains.
21 mois pour convaincre
Aujourd’hui, en ce mois de mars 2022, donc à 21 mois de la présidentielle prévue pour fin décembre 2023 par la CENI, l’arène politique congolaise grouille déjà d’une effervescence de précampagne. Tous les prétendants au top job s’activent pour faire valoir leurs arguments, le moment venu. Notamment, Martin Fayulu, un des candidats malheureux à la présidentielle 2018 dont Félix-Antoine Tshisekedi est sorti vainqueur, mais qui, n’ayant jamais fait le deuil de sa défaite, arpente le territoire national avec des fortunes diverses, à en juger par l’accueil lui réservé ci et là. Mais également Moïse Katumbi, ancien gouverneur du grand Katanga qui s’affaire aussi bien à l’implantation de son nouveau parti politique, Ensemble pour la République, qu’à la conquête du Congo profond. Avec des fortunes diverses également.
A ces deux challengers potentiels de Tshisekedi, il faut ajouter l’ancien 1er ministre PALU, Adolphe Muzito, qui compose un tandem atypique avec Martin Fayulu dans ce qui reste de la coalition LAMUKA. Ainsi que Joseph Kabila, locataire du Palais de la Nation de 2001 à 2018.
Le nœud gordien du social
La tâche ne manque pas aux états-majors des présidentiables rd congolais ne sont donc pas dépourvus d’ouvrage, en RDC. Près de 20 ans après les premières élections démocratiques qui ont porté le fils du Mzee au pouvoir, les électeurs semblent en avoir bavé plus qu’ils n’ont tiré des avantages sociaux. Pays post-conflit, la RDC n’en a pas moins marqué quelques points considérables sur le plan économique. Grâce à ses innombrables ressources du sous-sol, particulièrement. Mais le social des autochtones, lui, n’a pas suivi et demeure le talon d’Achille de tous les prétendants au pouvoir.
Les esprits et les mentalités de groupes de populations martyrisées par les conflictualités réccurrentes ont aussi sensiblement évolué vers plus d’aperceptions critiques. Un chantier herculéen pour quiconque voudrait emporter l’adhésion de la multitude en décembre 2023.
Sur ce terrain, le chef de l’Etat en exercice, en quête d’un second mandat, dispose de quelques avantages par rapport à ses rivaux réels et potentiels. Détenteur du pouvoir effectif, Félix-Antoine Tshisekedi s’est non seulement pourvu d’une majorité parlementaire lui permettant de réaliser son programme d’action d’ici les prochaines échéances électorales. C’est le célèbre programme de développement des 145 territoires de la RDC, qui vise directement le souverain primaire, et devrait donc peser lourd sur la balance. «C’est le premier du genre depuis l’accession du pays à la souveraineté nationale et internationale», observent les analystes de la scène politique congolaise.
PSL-145T
Au gouvernement, on s’y penche depuis quelques mois, sous la houlette du président lui-même. Mercredi 16 mars 2022, le 1er ministre Jean-Michel Sama Lukonde y est revenu au terme d’une réunion du Comité de conjoncture économique (CCE).
Les premiers décaissements de ce projet grandiose sont effectifs, a-t-on appris de cette réunion au sommet, qui a également indiqué que les agences chargés des travaux étaient derechef à l’œuvre. C’est on ne peut plus sérieux.
Ce programme est simplement gigantesque : son coût estimatif se chiffre à 1.660.101.312 USD, étalés sur trois ans, mais de manière à induire des effets à court, moyen et long termes.
En théorie, il est destiné à promouvoir l’émergence des économies des territoires, entités déconcentrées du gouvernement central, réparties sur l’ensemble du pays et d’améliorer les conditions de vie des populations rurales, à travers des investissements publics massifs pour accroître le bien-être des Congolais de l’arrière-pays dont le nombre est estimé à 64,420 millions d’âmes selon un rapport de 2005 de la Banque Mondiale.
Félix-Antoine Tshisekedi ne s’y trompe pas, puisqu’il assure que «c’est dans ce monde rural que vit la majorité de nos compatriotes les plus confrontés à la pauvreté multidimensionnelle et de fortes inégalités socio-économiques. Relever ces défis est pour moi une entreprise de justice sociale qui contribuera sans nul doute à consolider la stabilité sociale, la sécurité et la paix». Dans une certaine continuité sans doute, même si le chef de l’Etat ne le dit pas formellement dans ce mot d’introduction au programme PDL-145T.
Arguments de taille
Correctement mis en œuvre, ces arguments du n° 1 congolais pourraient s’avérer imparables et reléguer au rang de balivernes insignifiantes les critiques courantes sur le bilan de son premier mandat. «Soixante ans après notre accession à la souveraineté internationale, d’une part, malgré l’importance de nos ressources naturelles, la diversité de notre population et la position géostratégique de notre pays au cœur de l’Afrique, notre pays n’a pas encore réussi à amorcer une dynamique de développement durable et endogène lui permettant d’améliorer significativement les conditions de vie de sa population. D’autre part, en dépit de l’adoption de plusieurs stratégies de réduction de la pauvreté et de soutien à la croissance visant à offrir des meilleures perspectives de développement humain à nos populations, les progrès sont restés très faibles», assure le chef de l’Etat. Et c’est ce que ressassent à longueur de journées de colloques sur le développement, une multitude d’experts qui se penchent sur le paradoxe de la RDC.
Quatre pilliers
Pour atteindre le Congolais le plus reculé, l’électeur rural en fait, le PDL-145T s’adossera sur quelques piliers essentiels dont l’amélioration des conditions d’accès des populations rurales aux infrastructures et services socio-économiques de base (routes de desserte agricole, microcentrales photovoltaïques, lampadaires solaires, forages et mini réseaux, écoles, centres de santé, marchés, bâtiments administratifs des secteurs et des territoires et logements du staff dirigeant du territoire). Il s’agit aussi de désenclaver le vaste territoire national et de contribuer à l’amélioration des conditions de vie et d’éducation des populations qui y vivent. Coût global: 1.168.638.205.70,0 USD. Autre point saillant du programme : la promotion du développement des économies rurales et des chaînes de valeur locales grâce à l’appui aux activités de production et de services dans les territoires pour mettre en place les conditions nécessaires de la relance des économies rurales et locales afin de les revivifier et les redynamiser pour les inscrire sur la trajectoire de l’émergence. Objectif final : l’amélioration de la productivité, l’augmentation du revenu des ménages ruraux et la sécurité alimentaire. Coût : 290.000.000,17 USD.
Le renforcement des capacités de gestion du développement local à travers l’accroissement des compétences techniques, organisationnelles, institutionnelles et communautaires pour une bonne gestion du développement local fait également partie du projet. Cette composante vise en fait l’autonomisation des communautés locales afin de les amener à produire les services de qualité en milieu rural en se basant sur l’approche de décentralisation. Coût : 4.940.000.0,3 USD.
Le gouvernement veillera en outre à développer un système d’information géo-référencée de suivi à même de renseigner sur les progrès du programme. Cette composante vise principalement à mettre en place un dispositif efficace de suivi et d’évaluation des progrès du programme pour un coût estimé à 5.540.000.0,33 USD.
Bombe electorale
Au-delà de ces énoncés théoriques, le PDL-145T aboutira à court, moyen et long terme à la construction de 8.844 km de routes de desserte agricole, 444 ouvrages d’art (ponts, bacs, dalots), 418 mini centrales, 471 km d’éclairage public (lampadaires solaires), 3.071 forages de plus ou moins 150 m avec pompe intégrée ; 447 sources d’eau aménagées ; 238 marchés modernes avec espace à vivre ; 145 bâtiments administratifs à raison d’un bâtiment dans chaque chef-lieu de territoire ; 636 bâtiments administratifs à raison d’un bâtiment dans chaque chef-lieu de secteur ; 1.450 logements pour les staffs dirigeants des territoires ; 788 centres de santé à construire réhabiliter ou équiper ; 1.210 écoles à construire, réhabiliter ou équiper ; 500.000 ménages à structurer à et professionnaliser par filière agricole porteuse ; 500.OOO tonnes d’intrants et semences pour approvisionnement des producteurs locaux.
Le PDL-145T apparaît donc comme une véritable bombe électorale, quelle que soit son niveau de réalisation. Sur les 1,6 milliards, 450 millions USD étaient déjà disponibles, a annoncé Christian Mwando, ministre d’Etat en charge du Plan. Selon le compte-rendu de la réunion du conseil des ministres du 4 mars 2022, le gouvernement attend en juin prochain un nouvel appui du FMI pour finaliser le financement de quelques actions y relatives.
A l’évidence, de la réussite de ce programme gigantesque dépendra en grande partie l’avenir de Félix-Antoine Tshisekedi et de son Union sacrée de la nation à la tête de la RDC.
LE MAXIMUM