Un rassemblement électoral l’a révélé, tel qu’en lui-même, aux Congolais : William Ruto, vice-président de la République issu de jubilee party (opposition kényane), connu de l’opinion notamment pour ses démêlés avec la justice internationale en 2010, n’a pas une bonne opinion des Congolais.
Au cours d’un meeting électoral dans le comté de Nyeri (centre du Kenya), cet homme de 55 ans qui fut à l’origine d’affrontements post-électoraux dans son pays en 2007-2008 et, de ce fait, poursuivi pour crimes contre l’humanité par la CPI (avec son challenger, Uhuru Kenyatta) n’a rien perdu de ses ambitions au top job. Face à son auditoire, le week-end dernier, William Ruto a promis d’augmenter les investissements dans l’élevage en perspectives d’exportations avantageuses en direction de l’immense marché de la République Démocratique du Congo qui, selon ses propos «compte 90 millions d’habitants mais n’a pas une vache». Le marché parfait donc pour le lait et la viande made in Kenya. D’autant plus parfait que les Congolais, eux, «ne se préoccupent que de musique et de porter des pantalons de taille haute au lieu de travailler». Ces propos pour le moins méprisants ont provoqué de nombreuses réactions d’indignation en RDC, notamment sur les réseaux sociaux et les médias.
Propos désobligeants
Contre cette saillie désobligeante de Ruto, tous, de l’acteur politique à l’internaute lambda, s’y sont mis pour exiger réparation de l’offense. Du lundi 14 au mercredi 16 février 2022, les réactions ont fusé de partout, culminant en des appels au boycott des produits kényans en RDC, notamment ceux de Equity Bank BCDC, l’institution financière qui se targue d’avoir investi quelques 3 milliards USD dans le pays, et Kenya Airways, la compagnie d’aviation bien connue. L’affaire devenait sérieuse tant et si bien que l’ambassade kényane en RDC a réagi mercredi en milieu de journée. Pour faire savoir qu’elle avait porté l’indignation des Congolais à la connaissance des autorités de son pays. «L’ambassade a informé le ministère des affaires étrangères à Nairobi des réactions négatives que les commentaires ont suscité dans les milieux d’affaires et la population en général», a-t-on pu lire dans cette communication qui assurait également que «le gouvernement et le peuple du Kenya partagent une relation historique profonde et respectueuse avec le gouvernement et le peuple de la RDC. Cette relation remonte à l’indépendance de nos pays respectifs». Mais rien n’y a fait, le ressentiment était trop profond.
Dans l’exercice, hautement nationaliste, de protestation contre les mots irrespectueux d’un responsable au sommet du gouvernement kényan, la sénatrice Francine Muyumba (FCC) s’est particulièrement illustrée, condamnant avec fermeté et exigeant des excuses du gouvernement du Kenya en même temps que la rétractation de l’auteur de ces insultes.
Augustin Matata Ponyo, Noël K. Tshiani et beaucoup d’autres s’y sont mis eux aussi. Sans compter la campagne d’appel au boycott des produits kényans qui prenait de l’ampleur sur les réseaux sociaux.
L’ambassadeur Georges Masafu convoqué
Pour couronner le tout, le ministère congolais des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur du Kenya en RDC, Georges Masafu, pour lui exprimer officiellement le mécontentement des plus hautes autorités congolaises. Ce fut l’occasion pour Masafu de se désolidariser au nom de son gouvernement du bouillant William Ruto et de présenter des excuses officielles à la RDC et aux Congolais. «Les relations entre la RDC et le Kenya datent de l’époque de l’indépendance. Lumumba était un grand ami du président Kenyatta. Nous avons toujours été bons amis. Nous avons des échanges commerciaux. Les Congolais vivent par milliers au Kenya. Certains gèrent des boîtes de nuit là-bas. Je danse la rumba à Naïrobi à cause de nos frères Congolais qui sont là-bas. On se respecte. Nous parlons la même langue», s’est répandu l’ambassadeur kényan au sortir de son entrevue avec le secrétaire général aux Affaires étrangères, Joska Kabongo. Georges Masafu a également indiqué à la presse que le sulfureux William Ruto ne faisait plus partie du gouvernement kényan et qu’en conséquence ses propos n’engageaient que sa personne et non le gouvernement. «Observez les relations entre le président congolais et son homologue kényan. Les deux sont proches. Nous sommes venus expliquer la situation et vous demander d’oublier ce que vous avez vu. Cela n’affecte en rien les relations », a encore déclaré l’ambassadeur du Kenya.
En début de soirée, ce mercredi 16 février, William Ruto a, à son tour formellement présenté ses excuses aux Congolais : «Je regrette tout malentendu qui aurait pu survenir à cause de mon discours, et saisis cette occasion pour assurer le gouvernement et le peuple de la RDC de mon admiration et de ma haute considération», a-t-il déclaré. Après que dans son propre pays, des personnalités comme l’ancien premier ministre Raila Odinga lui aient exigé des excuses envers les Congolais.
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