Alors que ses partisans en RDC le disent en consultations en Europe et aux Etats-Unis avant de se prononcer sur l’avenir de son parti et ses alliés au sein de l’Union sacrée de la nation, Moïse Katumbi Chapwe se livre à une campagne présidentielle anticipée hors du continent. Parmi ses soutiens, même les plus chauds, la gêne est d’autant plus perceptible que peu se montrent disposés à quitter la barque USN, la coalition parlementaire qui soutient le chef de l’Etat en place, Félix Tshisekedi, candidat à sa propre succession.
«Mon papa est juif»
Le 9 novembre, à l’occasion de la commémoration du 83ème anniversaire de la nuit des cristals entrée dans l’histoire parce qu’elle marque le début des pogroms anti-juifs dans l’Allemagne nazie et en Autriche, l’ancien gouverneur de l’ex-Katanga s’est associé à quelques personnalités conviées au Symposium de Cracovie, pour mettre en valeur ses ambitions présidentielles.
Du haut de la tribune, le président de Ensemble pour la République s’est lancé dans une complainte contre ceux qui, en RDC, contrecarrent sa candidature. «C’est de l’antisémitisme politique», dénonce Katumbi, 56 ans, qui se découvre une vocation de politologue. «En 2019, je suis rentré au pays et vous avez vu combien de millions des gens m’ont accueilli à cause du travail que j’ai abattu dans ce pays (…) Mais maintenant que nous nous approchons des élections, ils veulent m’écarter de la course en utilisant l’argument que mon père est juif, et que je ne serais pas loyal à mon pays», a déclaré en substance l’ancien gouverneur, patron du célèbre club de football TP Mazembe de Lubumbashi qui lui assure sa popularité en réalité. Le speech en anglais du Chairman katangais fait l’objet d’une vidéo qui fait le buzz sur les réseaux sociaux depuis peu. Moult réactions s’en sont suivies en RDC, le pays d’adoption majoritairement bantou de Katumbi où l’appartenance est déterminée par les liens de paternité alors que chez les juifs, c’est la mère qui donne à l’enfant son appartenance communautaire.
«En criant ainsi sur tous les toits du monde que son père était juif, Moïse ne se rend-il pas compte qu’il est en train de scier l’arbre sur lequel il aurait pu s’asseoir?», s’interroge un (vrai) politologue de l’université de Lubumbashi.
Sidérant. Gênant. Pour certaines de ces autorités coutumières sud-katangaises par exemple, qui il y a quelques mois à peine, revendiquaient haut et fort la ‘‘congolité’’ de l’ancien gouverneur de l’ex-Katanga, né des entrailles d’une de leurs sœurs. Une «matrilinarisation» de la coutume patrilinéaire locale ancrée depuis des temps immémoriaux.
D’aucuns ont pudiquement mis cette étrange saillie non conforme aux us et pratiques du cru sur le compte de la manipulation grâce aux espèces sonnantes et trébuchantes dont le candidat au top job rd congolais est coutumier. La vidéo virale du Symposium de Cracovie est à cet égard contreproductive. Les katumbistes, gênés, se taisent et font profil bas. «Moïse Katumbi attend d’être reçu par le chef de l’Etat pour examiner avec lui les contours de leur collaboration. Nous lui avons conseillé de parler avec son frère avant de prendre toute décision», expliquait l’un d’entre eux Eliézer Ntambwe, un député de Ensemble pour la République, comme pour sauver les meubles. Mais on peut parier que la transgression de Cracovie qui est tombée comme un cheveu dans la soupe ne sera pas sans dommages pour la suite.
La réplique de Tshiani
A Kinshasa, ceux qui ne voient pas d’un bon oeil la candidature de ce fils d’un immigré italien et d’une zambienne à la magistrature suprême n’ont pas raté de se rappeler à la mémoire de l’opinion. C’est le cas du professeur d’économie Noël Tshiani Muadiamvita, ancien candidat à la présidentielle 2018 et auteur d’une proposition de loi sur le verouillage de l’accès à la fonction présidentielle qui donne des insomnies à Katumbi. Tshiani a en effet promptement donné la réplique à l’ancien gouverneur candidat: «Ce n’est pas parce qu’un étranger a abattu un grand travail en RDC qu’il devient éligible à la présidence de la République. Ce poste doit être réservé exclusivement aux Congolais d’origine nés de pères et de mères eux-mêmes congolais d’origine. La RDC n’est pas à vendre», a-t-il martelé rageusement sur son compte Tweeter. Quelques heures plus tôt, ce scientifique soutenait sans ambages que «pour occuper les postes de souveraineté, particulièrement la présidence de la République, il faut être Congolais d’origine, né de père et de mère congolais d’origine. Ceci protègera la souveraineté nationale en évitant l’infiltration au sommet de l’Etat». Ces propos qui avaient fait débat il y a quelques mois à peine, semblent avoir une nouvelle connotation et sont retweetés par centaines. La vidéo du Symposium de Cracovie n’est pas passée inaperçue. Moïse Katumbi s’est lui-même manifestement tiré une balle dans le pied.
Politicien extraverti
Aller se plaindre de la situation politique en RDC à l’étranger n’a pas non plus été bien apprecié dans bien des milieux congolais. A en juger par la réaction sèche d’un internaute qui se demandait, mercredi dernier, si «ce sont les juifs de Cracovie qui vont élire notre prochain président de la République». Pour nombre d’observateurs, la trop forte extraversion de Moïse Katumbi révèle que l’homme ne compte nullement sur ses frères d’adoption que sont les Congolais pour se faire porter à la tête du pays. Il préfère plutôt se donner les moyens de contourner «son» peuple en allant quérir le soutien d’hommes d’influence à l’étranger dont il tente de se ménager les sympathies en évoquant le concept de l’«antisémitisme politique», absent de l’histoire politique africaine et congolaise. Mais pas seulement.
En séjour aux Etats-Unis, le président de Ensemble pour la République s’est rendu au bureau des Affaires Africaines le 20 novembre, pour solliciter l’accompagnement du processus électoral rd congolais et obtenir le soutien à ses efforts pour des élections libres, équitables et transparentes, selon un tweet de ces hôtes.
Au pays de l’Oncle Sam, l’ancien gouverneur de l’ex-Katanga est connu pour ses lobbyings politiques. On rappelle que le dernier en date, répertorié en septembre dernier, avait été conclu avec les républicains pro-Trump de DCI Group chargés du soutien de sa candidature à la présidentielle de 2023 et accessoirement de faire capoter le vote de la désormais célèbre «Loi Tshiani».
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