Le Raïs Ougandais, Yoweri K. Museveni, s’apprêtrait à renvoyer ses troupes en RDC. En moins de deux semaines, il a lancé des appels du pied dans ce sens vers son homologue Félix Tshisekedi. A l’occasion des obsèques du major-général Paul Lokech, vendredi 27 août dernier dans le district de Pader situé au Nord de l’Ouganda, le n° 1 ougandais a annoncé aux médias son intention de lancer une offensive contre les ADF au Nord-Kivu et en Ituri. «Nos forces sont prêtes à contribuer à la punition de ces parasites. Nous avons juste besoin de l’assentiment du gouvernement congolais», a-t-il déclaré en substance. Le Daily Monitor de Kampala indique à ce sujet qu’au moins 20 personnes dont le général Lokech, ont été tuées dans une nouvelle vague d’attaques nocturnes régulières par des assaillants armés de machettes au cours du dernier mois dans le centre de l’Ouganda.
Pour Museveni, aucun doute sur l’identité des assassins: il s’agit des terroristes des Forces Démocratiques alliées (ADF) qui ont perpétré des représailles après qu’un de leurs attentats ait été déjoué par les services de sécurité. «Les plans et les ordres pour tuer notre peuple viennent des terroristes de l’Est du Congo. Nous continuons de discuter avec SE Félix Tshisekedi de l’élimination de ce cancer», a expliqué le chef de l’Etat ougandais aux médias.
Tapage médiatique
La presse de Kampala avait rapporté que les services d’intelligence ougandais ont arrêté un certain Abdul Katumba, alias Ben, avec des engins explosifs improvisés (EEI) destinés à cibler le cortège mortuaire lors de l’enterrement de l’officier général ougandais Paul Lokech. Le président ougandais pense qu’il s’agissait de représailles des ADF à la suite du rôle de ce dernier dans leur démantèlement ainsi que dans la traque des terroristes d’Al-Shabab en Somalie. «Ce fut un choc pour les ADF, car ils étaient habitués à des acteurs indifférents qui ne creusaient pas profondément, même lorsque les indices étaient abondants. C’est pourquoi, apparemment, les ADF ciblaient Lokech en tant que personne», a soutenu le président ougandais qui a ensuite expliqué que ces terroristes utilisent une tactique familière des mouvements djihadistes, n’hésitant pas à massacrer des centaines de personnes et à contraindre au déplacement près de 50.000 autres en RDC, malgré l’arrestation de leur chef, l’Ougandais Jamil Mukulu, il y a six ans.
Museveni en a profité pour dire tout le mal qu’il pensait de la mission des Nations-Unies en RDC : «Il n’est pas correct que la MONUSCO coexiste avec les terroristes dans l’Est du Congo qui continuent de massacrer les Congolais et, ensuite, nous dérangent nous les voisins».
Nouveau palier
Le 8 septembre à Entebbe, Yoweri Museveni a franchi un nouveau palier à ce qui ressemble bien à une campagne médiatique en se confiant à France 24 sur le même sujet. En mettant dans le même panier le groupe djihadiste qui a pris le contrôle d’une zone pétrolière au Mozambique il y a quelques mois et les ADF qui sévissent au Nord-Kivu et en Ituri en RDC. Avant de proclamer son intention d’intervenir militairement dans ce pays, si son homologue Tshisekedi lui en donnait l’approbation.
A Kinshasa où les tristes exploits des troupes ougandaises lors de la ‘‘première guerre mondiale africaine’’ sont encore frais dans les mémoires, les intentions ainsi affichées par le président Museveni en font tiquer plus d’un. D’autant plus qu’il y a seulement quelques mois (juin 2021), les chefs d’Etat de RDC et d’Ouganda avaient amplement discuté des questions sécuritaires à leurs frontières communes à Mpondwe, une ville ougandaise du district de Kasese, selon l’aveu du Raïs ougandais lui-même.
Solutions structurelles
Les armées des deux pays collaborent étroitement à l’éradication du phénomène ADF, notamment à travers l’échange de renseignements militaires et sécuritaires. Samedi 26 juin à l’Hôtel Okapi Palace de Beni, le chef d’état-major général des FARDC le général d’armée Célestin Mbala Munsense et son collègue ougandais Wilson Mbasu Mbadi avaient abordé le même ordre du jour au cours d’une réunion d’évaluation du processus de mutualisation et d’échange de renseignements mis en place autour de la menace terroriste commune représentée par les ADF.
Dans ces conditions, on s’étonne en RDC des nouveaux projets du président Museveni qui semblent contraires aux solutions structurelles déjà en place.
De passage à Goma, quelques jours avant le sommet de Mpondwe, le président Félix Tshisekedi avait annoncé la conclusion d’un accord avec son homologue ougandais sur la construction d’une route reliant l’Ouganda à Goma en passant par Kasindi. «Cela contribuera aussi à la recherche de la paix et à l’éradication de ces groupes armés qui pour certains, utilisent la violence pour faire du business», a expliqué Tshisekedi à la presse.
Au terme de la cérémonie de dévoilement de la stèle marquant le lancement des travaux de construction de ces routes sur les axes Kasindi-Beni, Beni-Butembo, et Bunagana-Rutshuru-Goma sur plus de 200 km, le président rd congolais avait salué ce projet destiné à «accroître les activités économiques et permettre de lutter contre l’insécurité dans la région de Beni”
Il ne semblait pas qu’il fut question de laisser les éléments des forces ougandaises fouler à nouveau le sol congolais, fut-il pour régler un problème sécuritaire qu’elles n’ont jamais réussi à conjurer en plus de trois ans d’occupation intermitente.
Si elles ne sont pas jugées carrément téméraires, les nouvelles intentions affichées par Yoweri Museveni à l’Est de la RDC ressemblent, selon plusieurs observateurs, à un retour du criminel sur les lieux de ses crimes.
Prétexte sécuritaire
Une vingtaine d’années après la première invasion rwando-ougando-burundaise de la RDC, sous prétexte de mettre un terme au régime Mobutu, il semble évident aujourd’hui, avec le recul, que l’objectif poursuivi par la plupart des protagonistes de la guerre congolaise de l’époque qui fit quelques 5 millions de morts directs et indirects, selon les estimations, fut le pillage des ressources de ce véritable coffre-fort naturel.
On rappelle à cet égard qu’aux côtés du Rwanda, l’Ouganda avait alors joué un rôle plus que déterminant dans cette odyssée. Les deux Etats voisins de la RDC s’étaient appuyés notamment sur la multinationale Américano-canadienne American Minerals Fields International (AMFI), qui deviendra Adastra Mining à la fin de la guerre, une véritable nébuleuse militaro-commerciale créée en 1995 pour «exécuter en Afrique la volonté de domination économique des financiers occidentaux et particulièrement d’assouvir en RDC les desseins des sociétés américaines dont les dirigeants participent aux grands enjeux stratégiques mondiaux qui relèvent de la science, de la technologie, des finances, des industries ou de la politique», selon A. Deneault et cie, auteurs du livre Noir Canada. Pillages, corruption et criminalité en Afrique publié en 2008.
C’est pour «déjouer la méfiance des Congolais de l’Est envers les pays voisins que AMFI, l’Ouganda et le Rwanda placeront à la tête de ce qu’ils feront passer pour une ‘‘rébellion congolaise’’ un ancien maquisard du Sud-Kivu proche de feu Patrice Lumumba : Laurent-Désiré Kabila», assurent ces enquêteurs internationaux.
Pilleur invétéré
Officiellement, c’est pour détruire les bases-arrières en RDC des ADF ougandaises et empêcher leurs ravitaillements que Kampala était intervenu dans la première guerre du Congo. Un rapport de l’International Crisis Group (ICG) rapporte que fin 1999, l’UDPF avait déclenché une opération impliquant 6.000 hommes spécialement entraînés à la guerre en montagnes dans le Ruwenzori, sous le commandement du général James Kazini. Deux mois après, le ministère ougandais de la Défense annonçait la mort de quelques 80 «bandits» et l’anéantissement des forces ennemies. En réalité, l’opération de l’armée ougandaise n’avait fait que déplacer l’activisme de ces terroristes vers d’autres régions du pays, puisqu’en 2000, les attaques des ADF étaient signalées à Bushenyi, Hoïma, Kibale, Bundibugyo et Mubende en Ouganda.
Aujourd’hui, on peut s’interroger sur le nombre d’hommes de troupes que Museveni compte expédier à l’Est de la RDC pour venir à bout de rebelles qui ont eux-mêmes augmenté en nombre et en armement tout en améliorant leurs stratégies de combat.
Si le succès d’opérations militaires de l’UPDF contre les ADF reste mitigé, il en va tout autrement du pillage des ressources de la RDC qui a rapporté un butin de guerre relativement chiffrable, selon les mêmes sources. «En 1996, juste après la chute de Mobutu, les exportations d’or de l’Ouganda représentaient 60 millions USD de bénéfices tirés des régions contrôlées par l’UDDF au Nord-Est du Congo. D’après les chiffres officiels de la banque d’Ouganda, qui contrôle toutes les exportations d’or, ce pactole était passé de 12,4 millions USD en 1994-95 à 110 millions USD en 1996. La prise d’aéroports déterminants tels que ceux de Kisangani et Gbadolite permettait l’exportation de café et de minéraux congolais directement à Kampala», révèle ICG qui ne chiffre pourtant pas les gains tirés d’autres minérais et du café pillé (Le partage du Congo. Anatomie d’une sale guerre, décembre 2000).
Affairisme criminel
Tout le monde sait aujourd’hui que c’est l’espoir d’accroître son prestige dans la région et l’appât des gains faciles qui ont motivé les intrusions du Raïs ougandais et de ses généraux dans les affaires congolaises.
Le deuxième retour en RDC avait ainsi fourni à Kampala l’occasion d’exploiter les ressources du ‘‘scandale géologique’’ de Jules Cornet avec une féroce détermination, notent des enquêteurs qui s’appuient de nouveau sur les exportations aurifères ougandaises qui constituent «la part la plus importante des exportations des biens autres que le café, alors que la production nationale n’a pas augmenté». Il est révélé en outre que «la brusque disponibilité de l’or a réduit le déficit commercial du pays (qui était de 600 millions USD) et considérablement amélioré la balance des paiements, malgré les dépenses militaires faramineuses qui avaient contraint le pays à dépasser la limite ESAF (Enhanced Structural adjustment Facility) fixée à 1,9 % du PNB».
Sur le terrain des opérations, on aura noté par ailleurs la boulimique implication du général Salim Saleh, demi-frère du président Museveni, dans les tractations commerciales autour de l’or et du diamant. Tandis que son comparse, le général Kazini, distribuait à tours de bras des concessions de diamants et de l’or dans les régions occupées par l’UPDF.
Financement de milices
De fait, la présence de l’armée ougandaise à l’Est de la RDC et son ingérence dans la gestion de pans entiers du territoire congolais n’ont pas eu pour effet d’arrêter les affrontements. ICG assure à ce sujet que l’armée ougandaise a plutôt encouragé les affrontements interethniques qui déciment les populations civiles, notamment en Ituri. «Des officiers supérieurs de l’UPDF se déploient en RDC, aux côtés de riches membres des tribuds essentiellement batutsi tels que les Hema en Ituri. Au lieu de protéger la société entière, ils protègent les intérêts de ces derniers. Certains officiers sont même accusés d’armer et d’entraîner des milices telles que celles dirigées par Bosco Ntaganda, en échange de dédommagements financiers versés par des hommes d’affaires hémas», déplorent les enquêteurs de l’Ong. Ce n’est pas par hasard que la Cour internationale de justice (CIJ) avait estimé que l’Ouganda devait quelques 10 milliards USD à la RDC en raison des pillages auxquels ses troupes s’étaient livrées durant la guerre de 1998-2003. C’est peu dire donc que la pacification offerte par Museveni et son UPDF à Tshisekedi est un couteau à double tranchant.
LE MAXIMUM