Le présidium Lamuka, ou tout au moins ce qui en reste est résolument sortie de ses gongs mardi 24 août à Kinshasa au cours d’un point de presse pour présenter ce qui s’apparente bien à un plan de bataille face à l’évolution de la situation politique du pays, quelque peu réduite à la tenue de la présidentielle en 2023.
Le tandem Fayulu-Muzito, généralement «préoccupé» de la situation sécuritaire à l’Est du pays, s’est plutôt fait discret sur le calvaire des populations de cette partie du territoire national. L’enjeu électoral prime sur tout, à en juger par le contenu des propositions lamukistes pour sortir de la crise politique, ou pour la créer, selon leurs anciens alliés de l’UDPS, par exemple.
Présidentielle
Pas de contenu sans contenant, cela s’entend. Le topo de Lamuka pour expliquer sa nouvelle stratégie politique est un classique du genre en RDC: un tableau noircissant à l’envie. «L’heure est grave ! Au regard de la situation politique, économique, sociale et sécuritaire dramatique qui règne dans notre pays et face à d’autres enjeux beaucoup plus complexes qui menacent le pays, le présidium Lamuka demande au peuple congolais de se lever pour contrer les velléités dictatoriales de Monsieur Félix Tshisekedi». Rien moins que ça. C’est proclamé d’emblée : la situation politique, économique, sociale et sécuritaire de la RDC, c’est le président de la République en place avancent donc les deux acteurs politiques, même s’il saute aux yeux de tout observateur objectif que le vrai problème, c’est plutôt la prochaine présidentielle et pas la situation économique ni sécuritaire (à l’exception des deux provinces sous état de siège de l’Est). «Félix Tshisekedi prépare à la fois le glissement du calendrier électoral et la fraude électorale», accuse, en effet, Lamuka. Provoquant la cinglante réaction d’Augustin Kabuya, secrétaire général de l’UDPS pour qui, Fayulu n’est pas prêt. «Il sait que s’il y a élections il n’aura même pas 3 députés et veut nous amener au dialogue», a-t-il déclaré sur les antennes d’une radio ayant pignon sur rue en RDC.
Hic et Nunc
Le 24 août, Martin Fayulu et Adolphe Muzito avaient effectivement proclamé que le peuple congolais et eux-mêmes «n’accepteront aucun glissement ni aucune fraude lors des élections de 2023. Le respect de la souveraineté du peuple n’est pas négociable». Cette posture n’a manifestement rien de futuriste parce que plus de deux ans avant cette échéance, l’ancien candidat malheureux à la présidentielle remportée par Félix Tshisekedi en décembre 2018 et son compère rescapé des rangs du Palu d’Antoine Gizenga veulent battre le pavé, hic et nunc. «Lamuka projette une marche dans les grandes villes du territoire national mercredi 15 septembre 2021 prochain», énonce le texte de la conférence de presse distribué aux médias mardi dernier. «Sortons massivement dans la rue pour dire : 1.Pas de CENI politisée; 2. Pas de glissement ; 3. Pas de fraude électorale», enchaîne le communiqué. Il va, pour le moins, un peu vite en besogne, selon certains, et pas seulement à la 12ème rue, le siège bouillant du parti tshisekediste à Kinshasa/Limete.
Dépolitisation fumeuse
D’abord, parce que la thèse de la dépolitisation de la CENI, portée par ces restes de la coalition genevoise ainsi que des confessions religieuses aussi politiciennes que les partis politiques les plus extrémistes ne tient pas la route. «Tout le monde sait qu’en RDC, les religieux sont quasiment toutes et chacune rangées derrière les organisations politiques nationales ou étrangères», tranche ce professeur de sciences politiques à l’UNIKIN. «C’est valable pour le premier des princes de l’église catholique ou de l’ECC autant que pour le représentant légal de telle ou telle confession religieuse, et ce depuis la période des indépendances», explique-t-il. Dépolitiser la CENI en la confiant entièrement aux confessions religieuses c’est la politiser à outrance et dangereusement. S’il faut tenir compte de la très maigre place qu’occupent les pratiques démocratiques dans les organisations animées par ceux que l’on présente comme les «Pères spirituels » en RDC. Sur cette question qui relève de la crédibilité de la CENI, on n’a pas encore trouvé mieux que la thèse qui consiste à placer les acteurs politiques face à leurs responsabilités, en leur offrant la possibilité de surveiller mutuellement au sein de la centrale électorale, selon ce point de vue.
Appel du pied
Ensuite, il n’est pas évident que battre le pavé soit un remède efficace contre les présomptions de glissement de fraude électorale brandies par Fayulu et Muzito. «Martin Fayulu n’en serait pas réduit à larmoyer à longueur des journées sur sa vérité des urnes. Depuis 5 ans, aucun acteur politique n’a organisé autant de manifestations publiques que lui !», rappelle ce député d’Ensemble pour la République, le parti de Moïse Katumbi, un autre prétendant au top job en RDC.
La suite du communiqué lamukiste du 24 août semble donc donner raison à Augustin Kabuya et à beaucoup d’autres observateurs qui estiment que les gesticulations du tandem Fayulu-Muzito sont un appel du pied, non pas à marcher, mais à s’asseoir autour de la table de négociations politiques. «Les élections peuvent et doivent être organisées conformément à la constitution de la République, si toutes les parties prenantes s’y engagent», assure le communiqué de Lamuka, exprimant davantage un appel de ces parties prenantes à s’engager dans la recherche «d’un consensus sur la loi portant organisation et fonctionnement de la CENI et sur les règles du jeu qui présideront à l’organisation des élections véritablement démocratiques et apaisées».
C’est de cette veine négociatrice qu’est tissée la proposition de calendrier électoral que Lamuka présentera à l’opinion publique les 3 et 10 septembre prochain au CEPAS et au collège Boboto de Kinshasa.
La vérité est que Fayulu et Muzito veulent des négociations politiques.
J.N.