La détermination de Félix-Antoine Tshisekedi et de son gouvernement de mettre un terme à l’insécurité qui a atteint son paroxysme à l’Est de la RDC ne faiblit pas. 24 heures après la 5ème prorogation de l’état de siège décrété dans le Nord-Kivu et l’Ituri le 4 août courant, le conseil des ministres a planché sur la sollicitation d’une énième tranche de 15 jours pour permettre aux FARDC d’intensifier les opérations en cours dans les deux provinces. Le chef de l’Etat a exhorté ses ministres à une synergie d’actions en vue d’atteindre les objectifs de l’état de siège décrété début mai dernier.
Sur le terrain des opérations, les ministres ont fait état de l’intensification de la pression sur les forces négatives dont la multiplication des redditions est une des retombées. Des nouvelles plutôt encourageantes qui indiquent que la prorogation de l’état de siège pourrait accélérer le retour de la paix dans les provinces martyres de l’Est. Dans la région, quelques observateurs sont persuadés que la RDC et ses forces armées font face à un complot visant la balkanisation et la transplantation de populations étrangères. Dans une homélie le 31 mai dernier, Mgr Dieudonné Uringi, évêque catholique de Bunia déclarait aux fidèles que «nous Hema et Lendu risquons de devenir demain des esclaves des gens qui viennent occuper nos terres. C’est peut-être ce jour-là que nous comprendrons que le conflit Hema-Lendu, ainsi que les rapines collatérales de certains officiers congolais sont le paravent de diversion qui cache les vrais maîtres de l’insécurité qui travaillent au plan de la balkanisation qui est en marche, comme tout le monde commence à s’en rendre compte».
Complices des tueurs
Cependant, la détermination des plus hautes autorités de la RDC à infléchir la courbe des atrocités perpétrées depuis plus d’une décennie dans la partie Est du territoire national fait face à celle des ennemis de la République et de leurs complices à l’externe comme à l’interne. Une véritable guerre d’autant plus sournoise et dangereuse qu’elle ne dit pas son nom et se présente sous les apparences de valeurs démocratiques et de libertés à promouvoir et à défendre.
La 5ème prorogation de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri a été ainsi obtenue quasiment à l’arrachée. Le 3 août, près d’une centaine de députés nationaux réunis dans un collectif dénommé C26 décidait de boycotter la plénière de l’Assemblée nationale consacrée à la prorogation de l’état de siège. Parce que, selon eux, «les rapports du terrain démontrent des faits contraires aux informations qui sont mises sur la place publique par le gouvernement. On signale plus de dégâts humains et matériels plus qu’avant même l’état de siège» (Gratien Iracan).
En conseil des ministres, vendredi dernier, Gilbert Kabanda, ministre de la Défense nationale et anciens combattants a fait état de l’évaluation des opérations militaires en cours devant la commission Défense et sécurité de la chambre basse du parlement. Le déroulement des opérations et d’autres détails liés à la situation sécuritaire dans les provinces sous état de siège ainsi que le bilan de ces opérations ont été portés par ce canal à la connaissance de la représentation nationale. Cela ne semble pas avoir convaincu Jean-Paul Paluku Ngahangondi, un élu de Beni qui a réagi à la 5ème prorogation de l’état de siège en déclarant que le chef de l’Etat ne comprend pas ce qui se passe sur le terrain des opérations où sévissent des officiers FARDC impliqués dans le trafic d’armes et de munitions.
Des leaders locaux
Les assauts contre la décision la plus importante pour endiguer les atrocités perpétrées contre les populations civiles à l’Est rd congolais ne sont pas le seul fait de quelques députés nationaux qui se pavanent devant les médias à Kinshasa. Au Nord-Kivu, des leaders locaux s’en mêlent à qui mieux-mieux, à l’instar de Jean-Paul Lumbu Lumbu, vice-président de l’Assemblée provinciale mis en congé par l’état de siège qui, de retour de Kinshasa jeudi 29 juillet dernier, a affirmé que «80 jours après l’instauration de l’état de siège par le président de la République, nous constatons avec regret que les ADF continuent à semer la désolation en tuant les populations dans la région de Beni. Les autres groupes armés continuent à faire la loi. Il n’y a donc pas de résultats palpables spécifiques sur le terrain». Tandis qu’à Butembo, quelques centaines de km plus loin, Mgr Melchisedek Sikuli dénonçait le 2 août à l’occasion de ses 23 ans d’épiscopat, «la recrudescence des massacres malgré l’état de siège et invitait les autorités à agir pour l’intérêt général et non comme des mercenaires».
Dans cette région caractérisée par l’extraordinaire activisme commercial des habitants autant que par la multiplication des groupes d’autodéfense militaire tout aussi mercantiles, les effets de telles saillies médiatiques ne tardent pas. Mardi 3 août, les populations de Rwangoma, un quartier de Beni, ont ainsi cru se rendre justice en lynchant à mort deux agents des services de renseignement et de l’auditorat militaire chargé d’interpeller une cheffe locale soupçonnée de collaboration avec les tueurs ADF. L’agent de l’Agence Nationale des Renseignements (ANR) nommé Sombo Gonza Olivier, est décédé sur le lieu de son supplice rapportent des sources policières qui révèlent par ailleurs, la complicité de personnalités locales avec les tueurs ADF. Le 6 août, le général Ekenge, porte-parole des opérations militaires, a indiqué que 145 collaborateurs des terroristes ougandais avaient été arrêtés depuis l’instauration de l’état de siège début mai dernier.
Activistes des droits humains
Il n’est nullement surprenant, notent certains observateurs, que certains notables dans les régions écumées par les forces négatives comptent parmi les plus grands détracteurs de l’état de siège.
On rappelle que les premières réticences contre la proclamation de l’état de siège s’étaient élevées dans les rangs des activistes locaux des droits humains bien avant la nomination des autorités militaires et policières chargées de diriger les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.
La Lucha notamment disait déjà craindre que cela ne donne lieu à une situation de non-droit, comme si les massacres des populations civiles étaient une situation de droit. Elle n’a pas attendu longtemps pour revenir à la charge. Lundi 2 août, ce groupe a en effet rendu public à Butembo (Nord-Kivu) un communiqué déplorant «l’inefficacité» de l’état de siège et appelant le président de la République «à relever de toute urgence le gouverneur militaire du Nord-Kivu …». Le même jour à Bunia, l’Union des associations culturelles pour le développement de l’Ituri (UNADI) dénonçait dans une lettre ouverte au président de la République, ce qu’elle appelle «une insécurité grandissante» et regrettait que l’était de siège n’arrive pas à satisfaire les attentes de la population.
Guerre médiatique
Ces assauts en règle contre l’état de siège ne se limitent pas à ces quelques récriminations locales. Elles s’étendent loin au-delà des frontières nationales. Les observateurs ont ainsi noté ce véritable «réquisitoire contre les autorités congolaises et l’état de siège» (Litsani Choukran) publié par le quotidien français Le Monde au début du week-end dernier. Il décrète que «l’état de siège est un fiasco», parce que «les massacres se poursuivent dans l’Est de la RDC». Comme si en quelques 3 mois il était possible de mettre un terme définitif à une insécurité endémique qui dure depuis tant d’années, ainsi que beaucoup essaient d’en convaincre l’opinion. Cette ambiance de pessimisme est pourtant contredite par le dernier rapport du Bureau conjoint des Nations-Unies pour les Droits de l’Homme (BCNUDH) en RDC, qui note une amélioration de 14 % en matière de violations et d’atteintes aux droits de l’homme au cours du 1er semestre 2021. Le document publié le 4 août est pourtant explicite sur l’évolution de la situation sécuritaire à l’est du pays. «Dans le cadre de l’état de siège proclamé en mai 2021, une administration militaire a été établie dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri et quelques avancées ont été enregistrées dans la sécurisation de certaines zones dans la province de l’Ituri. Pour avoir des effets positifs à long terme, il convient de renforcer l’autorité de l’Etat, désarmer et réintégrer les combattants des groupes armés, établir des mécanismes de résolution non violente des conflits et mettre en œuvre des mécanismes de justice transitionnelle», assurent les experts du BCNUDH.
Des nouvelles du front, au Nord-Kivu et en Ituri confortent ces analyses onusiennes. Mercredi 6 août, les FARDC ont annoncé la récupération de 6 localités ituriennes qui étaient sous contrôle des milices CODECO et libéré la route Bunia-Mungwalu, après le démantèlement des barrières érigées sur la RN27 dans l’axe Bunia-Mahagi. Deux jours auparavant, la PNC avait annoncé l’arrestation de 5 leaders présumés de groupes armés opérant à Djugu et à Irumu.
J.N