POLEMIQUE AUTOUR DU CACAO DE BENI : Nicaise Kibel’Bel Oka écrit à Boris Maelezo

Cher honorable Boris Maelezo, député élu du territoire de Beni,
Des amis m’ont fait parvenir votre réaction sur les réseaux sociaux à la publication de l’enquête sur le cacao de Beni.
Deux mots de votre part ont retenu mon attention: satisfaction et regret. D’emblée, je tiens à vous remercier sincèrement et je ne pense pas discuter d’un sentiment exprimé. Car, là où certains choisissent l’injure et la diabolisation, vous avez été parmi les rares députés du Grand Nord à me féliciter publiquement. J’admire cette honnêteté intellectuelle.
Comme vous le savez, le travail de la presse est sujet à des interprétations parfois erronées et de mauvaise foi notamment dans cette partie du pays. Parce que toute information surtout traitant de l’économie est vue sous un angle résumé en : «pour ou contre la communauté», notion floue et difficile à circonscrire dans une ville/territoire cosmopolite et administrative comme Beni. Et pourtant, les problèmes posés (fraude douanière, blanchiment des capitaux et financement du terrorisme, criminalité transfrontalière, etc) sont non seulement réels mais connus et vécus par cette même communauté que l’on prétend défendre. Nombreux préfèrent l’omerta sur les problèmes à la base de l’insécurité et d’autres optent simplement pour la diabolisation. Voilà pourquoi je vous tiens en estime.
En 2012, lors d’un atelier réunissant les notables à l’hôtel Beni, les Bami de Talinga, Basongera et la FEC avaient souligné un fait parmi tant d’autres, à savoir «plus de 3 millions USD échappant à tout circuit bancaire circulaient dans le Ruwenzori pour acheter du café et de la papaïne au profit de l’Ouganda, qu’il y avait au moins 80 pistes permettant la contrebande et la criminalité transfrontalière entre le territoire de Beni (RDC) et le district de Kasese (Ouganda)». Durant la même période, des jeunes compatriotes de Bulongo, Mutwanga et environs avaient mené la campagne contre la consommation de la monnaie ougandaise «le shilling» sur le territoire congolais. Aujourd’hui, nous apprenons par le Procureur de la république près le tribunal de Grande instance de Beni qu’une multinationale anglo-américaine a transféré illicitement 25 millions USD de Beni vers l’Ouganda entre 2017 et 2020. Un crime économique impardonnable.
Voilà pourquoi j’aimerais commencer par rappeler la notion géopolitique de la souveraineté aujourd’hui où les Italiens sont tous en joie, brandissant leur drapeau en soutien à leur équipe nationale de football. Il existe trois critères paradigmatiques de la souveraineté qui se manifeste en premier lieu par des symboles dont le drapeau, la monnaie, l’armée… Vous avez suivi l’engouement pour ce le bout de tissu coloré et l’accueil réservé aux joueurs.
Lorsqu’une entreprise accusée de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme là où des compatriotes ont perdu tout sourire à cause de la barbarie d’autres humains, se justifie, toute honte bue, en reconnaissant qu’«elle transfère illicitement de l’argent de la RDC pour l’Ouganda afin d’acheter des shillings pour les utiliser à l’achat du cacao en RDC», cela doit être dénoncé et
condamné avec la dernière énergie par de vrais compatriotes au premier rang desquels les élus sauf s’ils sont été complices. Ne pas le faire relève de la haute trahison. La monnaie fait partie des éléments de la souveraineté d’un pays. Je sais, d’expérience et de mémoire de journaliste, qu’il est difficile sinon impossible de s’attaquer à la mafia économique qui gangrène le Grand Nord sans être diabolisé, sans qu’une coalition soutienne une plainte contre vous. Voilà pourquoi je remercie votre courage et je vous écris ce jour.
Je comprends aussi votre regret, cher honorable. Le cacao de Beni ne devrait pas être présenté globalement dans la catégorie de «cacao du sang» et que tout le monde ne doit pas être logé dans
la même enseigne. Les paysans qui cultivent le cacao ne doivent pas être doublement victimes de la mafia autour de leur produit.
Pour sauver le cacao de Beni, il n’y a qu’une seule chose,
dénoncer la mafia surtout qu’elle entraîne mort d’hommes, désolation et insécurité. Dans le cas où mes élus n’auraient pas d’éléments, ils devraient se référer à la population. En termes clairs, les élus ont le devoir d’accompagner les dénonciations lorsqu’elles reposent sur des faits vrais (et non s’attaquer aux journalistes comme certains le font). Et ces faits sont cette corrélation entre la récolte du cacao et les tueries. Dans une guerre asymétrique, l’on ne peut jamais négliger le caractère hybride qui l’accompagne. Aucun élu de cette contrée ne peut aujourd’hui affirmer la main sur le cœur qu’il ne sait pas ce qui se passe autour du cacao. Ça serait irresponsable de sa part. C’est là où je ne peux comprendre votre regret s’il s’apparente à un silence coupable. Le journaliste
d’investigation tire ses informations de la population. Or, les députés sont élus par cette même population. Si le journaliste est le seul à détenir l’information, cela signifie que les députés sont
coupés de leurs électeurs et/ou encouragent cette mafia. Si les élus ne soutiennent pas l’action du Procureur jusqu’au bout, cela signifie qu’ils tirent profit du désordre des êtres et des choses. Alors, au-delà des félicitations et de regret, vous devriez agir. Non pas en cherchant des avocats pour s’attaquer au journaliste mais en encourageant le Procureur à aller de l’avant pour dénicher d’autres personnes et/ou entreprises qui participent à cet éhonté trafic.
Vous devriez, le cas échéant, solliciter même l’audit de l’Inspection Générale des Finances (IGF) auprès des banques qui facilitent ce genre de mafia violant la loi N°04/016 du 19 juillet 2004.
Autrement, nous serons tous jugés coupables d’avoir permis que pareille chose reposant sur le sang des compatriotes de cette partie du pays se réalise.
Cher honorable et frère,
Je ne peux que réitérer mes sincères remerciements à votre endroit pour cette prise de position courageuse et unique à l’endroit de ma modeste personne.
Le Seigneur veille sur vous.
Nicaise Kibel’Bel Oka
Goma, 14 juillet 2021