En séjour à Bunia, le 19 juin 2021, le président Félix Tshisekedi n’a pas usé de langue de bois pour évoquer la difficulté de la tâche qui l’attend dans les territoires martyrisés de l’Est rd congolais. «C’est un travail de longue haleine, minutieux et méticuleux qui doit se faire parce qu’il faut détricoter tout ce qui se fait ici depuis une vingtaine d’années et qui a pris corps et racine et qui est devenu un système. On ne déboulonne pas un tel système du jour au lendemain. J’en sais quelque chose», avait expliqué le chef de l’Etat aux médias. Ce n’est donc pas la peine de rêver ni de nourrir des espoirs fallacieux autour de l’état de siège décrété début mai dernier dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. D’autant plus que sur le terrain des opérations dans les deux provinces
voisines, les faits parlent d’eux-mêmes : selon des sources, 200 à 300 personnes ont été tuées par les terroristes ougandais ADF depuis l’instauration de l’état de siège, comme pour narguer les FARDC et décourager les populations locales. De même que les enlèvements des civils et autres exactions se poursuivent invariablement. Dans la région de Beni, une attaque des ADF a été perpétrée dans les villages de Kisanga et de Vulukula (Rwenzori) le 17 juin 2021, faisant de
nombreux civils tués et enlevés, selon la nouvelle société civile congolaise du territoire de Beni. En Ituri, les localités de Boga et Tchabi, devenues tristement célèbres depuis l’extermination d’une soixantaine de civils par les mêmes ADF début juin, ont encore fait parler d’elles. Dimanche 20 juin, au moins 25 corps de civils victimes des ADF y ont été découverts après une attaque qui a également connu l’enlèvement de 10 civils.
Tâche complexe
La tâche qui attend lesFARDC paraît donc à la fois immense et complexe, ainsi qu’en atteste un rapport d’enquêteurs onusiens transmis au Conseil de sécurité des Nations-Unies le 10 juin 2021. Il indique que non seulement les ADF se sont reconstituées, recrutant en Afrique autant qu’au pays où des populations dites Banyabwisha (d’origine rwandaise, en fait) font partie de ses recrues et recourant à l’utilisation d’explosifs et de drones pour géolocaliser leurs victimes.
L’équipe d’experts onu- siens conduite par Virgi- nie Monchy note également la grande mobilité de ces tueurs, qui leur permet de déjouer les attaques des FARDC. Même Mandina, leur base principale probablement située à la frontière entre les territoires de Beni (Nord-Kivu) et d’Irumu (Ituri), peut être déplacé à tout moment au gré des circonstances.
A ces difficultés liées aux techniques de combat utilisées par les assaillants au Nord-Kivu et en Ituri, il faut ajouter les problèmes structurels internes à l’armée
nationale. Commandant suprême des forces armées, Félix Tshisekedi ne s’en est pas caché au cours de son séjour à Beni-Butembo et Bunia.
Les FARDC font face à la fois au problème de leur nombre et à la mafia entretenue par les responsables militaires à divers niveaux. Nombre d’experts ès art de la guerre rappellent quele nombre total des militaires rd congolais reste une grande inconnue depuis l’époque de Mobutu. Autant que celui qui est déployé sur les différents fronts, pour d’évidentes raisons de grossissements et de détournements des soldes. Mais il faut faire avec, néanmoins, tout en apportant améliorations et correctifs requis autant que possible.
Des résultats encourageants
Des résultats prometteurs engrangés depuis l’instauration de l’état de siège ne font pas défaut, loin s’en faut. Même les opérations contre les forces négatives qui écument l’Est du territoire national n’en sont qu’à l’étape du déploiement.
Outre la poursuite de la nomination de nouvelles autorités militaires chargées des opérations sur le terrain, celle d’officiers de police en charge des villes, mairies et territoires des provinces sous état de siège se sont poursuivies la semaine dernière encore. En même temps que la pression sur l’ennemi s’accentuait. La
semaine en cours a ainsi été marquée par l’impressionnante reddition de
quelques 140 éléments armés à Kichanga dans le Masisi, qui ont également rendu au moins 70 fusils. Dans cette région du Nord-Kivu, l’armée fait état de 11 terroristes neutralisés et de 20 localités récupérées. Ça ne fait pas le compte, mais c’est déjà un acquis sur lequel on peut bâtir, et le gouverneur militaire du NordKivu ne l’ignore pas.
En séjour à Kichanga, le général-major Constant Ndima a plus qu’annoncé les couleurs, en invitant les forces négatives à déposer les armes sans autre forme de procès. «Je vais dire à ces gens qui ont pris des armes disant qu’ils protègent leurs communautés : Aujourd’hui cette idée n’a plus sa rai- son d’être, et on ne va plus les négocier. S’ils sont vraiment des congolais, ils ne
devraient pas se battre contre leur propre pays»,
déclarait le 21 juin cet ancien de la division spéciale présidentielle de Mobutu
et du MLC de Jean-Pierre Bemba. Un jour après devant la presse, le général
Ndima révélait quasiment son plan opérationnel en annonçant le nettoyage du Parc des Virunga. Une opération qui interviendra après que ses troupes
en auront fini avec les forces négatives actives dans le Masisi et à Walikale.
Phase de déploiement
A Bunia, chef-lieu de la province de l’Ituri, l’armée a fait état, mercredi
23 juin, de l’arrestation de trois officiers pris en flagrant délit d’augmentation d’effectifs militaires parmi les unités engagées dans les opérations. Il
s’agit d’un lieutenant-colonel chargé de l’administration et de deux majors
qui font l’objet de poursuites par la justice militaire. Dans la même région, le déploiement des troupes devrait se poursuivre, notamment, celles
de la MONUSCO annon- cées par Khassim Diagne. Jeudi 17 juin, le représentant spécial adjoint du secrétaire général de l’ONU en RDC chargé des opé- rations et de protection a indiqué que des nouvelles unités de la brigade d’intervention seraient déployées à Tchabi en territoire d’Irumu où elles appuieront les FARDC.
A Butembo puis à Bunia, le 19 juin dernier, le président Tshisekedi avait réitéré sa volonté de mettre un terme à l’insécurité à l’Est du territoire national
et annoncé que les FARDC monteraient bientôt en puissance. Probablement pour indiquer qu’en termes de déploiement opérationnel le meilleur était à venir. C’est ce qu’a expliqué le ministre de la Défense nationale et des anciens combattants à la représentation nationale pour obtenir 15 jours de prorogation de l’état
de siège, et qui transparaît dans une déclaration du MLC Jacques Djoli appelant ses collègues députés et l’opinion à la patience. Pour ce professeur de droit constitutionnel mais néanmoins ancien officier de l’armée, les FARDC sont dans une phase de recadrage, de planification. Mais aussi,
que le gouvernement est dans un schéma d’optimisation des moyens de
déploiement, passablement handicapé par la Covid-19 et l’éruption du
Nyiragongo. Sur le terrain des opérations militaires au NordKivu et en Ituri, les FARDC n’ont donc pas encore déployé toutes leurs forces.
L’espoir reste permis.
LE MAXIMUM