Il était une fois un chef d’État confronté à une rébellion armée qui avançait vers la capitale de son pays pour tenter de le renverser. Il décide alors de se rendre sur le front pour faire face. Lors d’intenses combats, il est blessé et décède quelques heures plus tard. Cela ressemble à une histoire de l’époque lointaine où les dirigeants de pays, et notamment les rois, étaient aussi des guerriers, c’est pourtant le sort tragique qu’a connu Idriss Déby Itno, le 19 avril dernier. Du moins, selon la version officielle.
Le président tchadien, 68 ans, dont trente au pouvoir, est décédé des suites de ses blessures alors qu’il commandait ses troupes engagées dans des combats contre le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT). Ce groupe rebelle politico-militaire est dirigé par Mahamat Mahdi Ali, réfugié politique pendant plus de vingt-cinq ans en France et ancien militant du Parti socialiste français.
Dictateur et partenaire-clé
Commentant les circonstances peu ordinaires de la mort du chef d’État, Roland Marchal, professeur à Sciences politiques et spécialiste du Tchad, remarque: « Cela lui ressemble. À la fois très courageux et un peu inconscient .» De son vivant, Idriss Déby, militaire de carrière formé en France, se vantait d’être un des seuls dirigeants au monde à aller se battre avec son armée sur le front. Il s’était déjà illustré ces dernières années en commandant lui-même, sur le terrain, des opérations militaires pour traquer des groupes terroristes dans la zone du lac Tchad.
Pour récompenser sa «bravoure», l’Assemblée nationale tchadienne l’avait même élevé en 2020 au rang de maréchal, le plus haut grade militaire du pays. Une consécration symbolique pour ce soldat arrivé au pouvoir par les armes en 1990, après un coup d’État contre l’ex-président Hissène Habré.
Perçu comme un dictateur par ses opposants et comme un partenaire-clé par la communauté internationale (dont la France) dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, Idriss Déby venait juste avant sa mort d’être réélu pour un sixième mandat avec un score soviétique: 79,32% des voix.
C’est lors de cette brigue d’un sixième mandat que le FACT s’était remis en ordre de bataille, bien décidé à faire tomber le président tchadien. Si c’est chose faite, la mort brutale du «berger», Déby se surnommait ainsi, plonge le Tchad dans un avenir très incertain, tant le maréchal avait concentré tous les pouvoirs autour de sa personne.
Stabiliser le pays
Le 20 avril, les militaires ont annoncé la dissolution du gouvernement et du parlement pour créer un Conseil militaire de transition (CMT) avec, à sa tête, Mahamat Idriss Déby, un des fils du président défunt. Le général quatre étoiles de 37 ans sera chargé de diriger le pays pendant dix-huit mois, jusqu’à l’organisation d’une élection. Selon certaines rumeurs, le maréchal l’aurait adoubé sur son lit de mort.
Ironie de l’histoire, dans la Constitution tchadienne adoptée en 2018, Idriss Déby, qui n’avait pas vraiment envisagé sa succession, avait fixé à 40 ans l’âge minimum pour devenir président. Succès Masra, un jeune homme de 38 ans, diplômé de Sciences Po Paris, qui était l’un de ses plus farouches opposants, avait dénoncé à l’époque une disposition pour l’écarter de la course à la présidence. Une mesure constitutionnelle qui ne s’applique pas au fils Déby, confirmé dans ses fonctions grâce à une charte de transition publiée mercredi 21 avril sur le site de la présidence.
Décrit comme «calme» et «discret» par ses proches, le jeune général commandait jusqu’ici la garde présidentielle. Contrairement à son père qui a fait une partie de sa formation militaire en France, en dehors d’un bref passage au lycée militaire d’Aix-en- Provence, Mahamat Déby est un pur produit du système militaire tchadien.
C’est sur un terrain miné qu’avance le jeune général propulsé à la tête du pays. «Il est bien connu dans les arcanes de l’armée tchadienne. Il a occupé la tête de la DGSI, les services de sécurité. C’est quelqu’un de déjà très reconnu. Il a également travaillé au cabinet de son père. Néanmoins, c’est une période d’instabilité car l’on peut aujourd’hui parler de coup d’État de la part des militaires. La Constitution prévoit que le président de l’Assemblée doit prendre le pouvoir», explique à TV5Monde, Kelma Manatouma, chercheur en Sciences politiques à l’université Paris-X Nanterre. Pour tenter de justifier un coup d’État militaire qui ne dit pas son nom, les proches du président défunt continuent d’affirmer que la mise en place d’un Conseil militaire de transition était la seule solution pour stabiliser le pays. Le président de l’Assemblée nationale, qui était censé assumer l’intérim en cas de vacances du pouvoir, a assuré avoir donné son autorisation pour la mise en place du CMT.
Un coup de force
Cependant, le choix de Mahamat Déby pour succéder à son père est loin de garantir la stabilisation du pays. Certains observateurs craignent notamment un conflit au sein de la famille Déby, le maréchal ayant plusieurs enfants dont certains se considèrent plus légitimes que Mahamat.
«Tout le monde dit que Mahamat, c’est le fils d’Idriss Déby mais en réalité, ce n’est pas son fils biologique. C’est le fils d’un de ses amis morts au combat qu’il avait décidé d’adopter. Donc il y a une possibilité qu’il ne soit pas accepté comme successeur légitime par tous les autres enfants ou même par les neveux et cousins de Déby, s’il venait à chercher à rester durablement au pouvoir», relève un journaliste qui connaît bien le Tchad. C’est donc sur un terrain miné qu’avance le jeune général propulsé à la tête du pays.
Mahamat Déby pourrait également faire face à la méfiance d’une partie de l’élite tchadienne issue de l’ethnie zaghawa. Comme dans beaucoup de pays africains, au Tchad, la dimension ethnique ne peut être écartée au moment d’analyser une situation politique et les rapports de force. Comme son père, Mahamat Déby appartient à l’ethnie zaghawa, dont les membres sont nombreux au sein des hauts gradés de l’armée. Mais sa mère et sa femme, une journaliste au service de la presse présidentielle, sont issues de l’ethnie gorane. La communauté zaghawa se méfie donc de Mahamat, qu’elle ne considère pas forcément comme étant des leurs.
Le calme avant la tempête?
«Dans cette période d›après Déby, ce sera soit la paix soit la guerre», s’accordent à dire plusieurs experts. Les rebelles du FACT, basés à 300 kilomètres de la capitale, observent une trêve depuis l’annonce de la mort du président. Après avoir menacé d’attaquer s’il n’y avait pas un retour à l’ordre constitutionnel, ils se sont dit ouverts à la discussion. Une main tendue qu’a immédiatement refusé la junte militaire. «L’heure n›est ni à la médiation, ni à la négociation avec des hors-la-loi», a martelé le porte-parole du CMT.
La rhétorique guerrière des deux camps pourrait donc aboutir à de nouveaux violents affrontements dont l’issue offrira deux scénarios. La déroute de la rébellion permettant au Conseil militaire de transition de rester au pouvoir ou l’arrivée des rebelles dans la capitale pour renverser la junte militaire.
Dans le cas du deuxième scénario, le pays pourrait compter sur la France, comme le laisse penser Emmanuel Macron, lors de son discours d’hommage à son «ami Idriss Déby»: «La France ne laissera jamais personne remettre en cause, ne laissera jamais personne menacer, ni aujourd’hui ni demain, la stabilité et l’intégrité du Tchad».
Seul chef d’État occidental à avoir assisté aux obsèques du président tchadien et à avoir rencontré le fils Déby, Macron est accusé par les opposants tchadiens de cautionner de facto le coup d’État militaire et de vouloir maintenir à tout prix le système Déby, même après sa mort au nom des intérêts de la France dans la région
Moïse MOUNKORO