Le 31 mars 2021, la RDC a lancé officiellement l’Entreprise générale de cobalt (EGC), société présentée déjà comme l’arme ultime du gouvernement pour résoudre les problèmes rencontrés par le pays pour assurer un approvisionnement responsable en cobalt. Installée à Kolwezi dans la province minière de Lualaba, réputée riche en cobalt, l’EGC a en effet vocation à encadrer l’exploitation artisanale de cobalt, secteur qui fait l’objet de critiques ces dernières années à cause des cas de violations des droits humains identifiés par des ONG. C’est également le dernier acte en date d’un processus plus large visant à changer l’image du secteur à l’échelle internationale.
Le contexte
Janvier 2016, Amnesty International, organisation de défense des droits de l’homme et prix Nobel de la paix, publie un rapport au vitriol sur les politiques d’achat de cobalt de géants mondiaux comme Apple, Huawei, Volkswagen ou encore Microsoft. Intitulé « Voilà pourquoi on meurt » en majuscules et en gras, le document de 92 pages réalisé de concert avec Afrewatch décrit notamment comment de jeunes enfants, âgés parfois de seulement sept ans, sont impliqués dans l’extraction du minerai. Le produit serait ensuite acheté par une filiale locale du chinois Huayou Cobalt qui le traite et le revend à des fabricants de composants de batteries de l’empire du Milieu, lesquels cèdent le produit fini aux firmes suscitées.
Évoquant également leurs conditions périlleuses de travail, ce rapport a remis sur le devant de la scène l’insuffisance des règles encadrant l’exploitation artisanale de cobalt en RDC. Quelques mois plus tard, Apple, Dell ou HP ont donc fait des efforts de transparence, publiant notamment la liste de leurs fournisseurs et mettant en place de nouvelles politiques de vérification des violations de droits humains dans leurs chaînes d’approvisionnement. Ces efforts en rangs dispersés ne peuvent néanmoins pas résoudre le problème, ce qui explique les espoirs placés en l’EGC, première organisation d’envergure à regrouper les différents acteurs de la chaîne de valeur du cobalt.
Les normes d’approvisionnement responsable d’EGC
Il y a cinq ans, lors de la publication du rapport d’Amnesty, le gouvernement de Joseph Kabila a rejeté les principales conclusions du document, évoquant les dispositions prises pour réglementer le secteur. Si cette sortie n’a convaincu personne à l’époque quant à la réalité sur le terrain, c’est bien parce que d’autres organisations ont aussi relevé le phénomène, comme l’Unicef qui a estimé en 2014 le nombre d’enfants dans les mines du sud de la RDC (région riche en cuivre et cobalt) à 40.000.
En 2014, l’UNICEF a évalué à 40.000 le nombre d’enfants travaillant dans les mines du sud de la RDC.
Dans la seule province du Lualaba, ils seraient près de 9.000, en majorité des filles, à travailler dans les mines de cobalt, d’après un rapport du groupe de la BAD. C’est donc pour mettre fin à ce phénomène que l’EGC a été créée par décret en 2019 pour encadrer la production et la vente du cobalt extrait artisanalement.
EGC a ainsi mis en place des «normes d’approvisionnement responsable» qui concernent non seulement les mineurs, mais aussi les futurs acheteurs et la société elle-même. Par exemple, EGC s’engage à assurer «une tarification juste et transparente», tenant compte des données de marché externes, pour le cobalt acquis auprès des travailleurs individuels et des coopératives minières. Cela tranche avec l’attitude des négociants locaux habituels qui proposent aux artisans miniers des prix très éloignés des cours du marché mondial. Cela devrait contribuer à offrir aux ménages de meilleures conditions de vie, éloignant donc la tentation de faire travailler aussi les enfants pour accroitre le revenu familial.
EGC a mis en place des «normes d’approvisionnement responsable»
De toute façon, EGC supervisera les sites d’exploitation artisanale où elle s’approvisionne, afin de garantir qu’aucun enfant n’y travaille. La société veillera également à la sécurité des adultes en interdisant toutes les excavations dépassant 10 mètres de profondeur. Si on y ajoute l’interdiction de creuser des tunnels, EGC aura ainsi résolu le problème des effondrements de puits miniers qui ôtent la vie à des dizaines, voire des centaines de travailleurs chaque année.
En ce qui concerne le financement et le soutien technique, EGC pourra compter sur les différents partenariats qu’elle va nouer avec des acteurs internationaux de la chaîne de valeur. La société a ainsi déjà conclu un accord avec le géant des matières premières Trafigura. Ce dernier s’est engagé à financer la création des fameux sites artisanaux contrôlés par l’EGC, mais aussi les stations d’achat du minerai. EGC fournira au négociant suisse, le produit acheté auprès des mineurs artisanaux.
Un autre acteur important de ce projet est l’ONG Pact, qui est habituée à travailler avec les communautés locales dans la formalisation et la sécurisation de l’exploitation minière à petite échelle.
Les efforts d’autres acteurs de l’industrie
Avant la création de l’EGC, plusieurs programmes ont vu le jour afin de garantir un approvisionnement responsable en cobalt. Sur le modèle de la nouvelle société publique congolaise, l’allemand RCS Global, spécialiste de l’audit des chaînes d’approvisionnement a lancé depuis quelques années son programme «Better Mining» en RDC. C’est aussi un plan de surveillance des sites miniers artisanaux, visant à garantir que la production est exempte des critiques habituels : travail des enfants, manque de sécurité sur les sites, etc.
En attendant les batteries sans cobalt, Tesla a adhéré à la Fair Cobalt Alliance
«Permettre au cobalt produit de manière responsable par l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (ASM) d’entrer dans les chaînes d’approvisionnement internationales, garantira le maintien des moyens de subsistance des personnes qui dépendent de l’ASM tout en respectant les droits de l’homme et en mettant en œuvre de meilleures pratiques», explique Ferdinand Maubrey, DG de RCS.
Notons que la société a reçu en août dernier le soutien de la Responsible Minerals Initiative, une autre organisation qui œuvre pour des chaînes d’approvisionnement sûres dans le secteur minier. Alors que le programme Better Mining concernait seulement trois sites au moment de l’accord, le partenariat entre les deux organisations permettra de l’étendre à 12 sites d’ici 2023, touchant 20.000 mineurs au lieu d’environ 5.000 à l’époque.
Sur un autre front, les acteurs du secteur fondent beaucoup d’espoir sur la Fair Cobalt Alliance (FCA). Sept membres fondateurs, dont le géant suisse des matières premières Glencore ainsi que Huayou Cobalt ou l’ONG The Impact Facility, ont mis sur pied la FCA avant d’être rejoints par d’autres géants comme Tesla ou Volvo. Au nombre de 16 sociétés ou organisations début avril 2021, elles veulent professionnaliser la gestion de l’ASM en RDC. Un mécanisme de suivi veillera ainsi au contrôle des mines, alors que des projets communautaires offriront d’autres moyens de subsistance aux populations, afin de limiter le risque d’un recours aux enfants dans les mines.
Une réglementation à changer
La multiplication des projets d’assainissement du paysage minier artisanal en RDC, avec un accent particulier sur le secteur du cobalt produit par les petits mineurs, dénote de la prise de conscience des acheteurs occidentaux quant à leur responsabilité dans la sécurisation de l’extraction. Cependant, compter sur la seule bonne volonté des compagnies minières, des géants de l’électronique et de ceux de l’automobile, ne suffira pas à changer définitivement les choses. La coercition doit entrer en œuvre avec une réglementation à la hauteur. Par exemple, il faut songer à classer le cobalt comme un minerai de sang, à l’image du diamant ou du coltan en Afrique centrale. Cette classification obligera en effet les acheteurs à appliquer les mêmes protocoles de contrôle auxquels ils sont déjà tenus pour les autres produits suscités.
Cela permettra progressivement d’exclure des chaînes d’approvisionnement le cobalt ne provenant pas de sources responsables et réduira sans doute les critiques pour un minerai au futur prometteur.
AVEC ECOFIN