Le court séjour de Joseph Kabila aux Emirats-Arabes-Unis a fait jaser dans le microcosme politique kinois et congolais. Sans apporter toute la lumière sur la stratégie actuelle de Joseph Kabila, bien connu pour être extrêmement taiseux. Nos confrères de Jeune Afrique se sont essayés à décrypter ce que cache l’ancien maquisard et ex-locataire du Palais de la Nation derrière sa barbiche grise.
Arrivé le 22 février à Abu Dhabi, Joseph Kabila qu’accompagnait le professeur Kikaya Bin Karubi, son conseiller diplomatique a, selon plusieurs sources, eu plusieurs échanges en marge du salon international de défense (Idex) qui se déroulait dans la capitale émiratie. «Outre ces rencontres avec des personnalités du milieu de la défense et des services de renseignements, l’ancien président a aussi été reçu par des membres de la famille de l’émir Khalifa ben Zayed Al Nahyane (on le sait proche, notamment, du prince héritier Mohammed Ben Zayed)», renseigne Jeune Afrique.
Après Abu Dhabi, JKK a fait escale à Dar-es-Salaam pour un court séjour. C’est une ville qu’il connaît bien pour y avoir passé une grande partie de son adolescence aux côtés de son défunt père Mzee Laurent Désiré Kabila qui y était réfugié.
Le raïs a terminé sa tournée par une ultime étape à Harare (Zimbabwe) où il a rencontré le président Emmerson Mnangagwa qui l’a convié à dîner le 2 mars. C’est à l’issue de cette dernière escale qu’il a regagné Lubumbashi le 05 mars.
Alliés de la SADC
Le voyage à l’étranger de l’ancien président était intervenu dans un contexte politique particulier avec l’annonce par Félix Tshisekedi, son successeur, de la fin de la coalition qu’il formait avec Kabila, pour reprendre en main la majorité jusque-là détenue par ce dernier. Depuis lors, le 5ème président rd congolais a placé ses fidèles à la tête des deux chambres du parlement en attendant la formation du gouvernement de son nouveau 1er ministre, Sama Lukonde Kyenge.
Avant cette fin tumultueuse de la coalition, Kabila avait effectué un intense lobbying auprès des pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), organisation continentale dont il a toujours été très proche afin d’attirer l’attention de la communauté internationale sur la crise politique en RDC.
Les étapes de la Tanzanie et du Zimbabwe sur son voyage de retour ne doivent rien au hasard selon des sources qui notent que ces deux pays comptaient parmi les plus proches partenaires de la RDC à l’époque où il était au pouvoir.
Les digues s’effondrent
Largement majoritaire au début de la législature avec ses 336 députés, la plateforme politique du président honoraire de la RDC a littéralement chaviré. Jeanine Mabunda, présidente de l’Assemblée nationale et tout son bureau ont été évincés suite à une pétition, confirmant l’inversion des rapports de force politique en faveur de Fatshi et son Union sacrée de la nation. Le FCC a également vu lui échapper le contrôle de la primature et du Sénat. Tshisekedi a désormais les mains libres pour concevoir et imprimer sa propre vision politique.
Entre les réformes sociales, structurelles et électorales à mener et l’amélioration du bien- être des Congolais qui s’impatientent, il faudra un plan clair pour le chef de l’État afin de relever le défi et espérer convaincre le souverain primaire pour une victoire, moins controversée, en 2023.
En attendant, il doit faire face pas à une, mais à plusieurs oppositions.
La première d’entre elles est celle qui sera vraisemblablement menée par son ex-allié Joseph Kabila. Même si, pour l’instant, il est difficile de lire le plan de riposte de ce dernier. On peut penser qu’avant une hypothétique contre-attaque, l’ex-président tient à remettre de l’ordre dans sa boutique ou ce qu’il en reste, l’essentiel de ses députés ayant changé de camp. «Pour nous aujourd’hui, la réorganisation constitue l’enjeu principal», reconnaît Adam Chalwe, secrétaire national du PPRD, principale formation politique du FCC de Kabila.
Dans l’entourage de l’ancien chef de l’État, l’on décrit à la fois un Kabila «affecté» par les défaites successives de son camp sur le terrain politique et «résistant», en écho à ses années de maquis avec son père et à la guerre qui mit fin au régime de Mobutu en 1997. La réorganisation du FCC passe inévitablement par des fusibles à faire sauter. Premier acte : la mise en place d’un comité de crise, chapeauté par le très effacé ancien chef de la diplomatie Raymond Tshibanda avec pour conséquence que «Néhémie Mwilanya Wilondja n’est plus le coordonnateur du FCC», nous confie par message WhatsApp un très proche collaborateur de Kabila. Certes, aucune décision n’a été rendue publique à ce sujet, mais les faits sont parlants. «Mwilanya n’a plus agi en tant que coordonnateur du FCC depuis l’installation du comité de crise», comme l’indique Patrick Nkanga, rapporteur du bureau politique du PPRD.
Par ailleurs, Emmanuel Ramazani Shadary, secrétaire permanent du parti de Joseph Kabila et surtout candidat malheureux à la présidentielle de 2018 fait face à une grogne interne de jeunes de la famille politique kabiliste dont certains réclament à cor et à cri depuis quelques semaines son éviction.
Malgré tout, le FCC tente désormais de « développer des mécanismes d’adaptation à un environnement de plus en plus glissant et aléatoire». L’inventaire des dégâts nécessite de répondre à la question de savoir qui est encore avec le «Raïs».
Pour y voir clair, les sociétaires du front attendent la sortie du gouvernement Sama Lukonde pour voir si d’autres fidèles de Joseph Kabila n’auront pas rejoint l’Union sacrée, à l’instar de tant d’irréductibles d’hier qui ont annoncé leur adhésion à la plateforme tshisekediste.
L’autre question, et non des moindres, est la suivante: comment Kabila, après tous ces revers politiques, pourra-t-il se présenter dans un court délai comme une alternative plausible ? Va-t-il briguer la magistrature suprême en 2023 ? L’hypothèse n’est pas exclue même si à certains de ses interlocuteurs reçus dans sa ferme de Kashamata, près de Lubumbashi avant de s’envoler pour Abu Dhabi, le sénateur avait donné l’impression d’être un homme dégoûté par la politique, alors que sa famille politique le considère toujours comme son candidat naturel.
Du point de vue idéologique, les partis congolais présentent généralement la même offre politique. Le choix des électeurs s’y opère en considération de la personne qui se présente.
Quelle issue pour le FCC ?
Malgré d’importants moyens de campagne mis à sa disposition en 2018, son dauphin Shadary n’a pas pu dépasser la barre de 25 % à l’élection présidentielle. L’ancien chef de l’État apparaît donc comme incontournable dans son camp.
On rappele à cet égard le sort d’autres anciens partis au pouvoir en Afrique. Le Parti de la convention du peuple (CPP) de Kwame N’krumah au Ghana, jadis puissant a été relégué par la suite au rang d’une formation politique sans envergure nationale. Idem pour le Parti socialiste (PS) de
Léopold Sédar Senghor au Sénégal qui n’a pu présenter de candidat à la présidentielle de 2019, se contentant de soutenir le sortant Macky Sall. Le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo et le Parti démocratique sénégalais (PDS) d’Abdoulaye Wade n’ont pas fait mieux.
Kabila et son PPRD et/ou FCC auront-ils un sort différent ? That is the question.
Si le bilan social des 18 ans de règne de l’ex-président ne plaide pas en sa faveur, Joseph Kabila pourrait se murmurer, le moment venu, la célèbre phrase du philosophe français Pierre Theillard De Chardin: «Quand je me regarde je me désole, quand je me compare, je me console». Plusieurs cadres de sa famille politique abondent dans ce sens. «En 2023, il s’agira de comparer le bilan de l’un et de l’autre : les Congolais évalueront par eux-mêmes si Tshisekedi aura fait mieux que Kabila et dans quel secteur de la vie nationale», insiste Patrick Nkanga qui précise que «cela ne veut pas dire que nous souhaitons que Félix Tshisekedi ne réussisse pas; ce sont plutôt des méthodes pour réussir qui nous opposent».
Parmi les éléments mis en exergue à l’actif du président honoraire de la RDC: le compromis politique de Sun City coulé dans la Constitution du pays. Ce compromis, conclu au début des années 2000, voudrait que l’accession au pouvoir ne passe que par la voie des élections pour mettre fin à la crise récurrente de légitimité au sommet de l’État. Ce à quoi les proches de Tshisekedi rétorquent que certres sous Joseph Kabila, les Congolais ont été appelés à choisir leur président à trois reprises, mais les résultats de ces scrutins n’ont pas toujours reflété leurs choix.
Qu’à cela ne tienne, le camp Kabila inscrit à son bilan la réunification du pays qui a mis fin en 2003 aux rébellions du MLC dans le Nord-Ouest et du RCD dans l’Est du pays. Même si, dans la partie orientale de la RDC, des bruits de bottes n’ont jamais vraiment cessé de se faire entendre.
De fait, dans l’histoire politique congolaise, depuis l’indépendance, le bilan de la gestion passée n’a jamais aidé à reconquérir le pouvoir. C’est le cas entre autres des lumumbistes qui, malgré l’aura du Héros national Patrice Lumumba, n’ont pu y parvenir jusqu’à l’avènement de Mzee Laurent Désiré Kabila en 1997, 36 ans après l’assassinat de leur maître.
C’est sans doute pourquoi au sein de la famille politique de Joseph Kabila, l’idée de repartir à zéro a été évoquée par certains cadres, parmi lesquels le jeune député Jean-Pierre Lihau Kalokola qui a finalement rejoint l’Union sacrée de la nation.
Il s’agirait d’un véritable aggiornamento consistant à changer jusqu’au nom de l’ex-parti présidentiel et à reconstituer une nouvelle plateforme politique pour préparer la reconquête le moment venu. Dans cette perspective, des noms comme ceux de l’ancien 1er ministre Matata Ponyo et de l’ancienne speakerine Jeanine Mabunda avaient été cités sans convaincre grand monde. Pour l’instant, après le retour au pays de Joseph Kabila on attend une convention de sa famille politique pour y voir un peu plus clair dans la stratégie mise en place.
D’ici là le président Félix Tshisekedi et son Union sacrée auront-ils réussi là où la coalition FCC-CACH a échoué ? C’est à voir. Les attentes et les promesses sont nombreuses : le retour de la paix à l’Est, le succès de la mesure-phare de la gratuité de l’enseignement, l’amélioration du social et les réformes annoncées. La liste est loin d’être exhaustive. Ironie du sort, dans son nouveau rôle d’opposant qui se dessine, le camp Kabila promet de « veiller à ce que tout ceci se passe dans le respect des textes ».
A.M avec LE MAXIMUM