L’intérêt plutôt militant des prélats catholiques à la situation politique du pays est enraciné dans la tradition de l’église catholique congolaise. Le bras de fer qui oppose de manière récurrente les princes de cette congré- gation religieuse à l’Etat rappelle les relations quasi conflictuelles même si on n’est jamais allé jusqu’à la rupture entre les deux ‘‘pouvoirs’’. Le dernier esclandre que le porte-parole du chef de l’Etat a tenté de minimiser, après une vigou- reuse mise au point de ses propres services de communication, indique que les prélats tiennent à demeurer une force capable de freiner les élans et errements éventuels du pouvoir temporel, quel qu’il soit. Au nom de cette sorte d’équilibrisme politicoclérical à la congolaise, l’époque où l’UDPS et la CENCO frayaient dans les mêmes eaux est reléguée aux oubliettes. Même si on n’est pas encore en face d’un conflit, la crise est aux portes et guette le pays. Il suffit de lire les titres de journaux parus à la suite du dernier communiqué de la CENCO exigeant la tenue des élections en 2023 pour s’en rendre compte. Sans vraiment innover, les évêques catholiques continuent de verser dans la contestation des logiques politiques et économiques élaborées sans leur bénédiction. Qu’une église, catholique soit-elle, ou ses dirigeants, s’érige en opposition au pouvoir établi dans un pays, cela n’a rien de nouveau dans l’histoire de l’humanité. Des Etats-Unis d’Amérique de Martin Luther au Brésil et du Chili, le rôle des églises en général dans l’opposition aux régimes en place ou dans les luttes dites de libération n’est plus à démontrer. Plus près de chez nous, en Afrique du Sud, l’évêque anglican Desmond Tutu s’est rendu célèbre en qualifiant récemment les dirigeants de l’ANC de Nelson Mandela de «médiocres», une terminologie que Laurent Cardinal Monsengwo utilisa contre le régime de Joseph Kabila. Desmond Tutu est une figure emblématique de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Ordonné pasteur en 1961 puis archevêque du Cap en 1986, il a été de tous les combats aux côtés de son vieil ami Nelson Mandela, allant jusqu’à titiller la super puissance américaine sur ce dossier. A eux deux, ils avaient ouvert à des millions de Noirs la voie de la l’éman- cipation après une lutte de plusieurs décennies. Tutu se verra par la suite confier la présidence de la célèbre commission sud-africaine «Vérité et Réconciliation» qui vit les bourreaux être confrontrés aux victimes de l’Apartheid. Un tra- vail qui lui a valu le prix Nobel de la Paix 1984. Le 25 juin 2000, deux jours après l’exécution par la justice américaine à Hunstsville de Gary Graham dont la culpabilité n’avait pas été clairement prouvée, l’évêque anglican avait demandé avec fermeté aux Etats-Unis d’abolir la peine de mort. «Je ne comprends pas pourquoi un pays si enclin à défendre les droits de l’homme ne réalise pas que la peine de mort est une obscénité», avait-il écrit. En 2013, il avait dénoncé toute l’étendue de la pauvreté en Afrique du Sud et prenant à témoin son complice Mandela, s’était exclamé : «s’il savait ce qui se passe, il en pleurerait. C’est totalement inacceptable». Avant d’ajouter en 2014 qu’il ne voterait plus pour l’ANC. «Ne votez pas comme des moutons…nous avons une chose précieuse : le droit de vote. Réfléchissez à ce que vous voulez en faire. Utiliser votre droit de vote. Réfléchissez, réfléchissez, réfléchissez !», insistait-il auprès de ses compatriotes quelques jours avant les dernières élections législatives.
La «Black Church» et les droits civiques
Cette spécificité du pro- testantisme américain représente environ 6,5% de personnes dans le paysage religieux américain. Elle englobe trois principales grandes familles dénominationnelles : les baptistes, les pentecôtistes et les méthodistes. Eglise de lutte et d’émancipation, la Black Church tire ses origines de l’escla- vage et de la ségrégation dont les noirs ont été victimes aux Etats-Unis d’Amérique. Certains maîtres avaient pris sur eux d’évangéliser leurs esclaves «afin de leur éviter la vie en enfer après la mort». Tout comme nombre de ces esclaves avaient, d’eux-mêmes, appris la parole libératrice de Dieu en observant les réunions religieuses qui se tenaient dans les plantations ou les lieux de cultes où ils pouvaient accompagner leurs maîtres, sans pour autant avoir le droit d’y participer. C’est dans ce contexte que les noirs se sont appropriés la religion de ces derniers, comme moyen de lutte et d’émancipation, spirituelles d’abord puis sociales. Dès lors, même s’ils se réjouissent de voir les noirs se convertir, une certaine méfiance s’était installée dans le chef des blancs qui craignaient des rébellions. La black Church est ainsi le reflet d’un pays divisé géographiquement, politiquement et socialement sur la question raciale. Au-delà d’une ligne doctrinale, la même église pouvait être plus sensible à la situation des noirs, selon qu’elle était implantée dans le Nord ou le Sud. La lutte et l’émancipation spi- rituelle ont laissé progressivement place à une tradition religieuse où la spiritualité était mise au diapason d’une cause sociale. De ce fait, la Black Church tenait lieu d’ascenseur social, un passage obligé des grands leaders. Barack Obama, le tout premier chef d’Etat de race noire en Amérique, est passé par là. Les pasteurs de la Black Church ne sont pas seulement des figures religieuses. Ils sont aussi des dirigeants engagés dans leurs communautés et mouillent leurs chemises pour la gestion de la cité. Parmi les plus connus, on peut retenir Martin Luther King pour son combat contre une Amérique raciste, Al Sharpton, ou récemment, Jeremiah Wright, le pasteur de Barack Obama qui n’hésitait pas à maudire l’Amérique à cause du traitement réservé aux Noirs.
L’église catholique et la crise au Brésil
A peine réélue présidente en 2014, la Brésilienne Dilma Rousseff a eu à affronter une contestation sans précédent suite au scandale Petrobras dans lequel étaient impli- quées de nombreuses personnalités politiques. Pour avoir présidé le conseil d’administration de cette méga société pétrolière entre 2003 et 2010, elle fut soumise à une honteuse procédure de destitution qui aboutit le 31 août 2016. Pendant cette crise, la Conférence nationale des évêques du Brésil (équivalent de la Cen- co) s’était prononcée publiquement dans un document de 24 pages qui exposait sa conception de la démocratie, intégratrice et de facto opposée à la destitution de la présidente. Les évêques brésiliens avaient dressé un diagnostic social et moral de leur pays pour ensuite proposer une voie de sortie de crise. Ce, en s’appuyant sur la doctrine de l’église romaine.
Ils avaient entre autres fustigé le mode de production capitaliste qui exerce une influence qui, au-delà de l’économie, contrôle de manière autoritaire la conscience des citoyens. Ils ont encouragé une culture fondée sur l’éthique, de nouvelles représentations sociales pour extirper le néo-libéralisme de la tête de leurs compatriotes, indiquant que «les élus, de façon générale, paraissent loin du pays réel, et plus particulièrement des citoyens les plus pauvres», avant d’affirmer que «la démocratie brésilienne exige une urgente révision».
Le Chili, exemple d’une inspiration chrétienne en politique
Dans les années 1930, des étudiants catholiques chiliens, influencés entre autres par les encycliques sociales fondèrent le Mouvement national de la jeunesse conservatrice puis le parti démocrate-chrétien. Après quelques malenten- dus avec la hiérarchie de l’église, ce mouvement politique finit par reje- ter le soutien implicite de l’église car depuis 1925, la constitution chilienne avait consacré la séparation de l’Eglise et de l’Etat et institué un régime d’«Eglise libre dans un Etat libre». La présence d’un mouvement démocrate-chrétien au Chili s’explique par la culture européenne de l’Amérique latine. L’église catholique y a introduit des idées sociale-chrétiennes pendant la période coloniale. La communauté idéologique chilienne est fondée sur la bible, les documents ecclésiastiques et les encycliques sociales ainsi que sur les écrits des penseurs chrétiens comme le père Louis-Joseph Lebret. L’église dans ce pays constitue l’un des trois piliers de la nation à côté de l’Etat et des forces armées. Depuis la colonisation, elle a participé activement à la vie politique, économique, sociale et culturelle. Elle fut même une des actrices de la transition des années 1970 et 1980 mais depuis 1990, son influence s’est réduite et elle est restée une simple force morale, d’opposition et de défense des victimes des violations des droits de l’homme.
Les églises et la recherche de la paix en Centrafrique
En République Centrafricaine, les religions se sont engagées avec détermination dans la résolution de la crise surgie dans ce pays en 2013. Les clergés catholique, islamique et protestant ont joué un rôle important en menant au pays et à l’étranger, un plaidoyer pour le rétablissement de la paix à travers des activités œcuméniques qui ont mobilisé les forces vives de la Nation contre les tensions communautaires.
Monsengwo et Etsou contre Mobutu et Kabila
Juin 1989, le cardinal Joseph-Albert Malula meurt à Kinshasa. Il a 72 ans. Son successeur, Frédéric Etsou Bamungwabi créé cardinal en 1991 par le pape Jean-Paul II, dirige la Conférence épiscopale nationale du Zaïre (actuel Cenco) à partir de 2000. S’il n’y a pas de crise ouverte entre Etsou et le pouvoir de Joseph Kabila, il fait cependant les déclarations commentées en sens divers. En mai 2004, il dit que «des forces obscures utilisent les frustrations ethniques pour s’emparer des richesses du territoire». En avril 2006, il appelle les Congolais à «récupérer le pays des mains des étrangers lors des élections de novembre. Vous avez abandonné le pays aux étrangers qui sont en train de le diviser. Nous ne faisons pas la politique… l’Église catholique a le devoir de donner un message d’amour, de dialogue et de tolérance en cette période décisive de l’histoire de notre pays». Le 13 novembre 2006, peu avant la publication de la victoire de Joseph Kabila à l’élection présidentielle, le cardinal Etsou lâche sur RFI: «Moi, comme pasteur, je n’accepte pas le mensonge. Malu-Malu en tant qu’abbé ne peut cautionner le mensonge. Nous voulons par les urnes la paix». Il mourra à Louvain (Belgique) en janvier 2007, à 77 ans, non sans avoir pratiquement maudit l’alors président élu Joseph Kabila. Son successeur, Laurent Monsengwo s’est, à son tour brouillé avec JKK en demandant aux «médiocres» de «dégager». L’histoire se répète avec l’actuel président congolais Félix Antoine Tshisekedi qui, après avoir vu son élection contestée par la toute puissante Cenco, se trouve lui aussi dans l’œil du cyclone.
A.M ET LE MAXIMUM