Lubumbashi s’est réveillée sous le crépitement de balles et d’armes lourdes. Les lushois qui s’apprêtaient à savourer la Saint Valentin, fête des amoureux, ont été forcés de se calfeutrer dans leurs domiciles en attendant l’accalmie. Ce type d’évènements est devenu récurrent depuis la création d’une nébuleuse rebelle, les «bakata-Katanga», une variante des résistants «mayi-mayi» kivutiens qui a pris ses marques dans l’ancienne province du Katanga après la transition 1+4.
À l’époque, d’aucuns soupçonnaient le séparatiste (fédéraliste) Gabriel Kyungu-wa-Kumwanza qui venait d’être élu président de l’Assemblée provinciale du Katanga d’être de mèche avec un certain Gédéon Kyungu, seigneur de guerre tristement célèbre dans le triangle de la mort Mitwaba-Nyunzu-Kabalo considéré comme le principal gourou de ce groupe mystico-religieux.
A l’époque, la constitution de la 3ème République venait de trancher le débat entre fédéralistes et unitaristes. Coupant la poire en deux, le constituant avait opté pour un État unitaire fortement décentralisé dans lequel les provinces seraient dotées d’une certaine autonomie assurée par un exécutif et une assemblée délibérante provinciaux comme dans les États fédérés. On tenait, face aux menaces de balkanisation, à sceller l’unité du pays au niveau central, source de légitimité des entités décentralisées pourvu au surplus de tous les pouvoirs régaliens. Sauf qu’au Katanga de Kyungu-wa-Kumwanza et de son poulain de l’époque, Moïse Katumbi, élu gouverneur de province après avoir dirigé pendant plus de 3 ans le PPRD dans la province cuprifère, la caisse de péréquation n’a pas beaucoup de défenseurs. Les leaders katangais de l’époque voulaient pour eux seuls la manne minière produite par ‘’leur’’ province et ne voulaient pas être les principaux contributeurs d’une caisse nationale de péréquation. Pire, la retenue à la source de 40% de recettes prévue par la constitution n’était pas concrétisée par un gouvernement central préférant de sporadiques et modiques rétrocessions jugées insuffisantes par les katangais.
Dans ce jeu du chat et de la souris, nombreux se mettent alors à inférer que les «bakata-Katanga» sont un levier utilisé par les autorités provinciales pour faire pression sur le pouvoir central. Une conviction d’autant plus vraisemblable que les autorités provinciales du Katanga y allaient d’une main molle dans l’éradication de ce phénomène. Recherché par la justice, Gédéon Kyungu finira par atterrir dans la Majorité Présidentielle de l’époque et usera de son influence pour faire réélire Joseph Kabila en 2011. Tous ces atomes crochus ont transformé la question des bakata-Katanga en un énigmatique mystère.
Velléités séparatistes
Pomme de discorde entre le roi des Belges Léopold II et l’explorateur anglais Cecil Rhodes, le Katanga dans sa configuration actuelle n’est entré dans l’escarcelle de l’État Indépendant du Congo tard qu’en 1900, soit 15 ans après la conférence de Berlin sur le bassin du Congo.
Avant la première guerre mondiale, le roi d’Angleterre remettra le dossier sur la table en proposant ce vaste territoire riche en minerais au chancelier allemand pour réduire ses appétits hégémonistes en Europe. Mais les Allemands peu au fait des richesses de ces colonies africaines firent la fine bouche. Cédé à la Belgique en 1908 par Léopold II, le Congo-Belge devint une success story économique grâce à la mise en valeur du sous-sol katangais boostée par les bénéfices de l’ivoire, de l’hévéa et de l’huile de palme du domaine de la couronne. Plusieurs sociétés à charte de l’époque composèrent ainsi le holding Union minière du Haut-Katanga, devenu plus tard Gécomines, puis Gécamines sur fond d’un interminable contentieux belgo-congolais que la loi Bakajika votée en 1966 a théoriquement clos.
À l’indépendance, le Katanga est écartelé entre deux grandes formations politiques qui s’étaient affrontées aux élections municipales de 1957 à Élisabethville (Lubumbashi) et Jadotville (Likasi). À forte prédominance ethnique, ces deux partis politiques regroupaient d’une part les populations lunda, tshokwe, bayeke et babembe (Sud), et d’autre part les balubakat (Nord). La Conakat, parti du Sud est dirigée par Moïse Tshombe, homme d’affaires prospère très bien introduit auprès des européens. Jason Sendwe et Rémy Mwamba Ilunga sont quant à eux à la tête du parti du Nord dénommé Balubakat. Lorsque 11 jours après l’indépendance du Congo, l’Union minière du Haut-Katanga (UMHK) engage Tshombe à couper les vivres à l’indocile Lumumba en proclamant la sécession du Katanga, la Balubakat de Sendwe dans laquelle militait un certain Laurent-Désiré Kabila s’y oppose en soutenant le 1er ministre Lumumba.
Selon plusieurs historiens, si la sécession katangaise n’a pas atteint ses objectifs malgré un environnement international favorable, c’est en raison de la farouche opposition des Balubakat (Tanganyika, Haut-Lomami), numériquement plus importants et politiquement mieux organisés.
Mort dans des circonstances mystérieuses à Alger après avoir été incarcéré par le progressiste Houari Boumediene, Tshombe, qui avait été chassé du pouvoir à Kinshasa par Mobutu après avoir raflé haut la main les législatives de 1965 et fait voté en tant que 1er ministre une nouvelle constitution soumise au référendum, n’en était pas moins devenu un mythe dans sa province natale où les libertés fondamentales étaient confisquées par la dictature mobutienne.
Nathanaël Mbumba fut le premier à rameuter quelques anciens gendarmes katangais tshombistes retranchés en Angola voisin pour se lancer à la conquête du Katanga rebaptisé alors Shaba par Mobutu dont le régime ne parvint à reprendre la main que grâce à des troupes aéroportées marocaines, belges et françaises. En 1992, l’affaiblissement de Mobutu raviva le sentiment indépendantiste katangais. Pour diviser l’Union sacrée de l’opposition radicale et Alliés (USORAL) emmenée par le luba kasaïen Étienne Tshisekedi wa Mulumba auquel s’étaient joints les katangais Ngunz et Kyungu wa Kumwanza, Mobutu conclut une alliance avec ces derniers. En échange du strapontin de 1er ministre offert à Ngunz, les deux compères désavouèrent Tshisekedi et chassèrent brutalement ses «frères» luba-kasaïens établis depuis des lustres au Katanga qualifiés par Kyungu de ‘’bilulu’’ (insectes). Le slogan cher à Tshombe : «Katanga ni yetu Katangais Katangaises» retentissait ainsi à nouveau au Zaïre de Mobutu. Seule nouveauté : la fusion des leaders proches de Mobutu dans les deux communautés du Nord et du Sud dans ce combat identitaire.
Les balubakat et les tribus du Sud, séparés dans les années 60 convoleront désormais en justes noces au sein des partis fédéralistes créés par leurs leaders Kyungu-wa-Kumwanza (mulubakat) et Ngunz a Karl-i-bond (ruund du Sud). Après la mort de ce dernier, Kyungu-wa-Kumwanza portera seul le flambeau katangais et se surnommera même «Baba wa Katanga» (le père du Katanga). Nombre de membres de sa communauté jadis lumumbisée et unitariste s’en viendront enrichir le nouveau vivier du séparatisme katangais. L’avènement au pouvoir à Kinshasa de Mzee Laurent Désiré Kabila, un mulubakat lumumbiste radical et autoritaire, calma pendant un temps ces ardeurs sécessionnistes indépendantistes des katangais.
En ayant un des leurs à la tête du pays (il sera remplacé après son assassinat en 2001 par son fils Joseph), les katangais s’efforceront de mettre entre parenthèses leurs atavismes anti-unitaristes. Il n’en demeure pas moins que des mouvements comme les bakata-Katanga entretenus à la base par certains leaders communautaires ont toujours tendance à réveiller les vieux démons.
Fatshi sur des charbons ardents ?
La première fois que la jacquerie de ce mouvement rebelle mystico-religieux avait été sévèrement réprimée par les FARDC, c’est lors de leur incursion à Lubumbashi en 2019 après la passation du pouvoir entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. La même rigueur sera de mise quelques mois plus tard contre leurs semblables du mouvement syncrétique Bundu dia Kongo de Ne Muanda Nsemi à Kinshasa et Songololo. Dans les vidéos des miliciens Bakata katanga capturés postées sur les réseaux sociaux, l’on pouvait constater que leurs noms avaient une consonance balubakat, ce qui confirme la réimprégnation de l’idéologie séparatiste parmi les masses du Nord de la province cuprifère après une éclipse correspondant au règne des Kabila père et fils.
Certains chroniqueurs établissent un lien entre les évènements politiques en cours à Kinshasa et la nouvelle incursion des bakata-Katanga à Lubumbashi. La requalification de la majorité parlementaire, la reconfiguration du paysage politique suite à la naissance de l’Union sacrée de la Nation, la démission du gouvernement Ilunga Ilunkamba, un katangais, après le vote d’une motion de censure, la mise au vert volontaire de l’ancien président Joseph Kabila dans la périphérie de Lubumbashi, l’arrestation du pasteur mulubakat Daniel Ngoy Mulunda après un prêche controversé, et enfin la publication d’une enquête de RFI mettant en cause un autre leader mulubakat, le général John Numbi, dans l’assassinat du défenseur des droits de l’homme Floribert Chebeya ont visiblement fait monter la tension au Sud du pays. Beaucoup voient dans cette énième promenade macabre des bakata-Katanga une protestation en guise de soutien aux personnalités katangaises présentées comme victimes de la politique du fait accompli du président Félix Tshisekedi. D’autres pensent que la réconciliation entre pro-Kabila et pro-Katumbi serait en cours, ce qui fait craindre une scissiparité plus dangereuse de cette contrée minière, principale pourvoyeuse en devises au Trésor public rd congolais. Pour les tenants de cette thèse, l’incursion des bakata-Katanga dimanche à Lubumbashi serait un chantage larvé pour forcer le chef de l’État à jeter son dévolu sur un 1er ministre katangais afin de compenser les humiliations infligées à Joseph Kabila.
Quoiqu’il en soit, la persistance de la milice bakata-Katanga qui sert de cheval de Troie aux atavismes sécessionnistes de plus en plus assumés est une épine dans le pied de la République qu’il faut ôter avec tact, doigté et sagesse. Il ne serait dans l’intérêt de personne de sensé en RDC que cette bombe éclate en ce moment où elle risque de tout ravager sur son passage dans un environnement aussi déletère.
JBD