Alors qu’il officiait une messe d’action de grâce en mémoire de Laurent Désiré Kabila samedi 16 janvier 2021 en la cathédrale Notre Dame du Congo, l’archevêque métropolitain de Kinshasa Fridolin Ambongo a exhorté la famille biologique de l’ancien président de la République assassiné il y a 20 ans en son cabinet de travail à pardonner ses meurtriers. Au cours de cette célébration à laquelle avaient pris part des membres de famille de l’illustre disparu dont l’ex-première dame Olive Lembe Kabila, épouse du prédécesseur de Félix Tshisekedi, il leur a lancé un appel solennel à se laisser réconcilier avec Dieu et avec eux-même en vue d’un nouveau départ.
Après son homélie, l’archevêque de Kinshasa ensemble avec Marie-Olive Lembe Kabila sont allés au mausolée de feu le président Laurent Désiré Kabila où il a déposé sa gerbe des fleurs au cours d’une cérémonie en présence du président de la République Félix Tshisekedi.
Ci-dessous, l’intégralité du message du prélat catholique :
Chers Frères et Sœurs dans le Seigneur,
1. Nous sommes venus aujourd’hui saluer la mémoire de Laurent-Désiré Kabila (affectueusement appelé M’Zee), Ancien Chef de l’Etat de notre pays, la RD Congo et Héros National. Nous prierons pour lui, pour sa famille et pour la Nation qu’il a aimée et servie. Nous prierons également pour ceux qui à la suite cette mort ont connu des grandes souffrances.
2. Nous le savons : il y a vingt ans, le 16 janvier 2021, disparaissait de façon tragique le Président Laurent-Désiré Kabila.
1) Sa mort a été une source de déchirement dans sa famille qui perdait brutalement un père, un frère ou un fils. Elle voyait se fondre tous ses espoirs légitimes et même le symbole de sa fierté.
2) Sa mort fut également une source de déchirement pour la Nation congolaise tout entière à qui on a arraché un Président, le Père de la Nation, qui commençait à susciter l’espoir et la lueur d’un nouveau départ.
3) Devant un tel drame, il était normal d’établir des responsabilités et d’appliquer la justice vis-à-vis des coupables. Plusieurs personnes ont été arrêtées. Ils ont connu la privation de leurs libertés, la souffrance morale, psychologique et parfois le rejet social. Même si nous pouvons nous poser la question de la certitude morale de leur culpabilité, aujourd’hui nous tenons à remercier Son Excellence Monsieur Le Président de la République, chef de l’Etat, pour la mesure de grâce qu’il vient de leur accorder. Ce geste hautement significatif ouvre la possibilité d’envisager autrement l’avenir.
Frères et Sœurs
4) Vingt ans après, alors que des souvenirs sont encore frais dans notre mémoire, nous nous sommes donné rendez-vous en ce lieu pour offrir le sacrifice de l’Eucharistie, c’est-à-dire pour nous ouvrir au mystère de Jésus-Christ, Notre Seigneur, qui, par sa mort sur la croix et sa résurrection, a vaincu la mort, a détruit le mur de la haine et a répandu la lumière qui dissipe les ténèbres qui viennent des rancœurs et de la soif de vengeance.
5) En ce jour où nous évoquons la mort du Président Laurent Désiré Kabila, et les souffrances vécues par sa famille et tous ceux qui ont été affectés par cette tragédie, nous avons besoin de cette lumière du Christ pour nous inspirer et guider nos pas devant l’avenir que nous voulons construire ensemble dans la paix, la réconciliation et la cohésion nationale.
Chers Frères et Sœurs,
6) La Parole de Dieu méditée en cette circonstance nous donne une direction. Dans la première lecture, l’apôtre Paul préoccupé par les dangers de la division au sein de la jeune communauté de Corinthe, enseigne que par sa mort et sa résurrection, Jésus-Christ a réconcilié les hommes avec Dieu et les hommes entre eux. Comme dit Saint Paul : «si donc quelqu’un est dans le Christ, c’est une création nouvelle : l’être ancien a disparu, un être nouveau est là. Et tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec Lui par le Christ et nous a confiés le ministère de la réconciliation. Car c’était Dieu qui se réconciliait le monde, ne tenant pas compte des fautes des hommes et mettant en nous la parole de réconciliation » (2 Co 5, 17-19).
7) Ainsi au lieu de se laisser distraire par d’inutiles querelles de pouvoir au sein de la communauté chrétienne, Saint Paul lance cet appel solennel et pathétique aux fidèles de 3 3 Corinthe : « nous vous supplions au nom du Christ : laissezvous réconcilier avec Dieu » (2 Co, 5,20b).
8) La réconciliation dont parle Saint Paul s’enracine en Dieu et marque le début des relations totalement nouvelles. C’est une cessation des hostilités dont Dieu prend l’initiative. En effet, l’homme est incapable par lui-même de se réconcilier avec Dieu qu’il a offensé. Seuls des hommes et des femmes réconciliés en Dieu avec eux-mêmes peuvent se réconcilier avec les autres et être source de réconciliation. La réconciliation, la communion nationale, la justice et la paix commencent dans les cœurs de chacun de nous : c’est la grâce de Dieu qui nous donne un cœur nouveau et qui nous réconcilie avec lui et avec les autres.
9) En tant que Pasteur et en cette occasion mémorable du vingtième anniversaire du décès du Président Laurent-Désiré Kabila, je lance cet appel solennel à vous membres de la Famille de Mzee Laurent désiré Kabila, à vous tous qui avez été affectés par cette mort : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu et avec vous-même » en vue d’un nouveau départ. Oui, en tant que Pasteur, j’invoque la grâce divine pour que vous tous qui avez souffert de la mort tragique de Mzee Laurent Désiré Kabila, vous qui avez connu des graves blessures, vous qui avez vécu des drames personnels ou familiaux insupportables, vous qui avez subi des humiliations, des rejets inacceptables, que vous tous, de quelque côté que vous soyez, vous ne vous enfermiez pas dans le passé avec son poids de ressentiment, sa volonté de vengeance, sa soif de règlement des comptes mais que vous fassiez un pas pour regarder autrement l’avenir, que vous donniez la chance au pardon et à la réconciliation.
10) La réconciliation est une puissance qui transforme le cœur des victimes et de leurs bourreaux pour rétablir la fraternité. Seule une authentique réconciliation engendre une paix durable dans la société. La réconciliation souvent menée et accomplie dans le silence et la discrétion restaure l’union des cœurs et la coexistence sereine et pacifique. C’est en donnant et en accueillant le pardon que les mémoires blessées des personnes ou des communautés ont pu guérir et 4 4 que des familles jadis divisées ont retrouvé l’harmonie. Nous ne pouvons pas bâtir un Congo nouveau sans nous pardonner les uns aux autres et sans une réconciliation véritable des congolaises et des congolais pour promouvoir la vraie communion nationale, la vraie et solide cohésion nationale.
11) Je sais bien que le pardon ne va pas de soi. Je sais qu’il n’est pas facile de pardonner. Oui, Pardonner ne signifie pas oublier le mal subi. Comme le rappelle le Pape François, même lorsqu’il y a quelque chose qui ne peut, en aucune manière, être nié, relativisé ou dissimulé, Il est cependant possible de pardonner. Le pardon implique la volonté d’aller de l’avant, de se tourner vers l’avenir, de prendre un nouveau départ. Ce nouveau départ pour vous Membres de la Famille de Mzee Laurent Désiré Kabila, pour vous qui avez connu la privation de vos libertés pendant vingt ans, c’est aujourd’hui. Ne le renvoyez pas à demain. Le Christ vous accompagne dans ce nouveau départ de cohésion nationale, celle qui surmonte les crises, restaure la dignité des personnes et ouvre la voie au développement et à la paix durable à tous les niveaux.
12) Que la Vierge Marie, Notre-Dame de paix, Notre-Dame du Congo, nous obtienne de son Fils la grâce de prendre ce nouveau départ dans la paix et la réconciliation en nous considérant réellement comme fils et filles d’un seul Dieu et Père, frères et sœurs d’une même patrie.
13) Que le Dieu d’amour et de paix, vous bénisse tous et toutes et bénisse la RD Congo, notre cher et beau pays.
Kinshasa, le 16 Janvier 2021
Fridolin Card. Ambongo, ofm cap
Archevêque Métropolitain de Kinshasa