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Lettre ouverte au président Tshisekedi
Cher Monsieur le Président,
J’imagine le nombre des menaces et des critiques acerbes qui m’attendent après la publication de cette lettre comme c’est l’habitude actuellement. Tout Congolais qui ose parler avec franchise à son Président que vous êtes, fait l’objet de sérieuses attaques comme si chez nous, les libertés d’expression et d’opinion n’existaient plus. Par esprit patriotique, je me résous néanmoins à vous écrire en espérant que cette interpellation vous sera utile.
Premièrement, je m’interroge si tous ceux qui vous suivent aujourd’hui le font parce qu’ils vous aiment ou simplement parce que vous avez l’impérium. Certains de ces gens ont été derrière Mobutu jusqu’à le déifier puis l’ont abandonné par la suite. Ensuite, on les a vu derrière Joseph Kabila, votre prédécesseur. Certains ont même créé des partis portant son nom vers la fin de son mandat, et les voilà qui vous courtisent. Ne soyez pas étonné qu’un jour ils vous tournent le dos. A ce moment-là, peut-être vous penserez à ma petite lettre.
Ces compatriotes qui vous poussent parfois à prendre des décisions injustes n’ont rien à perdre. Ils sont habitués à la transhumance et beaucoup savent qu’avec ou sans vous, ils subsisteront alors que vous, vous avez des comptes à rendre au peuple qui vous a élu.
Nous ne savons plus s’il faut croire ou non en votre parole. Nous attendions la cohabitation, vous nous avez invités à la coalition (FCC-CACH) que nous avons soutenu pour le bien-être de notre peuple. Grand est notre étonnement de vous voir rompre brusquement ce que vous aviez qualifié de salutaire au profit d’une autre coalition que vous nous demandez de soutenir et ce, sans aucune assurance ni garantie. Qu’est-ce qui nous garantit que cette fois-ci est la bonne vu que cette nouvelle coalition sera composée de personnes pour la plupart en provenance des partis / regroupements qui selon vous-même et votre entourage sont étiquetés « ennemis du peuple » ?
Certains sont issus de la coalition Lamuka (qui vous aurait roulé à Genève), du Front Commun pour le Congo, FCC (qui aurait bloqué votre action en 2019 et 2020). Qu’est ce qui a changé ?
Lors de votre prestation de serment devant la nation début 2019, j’avais retenu deux grandes promesses : le changement et la cohésion nationale.
S’agissant du changement, je me demande jusqu’à ce jour de quoi il était question car celui auquel l’on assiste n’est pas celui que l’on souhaitait. Nous vivons un changement de façade, parfois nocif, marqué un recul vers les abîmes du chaos.
Dans notre constitution que vous déclarez à plusieurs reprises respecter rigoureusement, nulle part il n’est stipulé que le Chef de l’État a aussi un programme à l’instar du gouvernement, mais vous en avez eu un, celui de 100 jours, et vous en projetez un autre que vous voulez imposer au gouvernement pendant que c’est à ce dernier qu’il revient la tâche de définir selon cette loi des lois la politique de la Nation en concertation avec vous. Sans être constitutionnaliste, je crois que « définir en concertation » avec vous, ne veut pas dire appliquer servilement votre vision sinon, le constituant l’aurait dit clairement.
Le changement que nous attendions devrait consolider notre jeune démocratie dans l’intérêt supérieur de la Nation mais je constate que vos actions ne font que détériorer davantage les relations entre les institutions mises en place au prix de beaucoup de sacrifices de notre peuple.
Je constate en outre votre tendance à fouler aux pieds la loi lorsque vos intérêts particuliers sont menacés. Je pense notamment à la suspension de l’installation du Sénat juste parce que très peu de sénateurs de votre parti, l’UDPS qui comptait beaucoup de députés provinciaux à Kinshasa n’y avaient pas été élus. Vous aviez évoqué des soupçons de corruption à ce sujet. Mais en supposant, je ne comprends pas que par la suite, ni les corrupteurs, ni les corrompus (députés provinciaux de votre parti), tous fautifs, n’ont pas subi la même rigueur. Deux poids, deux mesures…
Plusieurs autres cas d’abus de droit orchestrés au nom de votre autorité sont quotidiennement signalés. J’observe à ce sujet une véritable démolition de la démocratie dans notre pays. Même si le peuple peut facilement passer sur certains autres faits vécus et décriés, il ne saurait banaliser votre rôle dans le dysfonctionnement et l’instabilité des institutions.
Je pense à ce qui s’est passé avec la Cour constitutionnelle, une structure établie par la constitution qui est aujourd’hui au centre d’une vive polémique suite à la nomination illégale de deux juges issus d’une même composante (le Conseil supérieur de la magistrature) alors qu’il était prévu le renouvellement de trois juges de cette cour en avril 2021, soit un par composante (Présidence, Parlement et Cour et Tribunaux) afin de maintenir l’équilibre et l’impartialité de cette plus haute instance judiciaire.
Le Gouvernement, une institution à part, semble aujourd’hui confondu au cabinet du Président de la République nonobstant le bicéphalisme de l’exécutif national inscrit dans la constitution. Traiter comme vous le faites les membres du Gouvernement comme des simples exécutants de vos désidérata, est une violation de la loi fondamentale.
En votre qualité de Président de la République, notre constitution n’a pas prévu que vous ayez un programme à exécuter ou à défendre devant la représentation nationale. Elle vous a érigé en régulateur, arbitre entre les autres institutions et garant de leur bon fonctionnement. Mon souhait le plus ardent est de vous voir jouer pleinement ce noble rôle qui vous place au dessus de la mêlée.
Excellence,
Quant au parlement, je ne suis pas du tout fier de la façon dont vous traitez cette institution depuis le début de votre quinquennat. J’ai l’impression que l’indépendance du parlement ne vous dit rien. Des policiers commis par des magistrats et même des militants de votre parti politique ont violé plusieurs fois le siège du parlement sans que vous n’éleviez la voix. Ainsi, au lendemain de votre adresse à la nation du 06 Décembre 2020, on a assisté à des scènes honteuses au Palais du peuple lorsque le président de votre parti a forcé la grille pour y introduire de force des personnes non autrement identifiées pour y semer le désordre, contre la volonté même de la police nationale dont le chef a été publiquement bousculé. Des armes blanches ont été retrouvées dans l’enceinte du parlement entre les mains des militants de l’UDPS. Aucune condamnation de votre part n’a été enregistré à ce sujet.
Comment expliquer que le garant du bon fonctionnement des institutions que vous êtes se permette de proférer des menaces de dissolution de l’Assemblée nationale à défaut d’une majorité parlementaire qui vous serait favorable ? Que reste-t-il encore de la démocratie ou de l’État de droit dans ces conditions ?
Au plan social, lorsque je reçois un coup de fil de ma famille à Kalehe (Sud-Kivu) parfois juste pour me demander 3.000 FC pour avoir quelque chose à se mettre sous la dent, je me demande ce que contient exactement votre « le peuple d’abord ». Quand je vois les services des recettes publiques ponctionner 15% de la très maigre rémunération du fonctionnaire au titre d’impôts professionnels sur le revenu (IPR) sans lui octroyer les avantages prévus, je sombre dans le désespoir.
Excellence,
Je vous suggère de faire un tour au marché et de vous renseigner sur les prix de toutes sortes de denrées afin de les comparer à ceux d’il y a un ou deux ans. « Le peuple d’abord », dites-vous. Mais je note lorsque la situation sociale de ce même peuple se trouve compromis, vous semblez perdu et ne forcez rien. Mais lorsque des conflits éclatent avec tel ou tel autre groupe politique (le FCC notamment) vous dégainez tous les moyens de votre puissance : interdiction de voyager aux uns, révocation ou exigence des démissions pour les autres pour « crime de lèse-majesté ».
Le peuple souffre Monsieur le Président. Il n’y a pas d’eau, pas d’électricité, pas d’emplois, pas de routes en bon état, pas d’écoles etc. L’insécurité et les tueries ont repris à l’Est et au Nord-Est de la République comme si le pays n’était pas gouverné.
Excellence,
Pourriez-vous en toute sincérité dire actuellement aux Congolais que votre mandat concourt au renforcement de la cohésion nationale ?
Dans votre discours d’investiture, vous aviez dit que votre mandat sera un mandat de réconciliation mais personnellement, je ne vois, ni ne sens pas la réalité de cette réconciliation.
Nous vivons dans une ambiance généralisée d’intolérance politique, de chasse aux sorcières, de chantage, d’intimidations, de flambée du clientélisme et du tribalisme. De plus en plus de Congolais s’opposent à d’autres Congolais avec un triomphalisme cynique et hideux.
Une réprimande est attendue de votre part afin d’éradiquer ces fléaux qui risquent notre cher pays.
Au sujet de votre Union Sacrée de la Nation, ce concept qui ostensiblement vous permet de jeter le grappin sur la classe politique congolaise, je me rends compte que vous l’avez largué comme un filet dans une mare aux caïmans. Au regard de l’engouement suscité par cette initiative, nouveau vent, je suis persuadé qu’en cas d’échec, le discours du genre : j’ai été leurré, j’ai été floué par X ou Y ne passera plus dans l’opinion.
Vous avez été élu pour un mandat de 5 ans. Deux ans après la prise de possession de vos fonctions, vous dites : kisalu me banda (le travail commence). Que dire des années 2019 et 2020 ? Quid des fonds publics dépensés pendant ce temps ?
Il n’est jamais tard pour mieux faire dit-on, Monsieur le Président, nous attendons de vous, un changement positif à défaut, la sauvegarde des acquis de l’alternance. Les Congolais n’accepterons aucune dénivellation, aucune régression. Ils tiennent à vivre un Congo uni et pacifique où règne un pouvoir présidentiel cohérent, cohésif et rassembleur
Chez moi au Sud-Kivu on dit, « eciyaga cinahikira okuvuna ecilalo» (la pression finit par démolir le barrage). Si le changement et le bien-être promis tardent à venir, votre peuple finira par se prendre en charge car le désespoir a atteint son paroxysme.
Fait à Bukavu le 08 Janvier 2021.
Honoré Mugisho