La crise qui secoue la RDC depuis des années est essentiellement une crise anthropologique, une crise de l’homme congolais qui a perdu ses repères en humanité. Cette crise concerne tous les congolais du sommet à la base de la société. Mais, comme le «poisson pourrit par la tête», selon l’adage bien connu, il importe de se pencher sur le profil des hommes et des femmes dont le Congo a besoin pour se reconstruire sur base d’un projet collectif.
Le profil des leaders
M’inspirant du profil des dirigeants dont l’Afrique a besoin, proposé par le politologue camerounais Samuel Eboua, dans son livre Interrogations sur l’Afrique noire paru aux éditions l’Harmattan à Paris en 1999 (p. 177), j’estime que «le nouveau Congo a besoin d’hommes et de femmes d’action pénétrés de l’intérêt supérieur de l’Etat, des hommes et des femmes intègres, compétents, travailleurs, meneurs d’hommes, des hommes et des femmes tolérants, rassembleurs, mais intraitables lorsqu’il s’agit de défendre l’intérêt général, des hommes et des femmes capables de réaliser beaucoup avec peu de moyens. Il s’agit d’hommes et de femmes qui n’aiment pas le pouvoir pour le pouvoir, mais pour qui, ce dernier ne constitue qu’un instrument leur permettant de réaliser leur idéal au profit de la communauté nationale, et qui sont capables de s’en dessaisir dès lors que, pour une raison ou pour une autre, ils estiment ne pas être en mesure de réaliser cet idéal.
Ces hommes et ces femmes, bien que rares, ne sont pas complètement absents du Congo actuel. Il suffit de les dépister et de les responsabiliser».
Les leaders qui répondent à ce profil ne vont pas nous tomber du ciel. Il faut les créer, les former, les formater. La première école de ce leadership est la famille. Si les parents congolais pouvaient correspondre à ce type de leaders au sein de nos familles, les enfants apprendront par modelage vicariant à être ces leaders dont nous avons besoin. Le milieu éducatif, à savoir écoles, instituts et universités doit être aussi le lieu de production de ce type de leaders. Enseignants, professeurs, formateurs, tous ceux qui sont impliqués dans le travail de l’éducation des enfants et des jeunes, devraient incarner ce type de leaders pour faire passer cela chez les jeunes en formation.
Si, à toutes ces qualités que nous venons de citer, nous ajoutons la sagesse, la responsabilité et la redevabilité, nous aurons donc là le profil de dirigeants politiques dont nous avons besoin pour conduire les travaux de construction d’un nouveau Congo, d’un autre Congo.
En parlant des hommes, nous ne pensons pas à des hommes seuls mais à des équipes d’hommes et de femmes. Il s’agit d’instituer dans le nouveau Congo un leadership d’équipe dont les membres se complètent et s’entraident dans l’accomplissement de cette lourde tâche. Dans cette équipe, tout le monde n’est pas nécessairement au-devant de la scène politique; certains sont des héros dans l’ombre. Je pense à tous ceux qui seront dans les laboratoires de réflexion et d’analyse que sont les «Think tank», dans les bureaux d’études, etc.
Le nouveau Congo auquel nous pensons a besoin de leaders qui travaillent en équipe et qui connaissent l’histoire, la philosophie, la psychologie pour mieux juguler, avec les masses critiques formées et cultivées politiquement, la crise anthropologique qui perdure depuis des années dans notre pays.
Un projet collectif
Ces leaders dont le profil est ainsi défini se mettront au service d’un projet collectif porté par les masses populaires formées et éduquées ayant une conscience politique aigues et engagées ensemble dans la réalisation de ce projet.
Toutes les consultations qui ont eu lieu dans ce pays (de la Conférence nationale aux dernières consultations nationales en passant par le débat national et les concertations nationales) peuvent nous amener à élaborer ce projet collectif qui portera sur les aspects idéologiques, politiques, économiques et sociaux.
Ce n’est donc pas la matière qui nous manque pour élaborer un projet collectif pour le développement de notre pays.
Sur le plan idéologique, il s’agira de définir la vision commune et partagée qui sous-tendra toutes nos actions de construction d’un Autre Congo. Cette vision commune devrait être la nôtre et une copie-conforme des idéologies imposées par les forces étrangères ou ceux qui se prennent pour les «maîtres du monde».
Il nous faut donc inventer notre vision de l’avenir du Congo, du Congo de demain.
Le patriotisme souverainiste et le convivialisme humaniste pourront être les fondements idéologiques pour bâtir un autre Congo, un nouveau Congo, le Congo de demain. Le Congo de demain doit être un pays réellement souverain où l’homme retrouve sa place dans un nouveau vivre ensemble.
Sur le plan politique, il s’agira de définir ce que nous considérons comme une politique légitime. Et ici, je propose que nous puissions nous inspirer du manifeste convivialiste en vertu duquel «la seule politique légitime est celle qui s’inspire d’un principe de commune humanité, de commune socialité, d’individuation et d’opposition maîtrisée.
Principe de commune humanité: par-delà les différences de couleur de peau, de nationalité, de langue, de culture, de religion ou de richesse, de sexe ou d’orienta- tion sexuelle, il n’y a qu’une seule humanité, qui doit être respectée en la personne de chacun de ses membres.
Principe de commune socialité: les êtres humains sont des êtres sociaux pour qui la plus grande richesse est la richesse de leurs rapports sociaux.
Principe d’individuation : dans le respect de ces deux premiers principes, la politique légitime est celle qui permet à chacun d’affirmer au mieux son individualité singulière en devenir, en développant ses capacités, sa puissance d’être et d’agir sans nuire à celle des autres, dans la perspective d’une égale liberté.
Principe d’opposition maîtrisée : parce que chacun a vocation à manifester son individualité singulière, il est naturel que les humains puissent s’opposer.
Mais il ne leur est légitime de le faire qu’aussi longtemps que cela ne met pas en danger le cadre de commune socialité qui rend cette rivalité féconde et non destructrice.
Ainsi qu’il est rappelé dans le Manifeste Convivialiste (Déclaration de l’interdépendance, Editions Le Bord de l’Eau), la bonne politique est donc celle qui permet aux êtres humains de se différencier en acceptant et en maîtrisant le conflit.
Il nous faut sortir de la politique du ventre, de la politique ‘’mangeoire’’ qui repose sur le principe et la pratique de la prédation et promouvoir la politique ‘’service’’, celle du bien commun qui repose sur l’abnégation et le souci des autres. Un bon dirigeant politique est celui qui se met au service des autres en s’oubliant soi-même».
Sur le plan économique, il nous faudra sortir des modèles économiques qui ont montré leurs limites et leur incapacité à instaurer un monde plus humain. Il nous faut remettre en question les modèles venus d’ailleurs. Nous pensons ici au capitalisme libéral ou ultralibéral ou à ce qu’on appelle économie sociale du marché. Nous devons nous libérer de ces modèles économiques d’importation qui ont tué l’humanité en nous.
Une économie de solidarité et de partage devrait pouvoir nous inspirer d’avantage avec un mode de production en harmonie avec le respect de l’environnement. Une économie de solidarité et de partage dans un Etat qui doit jouer son rôle de régulateur pour ne pas tomber dans le libéralisme sauvage.
Sur le plan social, il nous faudra nous laisser guider par le principe de la destination universelle des biens de la terre et permettre à tous la satisfaction des besoins fondamentaux: la connaissance (le savoir), le manger, la santé, l’habitation, etc.
En fait, tout se résume par le bien-être, le bien-vivre pour tous sans exclusion.
Sources d’inspiration
Pour réaliser tout cela, nous devrions nous tourner vers nos traditions ancestrales et vers d’autres continents qui ont essayé même si leurs essais n’ont réussi que partiellement.
Dans nos sociétés ancestrales, le bien de tous primait sur le bien de l’individu. Lorsqu’un chasseur tuait une bête, il ne la mangeait tout seul dans la forêt. Il venait avec le gibier au village et le partageait avec les autres habitants. On travaillait pour se nourrir et subvenir à ses besoins et à ceux des membres de la communauté. L’étranger qui passe était reçu à table et trouvait hospitalité dans nos cases. Toutes ces valeurs de vie communautaire devraient être ressuscitées. Bref, nous pouvons dire que dans nos sociétés ancestrales, l’Etre primait sur l’Avoir.
L’expérience de certains pays d’Amérique latine comme le Venezuela avec Hugo Chavez, la Bolivie, le Cuba, l’Uruguay avec José Mujica, peuvent constituer une source d’inspiration. Il ne s’agit pas de faire du copier-coller pour inventer nos propres chemins de libération et de développement.
Pour prendre le cas d’Hugo Chavez, on se rend compte que ce qu’il a fait de bien pour et avec son peuple a été considéré comme des péchés par les «maîtres du monde».
Les sept péchés d’Hugo Chavez vus par ces derniers que l’on peut qualifier de «maffia politico-financière-internationale» sont les suivants :
1°) Il a appris à lire aux analphabètes de son pays ;
2°) Chacun y avait droit aux soins de santé ;
3°) Chacun pouvait manger à sa faim ;
4°) Il a changé les règles entre les riches et les pauvres en faveur de ces derniers;
5°) Il a mis en œuvre une démocratie conçue comme un bulletin dans
l’urne;
6°) Il ne s’est pas soumis au pouvoir des médias ;
7°) Il a tenu tête aux Etats-Unis.
Pour avoir les détails de ces péchés, j’invite tout congolais à lire le livre de Michel Collon: «Les 7 péchés d’Hugo Chavez», aux Editions Investig’Action.
J’invite nos dirigeants politiques à commettre les mêmes péchés.
En Afrique, des leaders comme Julius Nyerere, Kadhafi, Thomas Sankara, Patrice Lumumba, peuvent devenir des modèles à imiter en corrigeant éventuellement leurs erreurs et en améliorant leur pratique. Ils peuvent devenir nos sources d’inspiration pour mener ce combat de reconstruction de l’homme et de la société en vue d’un Autre Congo.
Cohésion nationale
Pour relever le défi de la création d’un autre Congo, d’un nouveau Congo, notre force viendra de la cohésion nationale. D’où, il nous faut dès maintenant œuvrer dans le sens d’une réconciliation nationale dans la justice et la vérité.
«L’union fait la force» dit l’adage. Notre faiblesse est dans notre division. Ce qui nous divise c’est essentiellement la course à l’avoir, au valoir et au pouvoir lorsque ceux-ci sont recherchés non pas pour le bien commun mais pour la jouissance individuelle et égoïste.
Les deux grands ennemis contre lesquels nous devons nous battre ici sont le tribalisme et la corruption.
Les tribus et les ethnies constituent une richesse culturelle pour notre pays mais, elles deviennent un poison qui tue lorsqu’elles tournent au tribalisme et à l’ethnisme.
La corruption a comme mère la cupidité qui ronge le cœur de l’homme. Elle tue la société congolaise. Nous devons l’éradiquer par une éducation à la bonne gestion des biens de la terre et surtout par l’apprentissage, dès le bas âge, d’une bonne relation avec l’argent qui est un moyen et non une fin. Apprendre, dès le plus jeune âge, à gagner l’argent honnêtement et à utiliser l’argent pour le bien de tous et non seulement pour la jouissance égoïste, telle est la meilleure stratégie pour éradiquer la corruption du cœur de l’homme.
Enfin, j’invite à la réconciliation avec nous-mêmes, avec les autres, avec Dieu et avec la nature. Réconcilions-nous avec les vraies valeurs de la vie que sont l’amour, la justice, la vérité, la liberté, la fraternité sans frontière, la miséricorde, le pardon, la paix, la solidarité et le partage, la responsabilité et la redevabilité.
Je vois un avenir radieux pour le Congo notre mère patrie. Mais, cet avenir nous devons l’inventer ensemble sans discrimination aucune, sans exclusion de personne. Cet avenir nous ne pouvons l’inventer qu’à condition que chaque fils et fille de ce pays s’engage dans la voie du changement qualitatif de sa propre vie et des structures de notre société. Un changement de mentalité s’impose à tous et à toutes sans exception.
Le débat reste ouvert pour nous conduire à la révolution.
José Mpundu
prêtre et psychologue clinicien