«Union sacrée de la nation». La formule est désormais sur toutes les lèvres sans que la moindre élaboration conceptuelle n’en ait été donnée par le président de la République Félix Tshisekedi qui en a eu l’initiative. L’idée lancée le 23 octobre 2020 par le chef d’Etat rd congolais sur un saut d’humeur à la suite d’un incident protocolaire lors de la cérémonie de prestation de serment de 3 juges constitutionnels boudée par ses partenaires du FCC a fait des émules et amorcé la recomposition en cours de la scène politique congolaise avant même d’être portée sur les fonts baptismaux.
En effet, la plupart de ceux qui se ‘’convertissent’’ à cette nouvelle profession de foi ne justifient leur transhumance que par les comptes qu’ils espèrent régler à Joseph Kabila et son FCC ou leur volonté d’accéder à la ‘’mangeoire du pouvoir politique’’ pour reprendre une expression chère au professeur Auguste Mampuya. Aucun bréviaire n’étant venu structurer leur nouvelle religion, chacun y va des généralités puisées dans son propre entendement : c’est tantôt «le rassemblement de tous les Congolais autour de la vision du chef de l’État », tantôt « l’union de tous ceux qui aiment le Congo» ou encore «la nouvelle configuration de la majorité parlementaire dans une plateforme politique avec un maillage national dont le chef de l’État avait besoin pour exercer pleinement ses prérogatives institutionnelles», entend-t-on ci et là.
Nouvelle conception de la gouvernance
Dans son adresse à la nation du 6 décembre dernier, Félix Tshisekedi avait pour sa part défini son union sacrée de la nation comme «une nouvelle conception de la gouvernance basée sur les résultats dans l’intérêt supérieur de la nation». En faire partie, c’est, à en croire le président de la République, adhérer aux valeurs, principes et cadre programmatique dont il lui appartient de fixer les grandes lignes. Une conception qui met sous le boisseau tout en le niant la constitution de la République adoptée en 2005 et révisée en 2011 pour, selon le constituant, «donner des réponses adéquates aux problèmes posés aux institutions de la République depuis le début de la première législature de la 3ème République afin d’instaurer le fonctionnement régulier de l’Etat et de la jeune démocratie congolaise» (Exposé des motifs, 3ème paragraphe).
Au demeurant, si le chef de l’État s’est abstenu d’invoquer ouvertement le fait du prince pour définir juridiquement son initiative, il ne l’a pas moins qualifié politiquement comme une nouvelle coalition gouvernementale. «C’est avec cette nouvelle ‘’coalition’’ que le gouvernement qui sera mis en place au plus vite conduira son action durant le reste du quinquennat, suivant ma vision, dans le but de répondre aux aspirations du peuple», avait-il déclaré en substance.
Une coalition qui en remplace une autre
En signant unilatéralement le certificat de décès de la coalition FCC-CACH, le président Tshisekedi procédait en même temps à la création d’une nouvelle coalition, réservant ainsi une fin de non-recevoir aux avis contraires de ses anciens partenaires du FCC qui estimaient qu’une coalition parlementaire ne se liquide pas en pleine législature hors d’élections générales anticipées destinées à en dégager une autre si tant est que l’évaluation de la coalition en place induisait irrémédiablement à la fatalité de sa dissolution. On sait de quelle manière fut obtenue l’adhésion de gré ou de force des élus et mandataires publics du FCC notamment à la nouvelle coalition de Fatshi.
Samedi 26 décembre passé, deux des principaux leaders de l’ancienne opposition, le MLC Jean Pierre Bemba et l’Ensemble Moïse Katumbi ont longuement conféré à la cité de l’UA avec Félix Tshisekedi autour d’un repas de famille. Même si rien n’a filtré de leurs 3 heures d’échanges, les convives de Fatshi ayant regagné leurs fiefs respectifs de Gemena (Sud-Oubangui) et de Kashobwe (Haut-Katanga) sans aucune déclaration à la presse, on peut supputer que ces trois anciens alliés de l’éphémère coalition genevoise Lamuka ont harmonisé leurs perceptions respectives des contours de la nouvelle coalition «Union pour la nation». Faute de signer un nouvel accord avec un partenaire qui a la réputation de revenir sur tous ses engagements, Bemba et Katumbi se seraient contentés à ce stade de faire état chacun de ses desiderata et de recevoir de leur interlocuteur des garanties sur la répartition du ‘‘gâteau’’.
Selon des sources proches de ces deux leaders, il aurait été convenu que chacun d’eux dirige directement ou par délégation une des grandes institutions de la République que sont l’Assemblée nationale et le gouvernement.
Quid de Bahati et des transfuges du FCC ?
Au finish, à travers l’artifice de son Union sacrée, Félix Tshisekedi sera parvenu, si tout se passe comme il l’a prévu, à délester en douceur la majorité parlementaire de ses prérogatives et à les redistribuer à sa guise à une minorité. En effet, le MLC de Jean Pierre Bemba ne dispose que de 22 députés nationaux sur 500 à l’Assemblée nationale. Certes, en 2007 le PALU avait obtenu la primature pendant cinq ans en n’alignant en tout et pour tout que 36 députés sur 500. Mais à l’époque, Joseph Kabila, alors détenteur de la majorité parlementaire était lié à ce parti par un accord électoral conclu dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle grâce auquel sa majorité parlementaire dû concéder la primature à un allié électoral (Antoine Gizenga) dont le report des voix au deuxième tour avait pesé dans son élection. Rien de tel à ce jour.
Les regroupements politiques pro-Katumbi (Ensemble) et leurs 69 députés nationaux avec le MLC de Bemba (22 députés) ainsi que l’UDPS de Tshisekedi (32 députés) ne totalisent que 123 élus sur les 500 que compte l’Assemblée nationale.
Le gros des voix susceptibles de faire basculer la majorité en leur faveur ne peut provenir que des transfuges du FCC ou de l’AFDC-A du sénateur Modeste Bahati Lukwebo qui joueront dans cette optique un simple rôle de remplissage en échange de colifichets.
Réveil tardif et remontada du FCC ?
Tout se passe comme si le FCC lui-même s’était auto-sabordé en vendant à vil prix son ‘’droit d’aînesse parlementaire’’. Des voix s’y lèvent de plus en plus pour fustiger non seulement les frustrations imposées à certains par le pré-carré qui en assure la coordination mais aussi l’inconséquence de ceux qui se sont ainsi ralliés au schéma de l’union sacrée pour faire tomber le bureau Mabunda sur fond d’intimidations peu crédibles et d’achat de consciences. La question qui se pose maintenant est celle de savoir si ces mécontents accepteront pour autant d’être désormais sous la botte d’un triumvirat minoritaire piloté par l’opposition. Rien n’est moins sûr.
Nombre de députés nationaux semblent de plus en plus conscients de l’importance de leurs pouvoirs dans la conduite des affaires de l’État. La menace en forme de bluff d’une dissolution de la chambre basse du parlement n’a pas résisté au comportement de ceux qui la proféraient et qui ont eux-mêmes été les premiers à brandir simultanément des espèces sonnantes et promesses de véhicules pour les amadouer. «Il ne faut pas être un devin pour se rendre compte que le président de la République aurait déjà dissout l’Assemblée nationale si ses prérogatives constitutionnelles et les moyens d’organiser un nouveau scrutin avaient été réunis», estime à ce sujet un constitutionnaliste de l’Université de Kinshasa. Qui fait observer que c’était de toute évidence un jeu de dupes dans la mesure où non seulement les conditions et les moyens pour organiser les élections législatives anticipées dans les délais constitutionnels ne sont guère remplies à ce jour, mais aussi parce qu’aucune crise persistante n’était envisageable entre le gouvernement et l’Assemblée nationale dont il est l’émanation.
À tout prendre, il y a de la place pour une remontada du FCC qui remettrait ainsi les choses dans leur pristin état. Car en démocratie représentative, il n’y a que les élections qui déterminent les législatures et les mandatures qui vont avec. Pas les entourloupes politiciennes, aussi malicieuses et ingénieuses soient-elles, qui ne sauraient remettre en cause dans un Etat de droit ce que le résultat d’une élection a tracé dans le marbre. L’exemple d’Israël où l’échec de la coalition gouvernementale a été une condition suffisante pour convoquer de nouveau l’électorat en est une illustration suggestive.
JBD