Dans une intéressante chronique consacrée aux consultations du palais de la nation, l’analyste politique Aimé Gata constate que plus rien ne va dans la coalition entre le FCC de Joseph Kabila et le CACH de Félix Tshisekedi. Il observe que dès sa création à la suite des élections chaotiques de décembre 2018 dont les résultats sont encore contestés jusqu’à ce jour, cette coalition n’était pas créditée d’une longue espérance de vie par plusieurs observateurs parce qu’elle a mis ensemble les deux formations politiques (l’UDPS du côté de CACH et le PPRD pour le compte du FCC) qui se sont toujours situées aux deux extrémités de l’échiquier politique congolais et dont les bases se sont mutuellement attaquées avec des méthodes les plus violentes; alors que, paradoxalement, ils sont tous les deux socialistes sur papier. Voici quelques larges extraits de sa réflexion :
Nous ne sommes même pas encore à la moitié de ce quinquennat que la pseudo coalition essuie les turbulences politiques et les déclarations appelant à la rupture. La dernière crise en date a été provoquée par les mises en place à la Cour constitutionnelle. Ignoré par ses partenaires du FCC qui ont contesté ses ordonnances nommant les juges constitutionnels et n’ont pas participé à la prestation de serment de ces derniers, Félix Tshisekedi a annoncé le 23 octobre 2020 son intention de mettre fin à la coalition FCC-CACH qui, selon lui, « bloque le bon fonctionnement du pays ». Il préconise de mettre en place une « union sacrée de la nation» autour de sa présidence et consulte les acteurs politiques et sociaux les plus représentatifs [selon lui] afin de décider du sort de son partenariat avec le FCC.
Quels sont les schémas envisageables, réalistes et possibles à l’issue de ces rendez-vous du palais de la nation ?
A notre avis, Tshisekedi a le choix entre quelques quatre scénarios qui (…) aucune connotation strictement juridique.
1er scénario : Dissolution de l’Assemblée nationale
Cette option semble être la moins probable sauf si le président Tshisekedi est prêt à un chaos qu’il considérerait, à tort ou à raison, régulateur, et ce, pour deux raisons principales. Primo, sur le plan strictement juridique et constitutionnel, les conditions pour dissoudre la chambre basse du Parlement congolais ne sont pas réunies car, selon l’article 148 de la Constitution, le président n’a pas le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale motu proprio. Il est astreint à quelques conditions de fond (crise persistante entre le gouvernement et l’Assemblée nationale impactant la gouvernabilité du pays et nécessitant des efforts vains de conciliation par le président de la République) et de forme (selon l’article 79 de la constitution, l’acte présidentiel décidant de la dissolution de l’Assemblée nationale doit être contresigné par le premier ministre qui, doit impérativement confirmer l’existence de cette crise à la suite d’une consultation du président qui doit aussi préalablement consulter les présidents des deux chambres parlementaires à cette fin). Or, dans le cas d’espèce, le Gouvernement qui est dirigé par un membre du FCC n’est pas en crise avec l’Assemblée nationale qui est aussi majoritairement constituée des membres du FCC (…). En fait, c’est lui-même, le président de la République qui est en conflit avec ses partenaires du FCC qui sont majoritaires à l’Assemblée nationale et au gouvernement. Et il ne peut pas contraindre le 1er ministre à contresigner l’ordonnance présidentielle portant dissolution de l’Assemblée nationale.
De ce qui précède, il est constitutionnellement inconcevable d’imaginer que les consultations politique de Félix Tshisekedi donnent lieu à la dissolution de la chambre basse du parlement.
Secundo, sur le plan politique, il n’est certainement pas dans l’intérêt du chef de l’Etat de dissoudre l’Assemblée nationale, ce qui aurait pour conséquence la convocation des élections législatives dans les 60 jours (article 148, 2° de la constitution alors que son parti, l’UDPS, et sa plateforme, le CACH déjà affaiblie par la lourde condamnation de son allié et leader de l’UNC Vital Kamerhe ne paraissent pas être préparés pour gagner la majorité à l’Assemblée nationale. L’autre difficulté de ce scénario de dissolution est financière et technique. Le pays est en quasi situation de cessation de paiements à cause, entre autres, de la pandémie de la Covid-19. Par ailleurs, l’actuel bureau de la commission électorale (CENI) est démissionnaire et son remplacement par un nouveau bureau est bloqué par les incessantes querelles entre FCC et CACH.
Donc, si le président s’avisait de procéder à la dissolution de l’Assemblée nationale, non seulement il violerait la Constitution [avec tous les risques que cela comporte], on se retrouverait avec une Assemblée dissoute terminant son mandat faute d’organiser des législatives anticipées étant donné que l’article 103 de la constitution stipule que « le mandat de député national n’expire qu’à l’installation de la nouvelle Assemblée ».
2ème scénario : une nouvelle majorité à l’Assemblée nationale
D’aucuns conseillent à Félix Tshisekedi de ‘’débaucher’’ quelques députés du FCC pour reconstituer une nouvelle majorité en coalition avec les groupes de l’opposition Lamuka (Katumbi, Bemba) et l’AFDC-A de Bahati Lukwebo. Cette tactique politicienne de débauchage – souvent pratiqué par le régime Kabila – sous-entend qu’un nombre de députés FCC soient corrompus pour rejoindre la nouvelle «union sacrée» du président de la République porte les germes d’une indécence et d’un problème d’éthique qui n’honore pas un président de la République issu d’un parti qui a toujours adossé son existence sur la lutte contre les antivaleurs pendant ses 38 ans de lutte dans l’opposition. Au-delà de ces considérations morales et éthiques, ce scénario de soulève d’autres questionnements : comment reconfigurer une majorité parlementaire à mi-mandat et alors que le gouvernement issu de cette dernière est déjà en place sans violer les lois qui l’interdisent formellement ? En effet au terme des articles 26 et 54, 7° du règlement intérieur de l’Assemblée nationale dûment déclaré conforme à la Constitution et des articles 3 et 5 de la loi n°07/008 portant statut de l’opposition, il revient au seul parti ou regroupement politique dans le cadre duquel les députés sont élus et non à ces derniers de faire une déclaration d’appartenance à la majorité ou à l’opposition. D’autre part, les partis ou regroupements politiques ayant déclarés être de la majorité (FCC) ou de l’opposition (Lamuka) sont censés y demeurer pendant toute la législature. Ce qui veut dire que la majorité telle qu’identifiée en début de législature et de laquelle proviennent le 1er ministre et le gouvernement y restent jusqu’à l’organisation de nouvelles élections législatives. Et ce, même si leurs partenaires du CACH venaient à rompre la coalition. L’article 110, 6° de la constitution renforce la cristallisation de la majorité parlementaire en édictant que « tout député national ou tout sénateur qui quitte délibérément son parti politique durant la législature est réputé renoncer à son mandat parlementaire obtenu dans le cadre dudit parti politique». Cette disposition est une véritable épée de Damoclès suspendue sur la tête des élus des partis de l’actuelle majorité (FCC).
La possibilité qui reste au président Tshisekedi est – non pas de débaucher des députés de manière personnelle – mais plutôt d’influencer les partis et regroupements qui peuvent se désolidariser du PPRD et du FCC pour suivre sa dynamique de l’union sacrée. S’il y parvient il n’aura qu’à impulser à travers celle-ci une motion de censure contre le gouvernement et à profiter de l’adoption d’une telle motion censure pour nommer par la suite un informateur en vue d’identifier une nouvelle majorité qui se serait créée entre-temps dans l’hémicycle. Car, comme on peut le voir, il n’est pas aisé pour le président de se débarrasser du premier ministre. La constitution congolaise ne prévoit aucun mécanisme permettant au président de la République de démettre le 1er ministre hors d’une démission de ce dernier soit volontairement, soit après une motion de censure adoptée par la majorité absolue des membres qui composent l’Assemblée nationale (articles 146 et 147 de la Constitution). Nommer un informateur directement au sortir des consultations comme certains le suggèrent alors qu’il n’y ait aucune crise et que le gouvernement est en place serait non seulement impossible mais c’est aussi et surtout une incongruité juridique.
Néanmoins, au-delà de cette alchimie juridico-politicienne, on ne peut éluder le fait que certains députés, partis et groupements politiques qui constituent actuellement la majorité à l’Assemblée donnent l’impression d’être attachés au FCC pour des raisons autres que politiques. Ils sont là pour leur vie voire pour leur survie. Il n’est pas exclu qu’ils pensent que l’anéantissement de leur majorité les exposerait à des risques de représailles compte tenu de ce qu’ils auraient pu commettre durant le régime Kabila. Pourquoi scieraient-ils donc l’arbre sur lequel ils sont assis ?
La politique étant dynamique, tout peut basculer. Et surtout si le Président de la République promet aux autres regroupements de la majorité actuelle sa protection et quelques intérêts politiques pour les pousser à tourner le dos au PPRD qui est très souvent vu comme le parti glouton qui s’accapare de tous les grands avantages au FCC.
3ème scénario: Tshisekedi renégocie avec son partenaire Kabila en montant les enchères
C’est l’hypothèse la plus plausible. Le président écartelé entre la tentation de violer la constitution et le besoin de renégocier peut utiliser ces consultations comme une tactique du salami consistant à dépiécer le FCC par petit bout. Il est possible qu’il ait agité le cocotier en rameutant toutes les grosses gueules de son parti et des inconsolables mauvais perdants aux élections de 2018 pour brouiller les cartes et faire consommer ses ordonnances contestées du 17 juillet 2020 à ses partenaires du FCC. Car, après cette crise (ou simple malaise comme il l’a dit à certains consultés), lorsque les deux partenaires se rencontreront pour aplanir les divergences quant à l’avenir de la coalition FCC-CACH, il est difficile d’imaginer qu’on revienne encore sur le cas des juges constitutionnels qui ont d’ores et déjà prêté serment. Ce serait un acquis. Tshisekedi aurait gagné en mettant son partenaire Kabila devant le fait accompli. Mieux, le chef de l’Etat ne serait pas mécontent de brandir au nez de ses partenaires du FCC le thermomètre du ressentiment réel ou supposé de «la population » contre leur régime passé. Comme le cochon de Napoléon qui terrorisait les autres espèces au sujet du retour du fermier M. Jones à «la ferme des animaux» de Georges Orwel, le nous pensons que le président semble vouloir jouer à l’exacerbation de la peur qu’inspirerait à certains Congolais la perspective du retour au pouvoir de Joseph Kabila pour faire avancer ses pions sur l’échiquier car il semble convaincu qu’à ce jour, même les violations de la constitution et des lois peuvent lui être tolérées par une certaine opinion dès lors qu’elles mettent à mal le FCC. Une posture très risquée et dangereuse car participant à un processus de dé-maturation de la démocratie et de ré-institution d’une nouvelle dictature.
Qu’à cela ne tienne, Tshisekedi peut estimer de bonne guerre pour renégocier avec une longueur d’avance sur le madré Joseph Kabila après les consultations avec en plus l’opinion publique derrière lui. Ce schéma qui présente l’inconvénient d’inscrire le pays dans la voie d’une incertitude qui pourrait avoir un effet pervers contre lui-même pourrait permettre au président Tshisekedi de demander à son partenaire des avantages supplémentaires par rapport à leur accord initial.
Envers du décor : il apparaîtrait aux yeux de sa base et devant une partie des Congolais comme ayant perdu la face. Parce que, sans nul doute, depuis son adresse à la nation du 23 octobre dernier ; alors qu’il a désigné la coalition FCC-CACH comme la cause de blocage du pays, beaucoup de congolais s’attendent à des mesures spectaculaires de sa part, d’autant plus que les principaux cadres de son parti ont fait des déclarations tonitruantes prônant la fin de la coalition.
S’il opte pour la négociation, pour ne pas perdre complètement sa crédibilité par rapport à sa posture va-t-en-guerre qu’il a adoptée, il faudrait s’attendre à ce qu’il demande à son partenaire que lui soit servie sur un plateau soit la tête de Jeanine Mabunda, la speaker de l’Assemblée nationale, présentée à tort ou à raison, comme celle qui conteste son autorité; soit celle du 1er ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba.
Quoiqu’il en soit, la renégociation entre les deux partenaires donnera lieu à une sorte de troc. Une bonne manière pour les deux de se renvoyer dos-à-dos jusqu’à la prochaine crise politique qui va encore les opposer. De toute manière, tous les esprits avertis avaient déjà anticipé l’ambiance conflictogène qui devait caractériser ce quinquennat caractérisé par la discordance entre le président de la République et la majorité parlementaire.
4ème scénario : Tshisekedi convoque un dialogue national
Un autre scénario possible est que Félix Tshisekedi convoque un dialogue politique national. Il faut dire que pendant ces consultations, alors que l’action du gouvernement est mise au frais et qu’il ne s’organise aucune réunion du conseil des ministres, le président de la République a pris goût de voir tout se cristalliser autour de sa personne. Pour faire durer cette sensation enivrante, il peut être tenté de convoquer un dialogue politique. Le désavantage de ce scénario qu’un dialogue autour de sa personne ne règlerait pas la crise. Ce ne serait qu’un autre moyen de prolonger le suspense. Comme on le sait, son élection et sa légitimité posent toujours problème chez certains comme Martin Fayulu qui estime avoir été le vrai gagnant de la présidentielle [selon le rapport de la mission électorale de la CENCO] et se considère comme le président élu. Le président n’a donc pas intérêt à organiser un dialogue autour de lui pour attaquer seulement la légitimité des députés nationaux et du gouvernement qui est l’émanation dès lors qu’ils sont issus des mêmes élections que lui sauf à s’exposer au risque de révéler ses propres fragilités.
Pour justifier l’idée d’un tel dialogue politique, Félix Tshisekedi devrait accepter de perdre quelques plumes en acceptant qu’il y a une crise de légitimité due aux élections de décembre 2018 et, concéder à ceux de ses adversaires qui exigent à l’instar de Martin Fayulu et Adolphe Muzito, que l’on s’en remettent à une facilitation régionale ou internationale (SADC, UA) pour convoquer des assises qui mettront toute la classe politique autour d’une table, même si cette hypothèse aboutirait à donner au président une certaine ascendance sur son partenaire du FCC dans une approche extra-institutionnelle qu’il faudrait ensuite institutionnaliser.
Mais pour la matérialisation de cette idée Tshisekedi doit brider les extrémistes de son camp qui contesteraient à coup sûr son ouverture en direction de Fayulu. Seul avantage pour lui : la possibilité in fine de la formation d’un gouvernement de coalition/d’union nationale qui n’aurait pas besoin de se conformer à l’article 78 de la Constitution compte tenu de son caractère « sui generis » comme ce fut le cas des gouvernements Badibanga et Tshibala.
Cette dernière hypothèse ne serait plausible que si, et seulement si, le FCC l’acceptait et décidait d’y participer. Car la crise au départ est une crise entre le président Tshisekedi et le FCC et sa résolution idéale ne pourrait intervenir hors d’un dialogue dont le FCC ne serait pas partie prenante. L’absence des kabilistes risquerait de polariser davantage la crise politique. Les résolutions d’un dialogue étant politiques, elles pourraient être confrontées à la posture résistante légaliste qui fonde actuellement l’argumentaire politique et diplomatique d’un FCC, devenu désormais le défenseur acharné du respect de la Constitution. Dans tout ça il ne faut pas perdre de vue la situation socio-économique macabre dans lequel se morfond le pays.
Si on n’y prend garde, la misère doublée à la crise politique laisse la porte ouverte à toutes sortes de débordements inattendus qui peuvent venir soit de l’armée soit d’un mouvement populaire.
Aimé Gata K.