A quelques heures de l’élection présidentielle américaine, les deux bords opposés, Républicains de Donald Trump et Démocrates de Jo Biden suscitent comme à chaque cycle électoral, espoir et désespoir en Afrique. Dès son élection à la Maison Blanche en novembre 2016, Trump avait décidé de requalifier le rapport au monde des Etats-Unis. Les grandes lignes de sa politique étrangère étaient : nationalisme, unilatéralisme, militarisme, protectionnisme et développement des relations bilatérales sur la base d’affinités idéologiques.
En janvier 2018, Trump avait traité les Etats africains de «pays de merde» lors d’une réunion sur l’immigration à la maison blanche. L’Union africaine ayant exigé des excuses, il avait nié avoir proféré ces insultes.
Pour le scrutin de ce 3 novembre 2020, plusieurs Africains croient naïvement que le démocrate Jo Biden, challenger de Trump mènerait vis-à-vis du continent noir une démarche contraire à celle de ce dernier. Si l’exploit du 8 novembre 2016 qui a vu le paysage politique américain subir un véritable séisme politique avec l’élection de Donald Trump, candidat républicain donné perdant par la plupart des sondages devait être réédité, les effets de la politique étrangère du chef de file de «America First» se feront davantage ressentir en Afrique.
Dans le fond, Trump et Biden ne s’opposent pas sur la politique étrangère en dépit des émotions entre leurs deux camps.
Au-delà des insultes et des débats passionnés qu’ils suscitent, ils s’accordent l’un et l’autre sur le fait que le gouvernement américain soit le centre de l’empire mondial et se contentent d’ergoter passionnément sur des points de détail, comme on le remarque avec le cas du prince héritier saoudien qui aurait dû être sanctionné pour avoir démembré un journaliste du Washington Post à Istambul.
Trump et Biden sont d’accord pour que les États-Unis demeurent les maîtres unipolaires de la planète même si en apparence, ils sont opposés sur la question des noms de généraux à affecter sur leurs bases militaires. Ils sont d’accord sur la nécessité d’une violence militaire de masse sans fin pour soutenir leur empire mais restent opposés sur le théâtre de déploiement prioritaire de cette violence militaire (Syrie, Iran, Afrique…).
Pour les deux candidats à la présidentielle de 2020, il est nécessaire de menacer la planète entière avec des armes nucléaires tout en se disputant pour savoir qui a le droit d’en disposer.
Trump et Biden jugent qu’il est nécessaire de contrôler l’économie mondiale d’une main de fer mais se chamaillent simplement sur les modalités, comme par exemple comment et quand lancer une guerre commerciale avec la Chine.
Ils s’accordent pour dire que la ploutocratie doit continuer à diriger l’Amérique mais s’affrontent sur la question de savoir si les ploutocrates devraient ou non payer un peu plus d’impôts. A leurs yeux, l’Amérique doit se faire valoir par une propagande agressive mais c’est la question de savoir si cette campagne doit être faite par Fox News ou MSNBC qui les divise.
Dans le camp de Trump, comme dans celui de Biden, on ne permet aucune discussion sur la question de savoir si l’empire oligarchique doit continuer à exister. Tout tourne plutôt autour de la manière dont il convient de procéder. Aucune place pour les autres, particulièrement pour l’Afrique.
Déclin des échanges commerciaux
Avant l’arrivée de Donald Trump, les relations commerciales américano-africaines étaient déjà à un niveau très faible par rapport à d’autres pays. Depuis le pic de 141,8 milliards USD atteint en 2008, les échanges de biens entre l’Afrique et les Etats-Unis n’ont franchi la barre de 100 milliards USD que 2 fois (113,3 milliards USD en 2010 et 125 milliards USD en 2011) sous le 1er mandat de Barack Obama, selon les chiffres du Bureau américain de recensements.
Depuis lors, ils ont continué à chuter : de 141 milliards USD en 2008 sous George Bush Jr, les échanges commerciaux US – Afrique ont plongé à 56 milliards USD en 2019 sous Trump.
Alors que la résilience de la croissance africaine et son futur marché unique ont poussé les plus grandes puissances mondiales à booster leurs échanges commerciaux avec le continent, cette tendance n’est pas partagée par les Etats-Unis. En 2019, les échanges de biens entre Washington et les pays africains étaient estimés à 56,8 milliards USD, soit une baisse de 8,07% par rapport aux 61,8 milliards USD en 2018. Par contre, les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique ont grimpé de 2,2% en 2019 pour atteindre 208,7 milliards USD.
D’après le ministère américain du Commerce, en 2018, tous les pays d’Afrique subsaharienne réunis ne pesaient que 1% des exportations américaines, et également 1% des importations. Mais malgré cette part marginale dans les échanges commerciaux américains, des initiatives telles que African Growth Opportunity Act (AGOA) permettent d’enregistrer quelques progrès depuis 2001. Toutefois, la récente utilisation par Trump de cet accord comme moyen de pression sur des Etats africains n’est pas propice au développement des échanges commerciaux entre les deux parties. En 2015 par exemple, le Kenya, le Rwanda, l’Ouganda et la Tanzanie, dans une logique de protection de leur marché intérieur, s’étaient mis d’accord pour augmenter les taxes sur les fripes en provenance des États-Unis. Cette décision avait poussé Trump, sous l’influence de l’Association américaine de textiles d’occasion et recyclés (Smart) qui dénonçait l’imposition de droits de douane sur les exportations américaines, à exercer des pressions sur ces pays pour la réouverture de leurs marchés. Seul le Rwanda avait maintenu jusqu’au bout sa décision, entraînant une suspension des avantages commerciaux relatifs aux exportations de vêtements qui lui étaient accordés vers les États-Unis. Plus récemment, le Cameroun a été exclu de l’AGOA, Washington accusant l’armée camerounaise d’atteintes aux droits humains.
Coopération sécuritaire RDC-USA
Si les relations commerciales USA-Afrique n’ont pas atteint un niveau suffisant pour faire de Washington un partenaire incontournable du continent noir, il n’en est pas de même en matière de coopération sécuritaire. Au cours des dernières années, les Etats-Unis sont devenus un acteur important en matière de fourniture d’armements aux Etats africains. A son arrivée à la Maison-Blanche, Donald Trump indiquait pourtant que l’un des axes prioritaires de sa politique étrangère serait la lutte contre le «terrorisme islamique radical». Cependant, ses dernières déclarations semblent remettre en question cette stratégie, au point de compromettre, selon certains observateurs, la coopération sécuritaire américano-africaine.
Alors que fin décembre 2019, les autorités américaines annonçaient leur intention de réduire leurs effectifs en Afrique, le tonitruant ambassadeur américain à Kinshasa Mike Hammer s’évertuait à faire croire en octobre 2020 en la reprise de la coopération militaire entre son pays et la RDC portant sur la formation d’officiers congolais par l’armée américaine. Les États-Unis pourraient aussi relancer la question de l’installation en RDC d’une base de l’Africom après quelques années de relations tendues avec le régime de Joseph Kabila à qui les Américains n’ont pas encore pardonné la promulgation du nouveau Code minier en 2018, une législation qui coupe l’herbe sous les pieds de plusieurs multinationales américaines. C’est aussi une coopération qui sonne comme une garantie sécuritaire pour le président Tshisekedi dont le rapprochement avec Mike Hammer est régulièrement questionné au regard de l’interventionnisme débridé du diplomate américain dans les affaires internes de la RDC. On rappelle qu’à l’instar de biens d’autres chef d’Etats africains, Joseph Kabila s’était opposé à la demande de l’armée américaine d’installer dans le pays une base du commandement militaire américain pour l’Afrique (Africom). Avec le président Tshisekedi, tout semble désormais possible.
Le retour de la RDC à l’AGOA figure aussi dans cette coopération. Le député Mohamed Bule, ex-vice-ministre de la Défense, général de l’armée à la retraite et ancien rapporteur de la Commission défense et sécurité à l’Assemblée nationale, pense que Washington pourrait relancer la question de la base de l’Africom. Parce que selon lui, «ce sont les États-Unis qui avaient demandé l’installation du QG d’Africom dans notre pays. Il lui appartient donc de profiter de cette reprise de la coopération militaire pour relancer cette question».
Effort dans le combat de la traite des personnes
Dans une lettre qu’il lui a adressée, le lieutenant-général James Vechery, commandant en second de l’Africom, a félicité le président Fatshi pour le statut de niveau 2 qu’occupe désormais la RDC dans le rapport annuel des États-Unis sur la traite des personnes.
Trésor Kibangula, analyste du Groupe d’étude sur le Congo (GEC), rappelle à ce propos que «le pays se trouvait depuis 2017 au niveau 3 de la liste du rapport sur la traite des personnes qui identifie chaque année des États dont les forces armées, de sécurité ou de police recourent aux enfants soldats ou soutiennent des groupes qui participent au recrutement d’enfants soldats. Les États-Unis prennent en compte aussi ici les efforts de l’État congolais de poursuivre des officiers militaires soupçonnés de crimes sexuels». C’est peut être la seule bonne note entre la RDC et l’Amérique de Trump. A Kinshasa, on aurait tort de se nourrir d’illusions, Trump ou Biden, la politique étrangère américaine ne fera jamais de l’intérêt africain ou congolais sa priorité.
A.M
ÉLECTIONS AMERICAINES 2020 : Trump ou Biden : que peut attendre l’Afrique ?
