A l’entame de la législature en cours, les groupes parlementaires ont été constitués sur base de listes de déclaration d’appartenance de chaque député respectivement à la majorité, à l’opposition ou au groupe dit des non-inscrits à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une configuration qui a été annexée à l’Arrêt de conformité du Règlement intérieur de la chambre basse du parlement rendu par la Cour constitutionnelle au mois d’avril 2019. Il est en outre stipulé expressis verbis à l’article 46 de ce texte qu’«au sens du présent Règlement intérieur, le groupe parlementaire est défini comme tout groupe politique formé des membres de l’Assemblée nationale partageant les mêmes opinions politiques» (alinéa 1). L’alinéa 4 de cet article dispose qu’«un député ne peut faire partie que d’un seul groupe parlementaire». L’alinéa 6 stipule que «chaque député est membre du groupe parlementaire auquel appartient le parti politique dans le cadre duquel il a été élu». Enfin, selon l’alinéa 7, «les groupes parlementaires sont constitués pour la durée de la législature».
Cette dernière disposition veut simplement dire que la configuration politique de l’Assemblée nationale est verrouillée par son Règlement intérieur qui a force de loi. On ne voit dès lors pas par quelle alchimie le chef de l’Etat, ses collaborateurs ou ses partisans qui jurent la main sur le cœur de renverser la majorité en cours de législature pourraient réussir à retourner d’une quelconque manière cette majorité telle qu’elle a été pratiquement coulée dans le marbre en début de législature.
Incitation à une impossible forfaiture
Depuis son message à la nation vendredi 23 octobre dernier, le président de la République Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo est poussé par beaucoup d’acteurs politiques et sociaux tant nationaux qu’étrangers hostiles au FCC de Joseph Kabila à se confectionner une nouvelle majorité à l’Assemblée nationale afin de pouvoir former un gouvernement qui lui permettra de réaliser la vision pour laquelle il a été élu par le peuple. Le président de la République manifestement excédé par le refus de la grande majorité des membres du parlement (Assemblée nationale et Sénat) acquise à ses partenaires du FCC au sein de la coalition CACH-FCC ainsi que du 1er ministre et des ministres de cette plateforme de cautionner par leur présence la prestation de serment des juges constitutionnels dont ils dénonçaient le caractère inconstitutionnel de nomination de 2 d’entre eux avait en effet, annoncé des consultations destinées selon lui, à la constitution d’une nouvelle alliance politique baptisée Union sacrée de la nation et à la mise en œuvre subséquente d’une nouvelle répartition des forces au niveau du parlement avec à la clé un paradigme gouvernemental différent de celui actuellement en place.
C’est cette dernière perspective qui a fait sortir du bois les uns et les autres dans ce pays où d’aucuns considèrent généralement que la «carrière» politique est la plus rémunératrice, ce qui ne manque pas de poser une sérieuse hypothèque sur la nature même des consultations politiques annoncées par le chef de l’Etat. Ci et là on se livre fiévreusement à des projections arithmétiques alambiquées sur des statistiques parlementaires dont seuls les auteurs détiennent les secrets.
La plupart des têtes couronnées du front kabiliste s’émeuvent ‘’mezzo voce’’ de l’inclinaison de Fatshi à accaparer seul le contrôle de toutes les institutions supposées fonctionner séparément par la volonté du constituant et du législateur. Mais quelques observateurs estiment qu’il ne s’agirait que d’une manœuvre politique pour le chef de l’Etat qui, n’ignorant rien de la marge de manœuvre étriquée qui serait la sienne dans la voie vers laquelle le poussent des extrémistes, ne viserait en réalité qu’à brider les ardeurs des partisans déchaînés au sein du FCC qui ne font pas mystère de leur volonté de déclencher tôt ou tard les mécanismes d’un impeachment institutionnel par l’exclusion du FCC, aujourd’hui majoritaire dans une Assemblée nationale où il n’aurait pas de peine à atteindre la majorité qualifiée requise à cette fin.
Coup d’humeur et équation à multiples inconnues
Cette dernière analyse ne manque pas de pertinence car on peut utilement poser la question de savoir comment Félix Tshisekedi déjà indexé par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations-Unies pour les nombreuses bisbilles entre lui et le parlement à la suite notamment des affaires Jean-Jacques Mamba, du conflit entre les députés Jean-Marc Kabund et Jean Jacques Mamba aujourd’hui en exil en Europe, de la saga de l’entérinement de Ronsard Malonda à la tête de la CENI et des propositions de lois Minaku-Sakata pourrait parvenir à imposer une révision au forceps de l’article 46 du Règlement intérieur qui aurait pour conséquence de soumettre celle-ci à son bon vouloir.
Les commentateurs proches du parti de la 10ème rue Limete et autres chercheurs d’emplois passent un peu vite sur cette question centrale, emportés par l’euphorie de la nouvelle situation qu’offrirait ce nouvel ordre politique et institutionnel. La lecture des textes – eh oui, encore les textes ! – devrait pourtant inciter à plus de prudence les boutefeux et autres va-t-en-guerre de tous acabits.
La configuration politique au sein de l’Assemblée nationale restera jusqu’à nouvel ordre le fruit du choix libre des députés nationaux et des formations politiques dans lesquelles ils avaient concouru aux élections tel qu’opéré aux premiers jours de la mandature. L’agitation observée dans les médias et réseaux sociaux ne change rien au fait qu’une fois opéré, ce choix reste valide pour toute la durée du quinquennat, en foi de quoi la configuration actuelle à la chambre basse du parlement demeurera inchangée jusqu’à la fin de la législature.
En effet, la catégorisation majorité et opposition au niveau de l’Assemblée nationale concerne les partis et regroupements politiques qui se transposent à l’Assemblée dans les groupes parlementaires.
Distribuer des prébendes à des députés dans l’espoir de favoriser leur «transhumance» à titre individuel d’un camp vers l’autre revient dès lors à remplir le tonneau des Danaïdes.
C’est dans cet esprit qu’à l’Arrêt de la Cour constitutionnelle n° 891 du 1er avril 2019, avait été annexé à la liste déclarative d’appartenance des partis et regroupements politiques à la majorité, à l’opposition ou chez les ‘’non inscrits’’ (ou indépendants) au sein de la chambre basse.
Sur lesdites listes et à la date du prononcé de l’Arrêt susmentionné, 382 députés étaient catégorisés dans la majorité à travers leurs partis ou regroupements politiques contre 103 déclarés dans l’opposition. La répartition indiquait 24 partis et ou regroupements politiques identifiés dans la majorité contre 10 dans l’opposition, le tout faisant un total de 485 députés nationaux. Les 15 députés qui devaient porter le nombre à 500 étaient soit des non-inscrits, soit des élus dont les mandats avaient connus une validation tardive pour une raison ou une autre.
Il appert donc clairement de ce qui précède que si son intention réelle est de faire bouger les lignes à ce niveau, le président Félix Tshisekedi n’est pas au bout de ses peines car il devra se buter (une fois de plus) aux rigueurs de la loi pour arriver à une telle fin : soit il transgresse délibérément les dispositions réglementaires pré-rappelées en s’exposant à de nouvelles accusations d’atteinte délibérée aux lois de la République, soit il se rend à l’évidence des textes et trouve en sa qualité de président de la République symbole de l’unité nationale et garant du bon fonctionnement des institutions, d’autres formules pour réorganiser le ménage tourmenté dans lequel il s’est mis avec ses partenaires de la majorité parlementaire d’ores et déjà identifiée en début de la législature en cours.
Jonas Eugène Kota avec Le Maximum