L’opération de séduction du sénateur Modeste Bahati depuis la scission de son AFDC-A consécutive à son exclusion du FCC de Joseph Kabila, pour avoir les faveurs du chef de l’État Félix Tshisekedi a atteint son point culminant la semaine dernière à Goma (Nord-Kivu) où il s’était empressé de précéder le président Tshisekedi pour lui arracher une entrevue.
L’intention était claire: démontrer à Fatshi que malgré ses déboires avec Joseph Kabila, il continuait à être porté par les kivutiens et qu’il pourrait suppléer à l’absence de son ‘‘frère’’ Vital Kamerhe, directeur de cabinet de Tshisekedi et président de l’UNC, condamné récemment à 20 ans de travaux forcés pour détournement présumé des fonds alloués au programme d’urgence des 100 jours.
A Goma, le n°1 de l’AFDC a rencontré aussi l’ambassadeur américain en RDC Mike Hammer que l’on dit influent auprès du chef de l’Etat pour échanger autour de «la paix et la sécurité au Kivu» et solliciter une sorte de parrainage.
A Bukavu, dans son Sud-Kivu natal où il est arrivé le 6 octobre, Lukwebo a tenu à avoir un accueil d’ampleur destiné manifestement à convaincre Fatshi qu’il était l’homme du moment dans cette partie mouvante de la République.
Ruse, mobilisation monnayée, discours changeants selon qu’il se trouvait à Goma ou à Bukavu, c’est un Bahati roué comme Maradona qui se met en scène avec des méthodes cousues de fil blanc. Attendu à 10 heures via le Port Ihusi de Bukavu, il n’y arrivera que vers 14 heures après que des bus aient mobilisé et dispatché à travers l’avenue principale du chef-lieu du Sud-Kivu, des applaudisseurs embarqués avec la promesse ferme de «frais de transport» variant autour de 5000 FC. Pas vraiment des sympathisants et/ou militants de son parti politique car on y retrouvera 2 élus provinciaux UNC que l’on dit proches de Lukwebo depuis des lustres.
Jusque tard dans la soirée, ces groupuscules écumeront toutes les ruelles adjacentes à la place de l’indépendance pour se partager le ‘‘butin’’. Maman Wabi, une femme de la place venue de l’axe Essence-Panzi témoigne: «depuis quand je connais Lukwebo ? Moi, je suis venue chercher de quoi vivre aujourd’hui. Qu’il vienne vite, pour qu’on aille dans d’autres activités».
La distribution des billets de FC aux personnes venues attendre Bahati n’étonne personne à Bukavu. Si pareille pratique n’est pas nouvelle dans la classe politique congolaise, Lukwebo en est un des champions. «Avec lui, c’est sonnant et trébuchant», dit fièrement une jeune dame de Kadutu.
Discours ondoyants
Devant les habitants de Bukavu, Bahati Lukwebo sait qu’il est sur un terrain glissant, lui qu’on accuse de vouloir la place de Kamerhe, le meilleur élu de la circonscription et du pays en 2018, auprès du chef de l’Etat. Sur les réseaux sociaux, des messages le qualifiant d’éternel «traître » circulaient depuis la veille. On tient à savoir ce que pense chaque leader du Sud-Kivu sur la condamnation du patron de l’UNC. Pour appâter son auditoire, Lukwebo parle de Kamerhe avant même les salutations d’usage. «Je pourrais être dans la joie si notre frère Vital Kamerhe était libre. Vous savez tous sa situation, nous allons prier et continuer à plaider pour lui afin qu’il puisse s’en sortir», déclare-t-il dans un tonnerre d’applaudissements.
Ce sera le seul moment de communion entre ce perdant aux législatives de 2018 à Bukavu et ses interlocuteurs. Il évoquera ensuite brièvement sa position sur la CENI, la sécurité et la paix en RDC et au Kivu particulièrement. A Goma, à 200 Km à vol d’oiseau, le sénateur n’aura pas un seul mot de solidarité envers celui qu’il avait appelé son frère à Bukavu.
Les caciques de l’UNC se disent estomaqués par tant d’outrecuidance. L’homme ne s’est jamais donné la peine, ni de rendre visite à VK à la prison de Makala, ni de désapprouver clairement sa condamnation, se limitant dans un message non authentifié sur les réseaux sociaux à exprimer sa solidarité sans plus. «Il a trop peur d’irriter le président Tshisekedi pour prendre clairement position en faveur de Vital Kamerhe», estime un cadre de l’UNC.
Des intentions connues
Comme pour confirmer ses intentions, le sénateur s’est fendu d’un message largement relayé depuis mardi au président Tshisekedi, dans lequel il se plaint d’avoir été battu froid par le gouverneur Ngwabidje qu’il prétend avoir fait élire, autant de son allégeance au FCC de Joseph Kabila. «Excellence monsieur le président, vivement l’Etat de droit ! Inimaginable : le Gouverneur Théo Kasi Ngwabidje du Sud-Kivu que j’avais choisi, soutenu et fait élire au nom de l’AFDC-A, me refuse l’accès à la tribune publique pour saluer la population car il fait maintenant allégeance au FCC. Des policiers lourdement armés ont pris d’assaut la place de l’indépendance. Ceci est révoltant et peut embraser la ville de Bukavu. Je sollicite votre instruction, surtout que le regroupement AFDC-A avait écrit au maire de la ville 4 jours avant. En plus, c’est dans mon fief électoral. Très haute considération», écrit-il, en faisant semblant d’oublier que Bukavu lui avait refusé ses sufrages à l’Assemblée nationale lui préférant Didier Okito, l’actuel vice-ministre FCC à l’Economie.
Cette façon d’impliquer la première institution du pays à une querelle ‘‘protocolaire’’ dit tout de l’ambiguïté du personnage qui se dispute le leadership de l’AFDC-A avec le Dr. Néné Nkulu.
En fait, la police avait déjà dispersé les personnes massées devant la tribune de la Place de l’Indépendance car outre le retard de plusieurs heures à son arrivée, l’AFDC son parti n’avait pas informé les autorités municipales d’un quelconque meeting qu’il comptait y tenir. Une dispersion condamnée par certains membres de la société civile du Sud-Kivu qui ont rappelé que quelques jours auparavant, le questeur du Sénat, M. Rubuye s’y était adressé au public. Ce à quoi les amis de Rubuye rétoruquent que ce dernier avait pris la précaution d’en informer préalablement les autorités compétentes. Pince-sans-rire, le sénateur Bahati a évoqué Bukavu comme ‘‘son’’ fief électoral, soutenant qu’il avait été victime d’une fraude électorale. Du déjà entendu.
En réalité dans cette ville frondeuse, Lukwebo aura été parmi les leaders politiques les moins portés à coeur par les populations lors des précédentes élections. Généralement candidat dans son Kabare natal, il avait audacieusement parié de jeter son dévolu sur Bukavu en 2018. A ses risques et périls.
«Comment Bukavu peut-il être devenu le fief électoral de Bahati ?», s’interroge un internaute en réaction au message larmoyant du sénateur au président Tshisekedi, avant de rappeler que c’est ce sont ces mêmes élections frauduleuses selon lui qui l’ont porté au sénat où il siège aujourd’hui.
En attendant, plusieurs leaders politiques du Sud-Kivu restent méfiants vis-à-vis de Lukwebo accusé de n’avoir aucune autre vision que le pouvoir et l’argent. «Demandez-lui ce qu’il pense des problèmes des sud-kivutiens, il ne vous dira rien. Il veut simplement le pouvoir pour que son business puisse prospérer. Rien d’autre. Il a trouvé une belle occasion de vendre du vent au CACH. Malheureusement pour lui, Bukavu n’a jamais été à vendre» , tacle un activiste local de l’AFDC-A de l’aile Néné Nkulu.
A.M et JEAN LUC M.