Près de 2 ans après l’alternance au sommet de l’État, le fruit des efforts engagés par les FARDC sur le terrain des affrontements contre les forces négatives à l’Est de la RDC sont perceptibles mais encore insuffisant. Le président Tshisekedi a promis de s’installer prochainement à Goma pour prendre à bras le corps lesdits efforts. A y voir de près, l’équation sécuritaire dans cette partie du pays implique un processus long et complexe qui va au-delà du tout militaire.
L’insécurité endémique à l’Est apparaît d’ores et déjà comme un casse-tête pour le premier quinquennat de Fatshi. Dans cette région prise en tenaille par des groupes armés, la menace de la balkanisation est tellement présente dans les esprits qu’on peut comprendre l’émotion soulevée par la récente érection de Minembwe en commune rurale. La République vacille entre redditions des éléments des groupes armés souvent annoncées avec fanfare et violation par les mêmes groupes armés des accords conclus avec l’État pour mettre fin aux hostilités. Avec une multitude de dégats à la clé. Dans cet imbroglio entretenu par quelques parrains de l’insécurité à l’Est, le commerce de la guerre rime avec des intérêts locaux et étrangers.
Fort des renseignements à sa disposition, le chef de l’Etat a dénoncé à Goma les connivences de certains politiciens congolais avec les groupes armés actifs dans cette région et leurs parrains étrangers. Il serait mieux inspiré d’aller au-delà de la simple dénonciation de ce qui n’est en fait qu’un secret de polichinelle. Il serait plus utile que les auteurs de tant de crimes en répondent effectivement devant la justice. Il est établi que ces complicités d’insécurité ont leurs bases arrières dans le voisinage immédiat de la RDC où l’industrie de la guerre qui déchire l’Est du pays alimente des réseaux d’enrichissement illicite qui prospèrent grâce à la contrebande de nos ressources naturelles, les rébellions n’étant que des sous-traitants de la criminalité économique.
C’est ce qu’on lit dans une lettre du 17 août dernier dans laquelle un groupe de sénateurs démocrates et républicains américains du Council on Foreign Relations, formulaient quelques recommandations au Secrétaire d’État Mike Pompeo au sujet de la RDC. Cette lettre met en lumière la lutte régionale à mener contre le trafic illégal de l’or, commodité principale dans le financement des groupes armés et autour duquel s’activent des intermédiaires au Rwanda et en Ouganda. L’exploitation irrégulière du coltan, de l’étain, du tungstène (minerais du sang) est l’élément structurant du chaos à l’Est du pays qui profite à quelques multinationales.
La solution ne saurait donc être exclusivement militaire, encore moins exclusivement congolaise. Dans une déclaration conjointe après la visite à Washington du président Tshisekedi, en avril 2019, les Etats-Unis et la RDC s’étaient engagés à poursuivre un partenariat privilégié visant la stabilité, la paix et la prospérité. Si l’alternance a ouvert un boulevard d’opportunités aux intérêts américains en RDC, le partenariat privilégié peine à concrétiser des avancées notables.
Sur fond d’une crise sécuritaire avec son lot quotidien de morts et de désolation, le leadership congolais doit mettre à l’épreuve ce partenariat privilégié avec les USA pour construire la paix à l’Est de la RDC.
Si Kinshasa doit grâce aux moyens mis à sa disposition éradiquer les dynamiques internes qui nourrissent l’insécurité, nul autre État n’a autant d’ascendant sur les voisins du Congo que les USA pour oblitérer les velléités expansionnistes de certains voisins.
L’implication américaine est donc incontournable pour garantir une solution durable.
Au-delà du résultat mitigé des moyens investis dans la sécurisation du Kivu, d’aucuns parmi les analystes évoquent des réseaux maffieux qui incluent certains Congolais pour expliquer la persistance de l’insécurité qui n’en finit pas dans le Kivu depuis plus d’une vingtaine d’années. Ces réseaux maffieux remontent au tout début de l’instabilité du Kivu. Invité par RFI en marge de la remise du prix Nobel de la paix au gynécologue congolais, Dénis Mukwege, Thierry Vircoulon, a situé l’origine de la persistance de l’insécurité dans l’économie de guerre alimentée par les multinationales issues des mêmes pays que Félix Tshisekedi a décidé d’associer à ses efforts de pacification de la RDC.
Selon cet expert, les parties aux conflits ont créé des réseaux d’accès aux riches ressources naturelles congolaises, après l’échec de chaque camp dans les confrontations militaires (Kisangani). Pour lui, cette exploitation se fait via les groupes armés que chacun crée et finance.
Aujourd’hui, à en croire le politologue belge d’origine congolaise Bob Kabamba, des membres de la classe politique congolaise ont emboité le pas aux anciens belligérants dans les initiatives subversives au Kivu. «Pour une série de politiciens qui sont en mal de positionnement, l’utilisation de la violence devient un moyen de pouvoir accéder à des postes rétribués à Kinshasa», explique-t-il.
La mauvaise gestion des questions politiques, administratives et coutumières par le pouvoir, mais aussi l’absence de l’autorité de l’Etat sont aussi des causes majeures de la crise qui sévit à l’Est de la RDC. Au sujet de l’insécurité, le chef de l’Etat a exprimé sa volonté d’en finir avec les groupes armés. En mettant en garde les acteurs politiques qui les entretiennent et divisent leurs communautés.
Proposition de solutions
Les solutions potentielles formulées par plusieurs experts à cet égard se résument en une prise de conscience patriotique de la part de chaque Congolais en vue d’une cohésion nationale dans le cadre d’une vision d’ensemble du peuple congolais à travers le renforcement des programmes d’éducation et de formation civique et politique à tous les niveaux de vie (familles, écoles, universités, églises, entreprises, associations…). Cela implique aussi que soit revue la méthodologie adaptée à chaque niveau. Il convient dès lors que des spécialistes puissent mettre en place un programme adapté à chacun de ces derniers. C’est à ce prix que se construirait une conscience collective nationale inébranlable pouvant mettre fin à toutes les idées négatives qui entraînent la guerre.
La refondation de l’Etat congolais par le renforcement de la bonne gouvernance au sommet, avec un accent particulier sur la réforme de l’armée qui doit devenir nationale, républicaine, dissuasive ainsi que celle des forces de sécurité et de la justice qui doivent être extirpées de tous les agents véreux et corrompus qui y pullulent.
La redynamisation des relations diplomatiques multilatérales, surtout vis-à-vis des grandes puissances nécessite que cesse l’instrumentalisation par certaines puissances des pays voisins pour servir leurs projets hégémoniques.
Le renforcement d’une coopération économique régionale gagnant-gagnant pour réguler la convoitise effrénée des ressources naturelles de la RDC s’inscrit dans cette logique. La pratique de la justice distributive des richesses nationales pour juguler le chômage et réduire le nombre d’aigris et la corruption aussi.
La lutte contre l’impunité doit devenir une réalité palpable au lieu de se réduire en des déclarations masquées et trompeuses de bonnes intentions.
Le refus à l’accès au mandat politique pendant une période à déterminer à quiconque se serait rendu coupable de trahison pourrait être à cet égard un excellent point de départ. Il importe en outre d’exclure toute idée d’intégrer dans les rangs des FARDC les groupes armés rebelles. Le renforcement de la diplomatie pour un dialogue stratégique avec les pays ayant des groupes armés étrangers dans le territoire congolais afin de juguler l’activisme de ces derniers s’impose également. C’est le cas notamment du Burundi, du Rwanda et de l’Ouganda. Seule une diplomatie audacieuse et agissante permettra d’y parvenir.
AM