Depuis l’installation en fanfare le dimanche 27 septembre dernier d’un bourgmestre dans la commune rurale de Minembwe par les autorités provinciales du Sud-Kivu, entourées par un parterre d’officiels du gouvernement central et de hauts gradés des FARDC, en présence d’une forte délégation de la Monusco et de l’ambassadeur US à Kinshasa, le débat sur le complot de la balkanisation de la RDC a été relancé.
Alimentée par l’importance symbolique accordée à un événement somme toute mineur, la crainte de voir la nouvelle entité servir de cheval de Troie pour le démembrement du territoire national a envahi nombre de Congolais. «Ce que ces officines politiques en mal de positionnement animées par des théoriciens de la balkanisation du pays de Lumumba qui ne ratent pas la moindre occasion de revenir à la charge racontent ne tient pas la route. Croire que la simple érection en commune rurale d’une entité sans lien discontinu avec quelque pays voisin que ce soit puisse servir la cause de la balkanisation du Congo-Kinshasa relève de la pure fantaisie », estime un professeur de sciences politiques de l’université de Kinshasa sous le sceau de l’anonymat. Pour qui, il s’agit d’une lecture superficielle d’individus conscients de prêcher des convertis dans les anciennes provinces du Kivu où depuis les débordements au Zaïre voisin des conséquences du génocide rwandais de 1994 l’opinion publique écorchée vive par les horreurs subies au fur et à mesure des promenades militaires rwandaises et ougandaises exerçant un ‘’droit de suite’’ contre les «génocidaires» dont certains avaient été accueillis par le Maréchal Mobutu Sese Seko. «Dans un pays où la politique est devenue une sorte de sport pour tous, l’occasion était trop belle pour hurler avec les loups afin de se rappeler aux bons souvenirs des décideurs tant du gouvernement que de l’omnipotente communauté internationale dans l’espoir de se faire inviter à la table de ces longues et fastidieuses négociations ainsi qu’aux prébendes tant politiques que sonnants et trébuchants qui vont avec», ajoute-t-il.
Mythes et réalités sur l’Est de la RDC
L’Est de la RDC a fait couler encre et salive ces 30 dernières années sans nécessairement améliorer la compréhension de ses enjeux sécuritaires et stratégiques dans cette sous-région fragile du continent africain. Au Congo-Kinshasa, véritable royaume de la politique politicienne où la rumeur règne en maîtresse et où tous les coups sont permis pour prendre le dessus dans le débat politique, la vente des illusions prend souvent le pas sur les analyses collées aux exigences de la rigueur et de l’objectivité scientifiques.
La région septentrionale du pays demeure toujours encline à l’obscurantisme et suscite quotidiennement moult fantasmes. Des malentendus entretenus ou fortuits y émaillent le moindre événement de la vie quotidienne et contribuent à entretenir dans l’imaginaire collectif une impression généralisée de détérioration de la situation sécuritaire qui empoisonne tous les projets de politiques publiques ainsi que les initiatives locales, provinciales, nationales ou régionales de solution à l’insécurité ambiante.
C’est au mois de mars 2012 que le gouvernement du 1er ministre adolphe Muzito a déposé une proposition de décret portant création de nouvelles villes et communes urbaines et rurales parmi lesquelles figurait la commune rurale de Minembwe au Sud-Kivu. Un débat houleux dans les deux chambres du parlement, amena Muzito à geler le projet qui sera réchauffé par son successeur Augustin Matata Ponyo qui signera ‘in fine’ le décret n° 13/029 du 13 juin 2013 conférant le statut de ville et de communes à certaines agglomération du pays.
C’est l’unique décret du genre pris dans ce sens sous la 3ème République, conformément à la constitution du 18 février 2006. Hormis la ville-province de Kinshasa non concernée par ce ‘‘découpage administratif’’ supplémentaire, les 10 autres provinces de l’époque avaient été concernées par l’acquisition de nouvelles entités territoriales décentralisées visées aux articles 2, 92 et 226 de la constitution et encadrées par la loi n°08/12 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces ainsi que la loi organique n° 08/16 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’État et les provinces. Au total 355 entités territoriales décentralisées avaient été portées sur les fonts baptismaux, dont 70 villes et 285 communes.
La plupart de ceux qui font enfler la polémique sur les médias et les réseaux sociaux passent outre sciemment ou par ignorance les dispositions légales en la matière. Ils auraient été mieux inspirés de se faire une idée exacte de ce qu’est une commune rurale en droit positif rd congolais.
L’alinéa 1er de l’article 5 de la loi n° 08/12 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces définit la ville, la commune, le secteur et la chefferie comme «des entités territoriales décentralisées dotées de la personnalité juridique ». Quant à la commune, sa définition est clairement donnée par l’article 46 de la loi organique n° 08/16 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’État et les provinces, qui dispose : «aux termes de la présente loi, il faut entendre par commune: 1. tout chef lieu de territoire; 2. toute subdivision de la ville ou toute agglomération ayant une population d’au moins 20.000 habitants à laquelle un décret du premier ministre aura conféré le statut de commune». Dégoûté par cette controverse politiquement motivée, Daniel Mwana Nteba, membre de l’UNC & alliés, s’est fendu d’un tweet très pédagogique: «la commune est une entité administrative décentralisée qui a pouvoir d’établir les actes de l’état civil comme les actes de naissance, attestation de naissance, de résidence, bonne vie et mœurs, de perte de pièces et consorts», a-t-il rappelé. Pas suffisant pour les boutefeux qui continuent à soutenir pince sans rire que la commune de Minembwe s’étendrait sur «un territoire plus large que le Rwanda », et serait subséquemment «la preuve du début de l’exécution du plan d’annexion d’une partie de la RDC à l’empire Hima-Tutsi du Rwanda voisin». À en croire les défenseurs de cette thèse, la commune rurale de Minembwe empiéterait sur des pans entiers des terres utiles en territoire de Fizi, de Mwenga et d’Uvira sur les hauts plateaux, offrant ainsi une position militaire «stratégique» aux velléités expansionnistes du Rwanda sur la RDC et le Burundi. Une vue de l’esprit très alléchante pour le Congolais lambda, peu enclin à vérifier ou critiquer des informations diffusées dans les médias ou les réseaux sociaux.
Pourtant, le décret de 2013 conférant le statut de ville et de commune à certaines agglomérations de la province du Sud-Kivu se passe de tout commentaire. L’agglomération de Minembwe devenue commune de Minembwe y pointe en dixième position. A l’annexe 3 dudit décret sont fixées sur le marbre ses limites. Au Nord, la commune de Minembwe est limitée par le ruisseau Kalungi et la rivière Minembwe. Au Sud, elle est bordée par le ruisseau Sara et la rivière Kabanja. À l’Est, c’est la chaîne montagneuse de Mukoko et la forêt de Rugmero qui en constituent les limites naturelles, pendant qu’à l’Ouest, c’est la rivière Matenganya qui en est la limite. Grossomodo, l’on est sur un territoire ne dépassant pas 30 km², loin, très loin derrière le fameux territoires de 300 kilomètres ou du mythique «pays des tutsis du Congo» dont on parle dans certains réseaux sociaux.
Géographiquement, la commune rurale de Minembwe, située entièrement à l’intérieur du territoire de Fizi, se trouve à une centaine de kilomètres de la frontière naturelle étanche qui sépare la RDC, le Burundi et la Tanzanie à l’Est qui se trouve être le Lac Tanganyika. Elle s’étend en outre à plus de 300 km au Sud de la frontière rwandaise qui longe la rivière Ruzizi à quelques encablures de la ville de Bukavu, chef-lieu du Sud-Kivu.
La peur bleue du Rwanda
A bien réfléchir, le Rwanda est certainement, et de loin, plus puissant dans l’imagination d’un certain nombre de Congolais que dans la réalité. Déroutés par les différentes incursions des forces armées rwandaises dans leur pays et une propagande généralement irrationnelle, beaucoup de Congolais ont pris l’habitude ces dernières années de voir la main noire du Rwanda derrière tous leurs malheurs. Ce complexe d’infériorité fait l’affaire des Rwandais qui ne boudent certainement pas ce plaisir d’inspirer une telle panique à beaucoup de membres de l’intelligentsia de leur immense voisin de l’Ouest qui contribue à leur conférer gratuitement une sorte d’hégémonie dont des petits malins n’hésitent pas à user et à abuser notamment dans l’exploitation des ressources naturelles de la RDC.
La réalité est que les Congolais se sous-estiment. Au plus fort de l’invasion rwandaise par le RCD/Goma interposé, les Rwandais, quoique portés à bout de bras par les puissances américaines, britanniques, voire belges, n’étaient pas parvenus à annexer un seul m² du territoire congolais. Tous les plans de balkanisation caressés par les principautés militaires au pouvoir à Kigali et à Kampala n’ont pu avoir raison de la résilience et de l’osmose du peuple congolais qui ont abouti à un échec cuisant de leurs plans de balkanisation dont on a vu la preuve lors des affrontements de Kisangani entre leur armée et celle de l’Ouganda.
Après ces épisodes de la «première guerre mondiale africaine du Congo» on ne peut pas logiquement prêter foi à l’idée qu’une simple entité, certes majoritairement peuplée d’anciens émigrés ou réfugiés rwandais devenus Congolais par la force des choses, du reste située à plus de 300 km du Rwanda, puisse passer aussi facilement sous l’escarcelle de ce dernier pays du simple fait de sa transformation en commune rurale.
Polémiques stériles
La crédulité de certains Congolais les laissent croire en des récits et commentaires fantaisistes faisant état d’une confusion délibérée entre la commune rurale de Minembwe dans son statut actuel et l’ancien territoire de Minembwe, une entité déconcentrée à l’époque de l’agression rwandaise derrière le paravent du mouvement rebelle RCD/Goma. Il est vrai qu’en 1999, cette rébellion pro rwandaise avait créé ex nihilo un territoire de Minembwe, comprenant de larges espaces des territoires de Fizi, Uvira et Mwenga. Plus grand que le Rwanda, ce territoire totalement illégal avait été confié à des Banyamulenge (Congolais rwandophones).
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. La survivance de ce territoire n’a jamais pu être imposée ni par les négociateurs du RCD/Goma, ni par leurs parrains occidentaux lors des différentes phases du dialogue inter-congolais de Sun-City en Afrique du Sud, pas plus que par la composante RCD/Goma représentée par un vice-président de la République et des ministres pendant les 3 années de transition (2003-2006). Ce n’est pas en plein fonctionnement normal des institutions démocratiques au sein desquelles le poids de ces «Congolais rwandophones» a été réduit par l’application du principe ‘‘un homme une voix’’ que pareille initiative pourrait trouver un écho favorable.
Il est de bonne guerre que les Congolais soient jaloux de leur souveraineté sur la terre de leurs ancêtres et il faut encourager leur vigilance face aux funestes projets de balkanisation qui n’a pas pris la moindre ride. Néanmoins, il ne sert à rien de ressusciter une camarde déjà ensevelie.
JBD AVEC LE MAXIMUM
DECENTRALISATION OU BALKANISATION : Minembwe, commune rurale ou cheval de Troie ?
