Dans une deuxième contribution après celle du 26 septembre au sujet des graves violations de la Constitution de la RDC par le président de la République qui en est le garant, le professeur émérite Raphaël Nyabirungu, un intellectuel respecté en Afrique qui est aussi consultant à la Cour pénale internationale (CPI) revient sur les ordonnances présidentielles du 17 Juillet 2020 qui, selon lui, violent 17 articles de la constitution et non 9 comme allégué précédemment. Pour solliciter l’arbitrage de l’Union africaine afin d’aider la RDC à sortir de ce dangereux imbroglio qui empoisonne les relations entre les deux composantes de la majorité CACH-FCC.
En réaction aux allégations de violations flagrantes de la loi fondamentale, une certaine opinion affirme avec fougue que lesdites ordonnances n’ont violé aucune disposition constitutionnelle. Ambiance.
Les partisans du président brandissent la compétence discrétionnaire qui serait reconnue au chef de l’Etat. Une justification rejetée par leurs détracteurs qui estiment qu’au contraire on se trouve dans un domaine par excellence de compétence liée, un concept aux antipodes de la compétence discrétionnaire. «Cette opinion est non seulement fausse mais aussi dangereuse car elle remet en cause le principe des poids et contrepoids (checks and balances) sur lequel est adossé l’Etat de droit. Elle risque notamment d’exposer inutilement la Nation à des divisions intercommunautaires et provinciales avec une montée déplorable du tribalisme aux conséquences incalculables et imprévisibles», estime Nyabirungu.
Douze jours après avoir donné sa lecture à propos de ces textes chahutés (Cfr. Le Maximum n° 758 du vendredi 11 septembre 2020), l’ancien doyen de la faculté de droit de l’Université de Kinshasa revient à la charge et tire la sonnette d’alarme avec plus de précisions. «Une balance qui penche seulement et toujours d’un seul côté cesse d’être utilisable. Dans le cas d’espèce, les 17 articles ci-après de la constitution (articles 1er, 12, 62, 64, 69, 74, 79. 4° et 8°, 81, 82, 91.1° à 5°, 92, 150.2°, et 4°, 152.1° à 3°, 158. 1° à 4°, 165.1°, 169 et 192)ont été intentionnellement et systématiquement violés aux termes des ordonnances présidentielles nommant et permutant des juges à la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation», assène-t-il à ce sujet.
Un point de vue partagé
Dans le même contexte, Maître Théodore Ngoy, l’avocat des juges constitutionnels Noël Kilomba et Jean Ubulu, qui ont refusé de prêter serment en qualité de présidents à la Cour de cassation en déclarant vouloir garder leur mandat à la Cour constitutionnelle qui ne pourra éventuellement expirer pour un seul d’entre eux que lors du tirage au sort prévu en avril 2021, avait menacé de saisir le parlement pour déclencher la procédure de mise en accusation du président de la République pour haute trahison et violation intentionnelle de la constitution s’il ne rapportait pas lesdites ordonnances.
Les porte-voix du parti présidentiel y ont aussitôt vu une manœuvre du FCC de l’ancien président Joseph Kabila, déterminé à en découdre avec son allié dans la coalition au pouvoir.
Quoiqu’en pensent quelques caciques de part et d’autre, la crise est sérieuse car, d’une part, du fait de la vraisemblance d’un refus de la majorité parlementaire du FCC de recevoir la cérémonie de prestation de serment des deux magistrats désignés à la Cour constitutionnelle devant le chef de l’Etat, cérémonie qui doit impérativement avoir lieu «devant la Nation congolaise représentée par les deux chambres réunies en congrès», elle empêche cette haute juridiction de fonctionner normalement avec ses 9 membres au complet. D’autre part, elle va compromettre pendant une période indéterminée toute possibilité d’élection du nouveau président de la Cour qui relève de la compétence de ses 9 membres.
Dignité pour le Congo et pour l’Afrique
Le professeur Nyabirungu est d’avis que l’Union africaine qui a démontré récemment sa capacité à assumer avec un certain succès ses responsabilités en matière de gestion des crises sur le continent, notamment au Soudan et en RCA est appelée à «obtenir de Félix Tshisekedi, qui succédera au Sud Africain Cyril Ramaphosa en 2021 à la présidence tournante de l’organisation panafricaine le respect de la constitution de son pays pour que ses pairs africains espèrent le voir travailler utilement et de manière crédible à la mise en œuvre de la charte de l’Union Africaine tout au long de son mandat». « L’organisation continentale a surement intérêt à redoubler d’efforts pour obtenir cette garantie. En effet, dans le cadre de nombreux conflits intra ou interinstitutionnels qui se profilent à l’horizon de la RDC, le chef de l’Etat donne l’impression de ne pas jouer pleinement son rôle d’arbitre, préférant laisser le champ libre à quelques faucons de son parti, l’UDPS, d’en découdre avec ceux qu’ils décident de cibler pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’intérêt public», se lamente un chroniqueur politique de la majorité proche de l’ancien président Kabila qui évoque les ennuis de Martin Fayulu, leader de l’Ecidé, un parti de l’opposition et de l’avocat Théodore Ngoy, dûment convoqués par un procureur pour répondre d’une offense à chef d’Etat pour avoir réclamé que les ordonnances présidentielles inconstitutionnelles soient rapportées avant que le parquet ne fasse un rétropédalage en annonçant via le chef de la police que c’était un «fake news». Commentaire de Théodore Ngoy : « En mes nombreuses années dans le barreau, c’est bien la première fois qu’un fake news est distribué par un huissier de justice qui du reste n’a été interpellé par aucune autorité judiciaire !».
Un défenseur des droits de l’homme de la capitale appelle comme Nyabirungu «l’Union africaine et le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, qui assume la présidence tournante de l’Union africaine en 2020, à user de leurs bons offices pour inciter les chefs d’Etat africains à déployer des efforts plus intenses pour endiguer cette crise en gestation en RDC qui risque de désorganiser complètement les parties encore stables de ce grand pays et provoquer des conflits meurtriers».
Le choc est il inévitable ?
D’aucuns dans l’arène politique estiment que le millénarisme laïc (croyance selon laquelle une certaine catharsis transformatrice a le pouvoir miraculeux d’effacer les crimes et les dérives d’un pouvoir autocratique) suffit pour stabiliser un régime politique. C’est en réalité un raccourci trompeur.
Les théories du progrès humain comme continuum linéaire ascendant conduisant inévitablement à une meilleure destinée des populations, bien qu’assaisonnées de slogans généreusement volontaristes n’ont jamais été que des hypothèses empiriques, des mythes artificiellement construits, répondant à un besoin humain de sens, souvent manipulés sans scrupules par les adeptes du pouvoir pour le pouvoir.
De tels mythes ne jouent de toute évidence aucun rôle significatif dans la promotion d’un véritable Etat de droit.
A l’évidence, l’aile radicale du parti du président a résolu de s’arcbouter délibérément sur une définition de la politique comme une lutte manichéenne et clivante entre le « bien » (le parti auquel on appartient) et le « mal » (les autres) qui n’est autre que l’antichambre du despotisme et du fascisme. Au nom de réminiscences historiques douteuses relatives à un passé de lutte contre l’oppression et la cruauté du régime dictatoriale de la deuxième République à laquelle on a tendance à escamoter l’apport d’autres forces comme l’AFDL de Mzee Kabila qui fut le vrai tombeur de Mobutu, ses ténors voudraient imposer dans le pays une gestion de la res publica qui serait plus une «croisade» contre un mal cosmique, un nouveau «démon».
On en vient à se demander pourquoi le président Fatshi et son prédécesseur JKK ont créé la coalition CACH-FCC qui, en dehors des rituels institutionnels semble être de plus en plus à la merci de ces passions houleuses et donne de la matière à leurs détracteurs de l’opposition politique autant qu’aux impérialistes dont les intérêts sont mieux préservés lorsque les Congolais s’étripent et livrent à la chienlit ce coffre-fort naturel qu’est leur pays.
Noir sur blanc on lit moult projections d’intellectuels et militants de l’UDPS se gargarisant sur la façon dont le président de la République pourrait à nouveau malmener la constitution en restant au pouvoir au-delà du délai légal de son quinquennat et justifier son refus de rapporter ses ordonnances du 17 Juillet même si celles-ci violent intentionnellement la loi fondamentale.
Le FCC a raison de s’opposer à cette attitude cavalière de ses partenaires qui consiste à fouler aux pieds les prescrits de la loi des lois.
Il est clair que la régularité des ordonnances présidentielles du 17 juillet 2020 est sujette à caution. Une crise constitutionnelle et interinstitutionnelle est à craindre à cet égard.
Manichéisme et manipulation à outrance
On ne peut pas ne pas voir une conception utilitariste substantielle de la notion de l’Etat de droit dans une partie de la plateforme présidentielle qui se jette à corps perdu dans un manichéisme et une manipulation politique de plus en plus cyniques. Le récit médiatique narcissique selon lequel le président «n’a jamais violé la constitution» n’y change rien.
Il s’agit d’un schéma sans lendemain comme le démontre le résultat en eau de boudin de la plupart des scénarios de soutien au chef depuis le début de son mandat, lesquels, bien qu’entraînant de grandes mobilisations de masse se terminent généralement par des impasses politiques, qui, selon les analystes, peuvent ‘in fine’ conduire à un chaos peu profitable au leadership présidentiel et à la nation. Il en est ainsi de l’idée fallacieuse que l’intention du chef de l’Etat en promulguant les ordonnances décriées du 17 Juillet était de sauver la démocratie du despotisme alors que dans une opinion impartiale, ces textes sont perçus comme un véritable coup d’État constitutionnel qui plonge la RDC dans ce que Anne Applebaum a qualifié de «crépuscule de la démocratie». Rod Dreher décrit ce concept par une allégorie à une fête de nouvel an dans une maison de campagne de la Pologne post-communiste : «Tout le monde est joyeux. Mais aujourd’hui, la moitié de personnes présentes à la fête ne parle pas à l’autre moitié». Autrement dit, agglutinés sur un terrain commun vide, les participants à la ’’fête’’ ont migré vers les extrêmes pour préparer un nouveau totalitarisme. Tout est inversé : le conservatisme n’est plus conservateur et les progressistes ne sont plus progressistes. Chacun cherche fébrilement à tirer la couverture de son côté et à «conserver» ce qui existe.
L’avis des experts
Avec ses ordonnances comportant plus d’une dizaine de violations de la constitution, Tshisekedi sort du champ des artisans de l’Etat de droit démocratique pour entrer dans la catégorie de ces dirigeants africains obnubilés par le ‘’power for the power sake’’. C’est ce que pense un panel d’experts qui s’est exprimé le 22 septembre 2020 sur lesdites ordonnances qualifiées d’anticonstitutionnelles. Ils y voient des violations intentionnelles, manifestes et flagrantes de la constitution et des Lois de la République ; une usurpation anticonstitutionnelle des prérogatives constitutionnelles du premier ministre, chef du gouvernement, et du gouvernement dans un contexte de coalition politique.
Pour ces experts, « la nomination des deux Juges de la Cour constitutionnelle à la Cour de cassation et la nomination de trois autres membres à la Cour constitutionnelle (magistrats Dieudonné Kamuleta Badibanga, Alphonsine Kalume et Kaluba Dibwa) sont frappées de nullité de plein droit car il s’agit d’une inconstitutionnalité manifeste, un anéantissement de l’Etat de droit en RDC et une tentative de renversement du système constitutionnel ; faux en écritures et usage de faux et enfin une haute trahison».
Au demeurant, la victoire de CACH à la présidentielle du 30 décembre 2018, juxtaposée à celle du FCC aux législatives du même jour ainsi que l’alternance pacifique et civilisée au pouvoir qui s’en est suivie n’étaient pas une histoire idéologique et géopolitique. C’était un verdict prononcé en connaissance de cause par le peuple congolais, souverain primaire qui a voulu que le tandem Kabila-Tshisekedi dirige ensemble le pays. On doit dès lors cesser de vouloir à tout prix entraîner le Congo post-Kabila dans une interminable lutte entre la démocratie et l’autoritarisme, entre la liberté et l’oppression. C’est le Congo qui a cru que les équilibres politiques étaient inévitables parce que l’histoire, une force dotée de pouvoirs de détermination irréfragable, l’exigeait.
Les extrémistes de CACH qui considèrent toute critique du président Fatshi comme un crime de lèse-majesté ou une tentative de le destituer ont tort et doivent redescendre sur terre car, comme le signale un expert, «une mise en accusation du chef de l’État serait peut-être juridiquement justifiée mais politiquement contreproductive car génératrice de chaos».
Ceux qui dans la sphère politique ou en dehors promeuvent le millénarisme de la légalité républicaine ont donc raison car le Congo a entrepris une «grande marche» vers le progrès. Cette marche est loin d’être terminée en dépit des obstacles, car sans obstacles il n’y a point de «Grande Marche».
Les forces réactionnaires seront toujours à l’affût pour perturber la Marche ou s’y opposer. Il est dès lors indispensable que les esprits éclairés au sein de la coalition CACH-FCC démolissent ces obstacles à leur Grande Marche, et aplanissent la route pour des lendemains qui chantent.
L’image symétrique du récit manichéen de la RDC d’aujourd’hui que veulent répandre quelques extrémistes de tous bords n’est qu’un déviationnisme irresponsable qui tend à éroder tous les acquis démocratiques de la 3ème République au risque de compromettre les efforts des nos Héros nationaux Lumumba et Kabila et d’autres acteurs majeurs de notre destin.
Le but des lanceurs d’alerte sur les violations de la Constitution en RDC n’est pas nécessairement de manipuler les perceptions du public sur un comportement questionnable de la première institution de l’Etat (président).
Les esprits avertis doivent apprendre à avancer en douceur et exclure toute violence même verbale et toute agitation dans leurs prestations.
Avis de tempête
Les experts mettent le doigt dans la plaie en signalant des manifestations massives qui seraient déjà en préparation pour donner l’impression que tout le Congo est contre le président. Ceux qui les préparent fiévreusement veulent ainsi briser une coalition qu’ils n’ont pas pu empêcher de se constituer. Ainsi cette question à l’armée congolaise : «De quel côté êtes-vous ? De la démocratie ou du despotisme ?» Les experts sont clairs sur ce point : «Une manifestation de masse dans les rues et des actions peuvent être des facteurs décisifs pour déterminer ce que le public perçoit comme un résultat juste et légitime». En d’autres termes, les événements vont conspirer pour suggérer aux uns et aux autres la seule réponse «correcte».
Dieu merci, le Congo n’en est pas encore là. Nyabirungu comme son collègue Ngoy et les experts se limitent jusqu’à présent à demander au président de la République de rapporter ses ordonnances présidentielles du 17 Juillet 2020 ou à solliciter l’arbitrage de l’Union africaine en privilégiant le dialogue au sein de la coalition FCC-CACH.
La dernière entrevue entre le président Félix Tshisekedi et son prédécesseur Joseph Kabila à la N’Sele ne semble pas avoir réussi à calmer les ardeurs belliqueuses de certains baroudeurs des deux camps tandis que les populations plongent de plus en plus dans l’incertitude et le désarroi ainsi que le démontrent les incursions de groupes sécessionnistes à Lubumbashi et Likasi.
Il est minuit moins 5’.
A.M avec le maximum