Le gouverneur de la province du Sankuru semble enfermé dans une bulle auto-satisfactoire avec des slogans narcissiques du genre ‘‘Wolo weko’’ alors que ce type de bulles, quand elles explosent, peuvent faire de gros dégâts. Noyé dans une illusion de toute-puissance, il semble ignorer qu’il se trouve confronté à un danger majeur : le suicide politique provoqué par une volonté têtue, voire désespérée, de se maintenir coûte que coûte. Jusqu’où les accrochages entre l’Assemblée provinciale et l’exécutif du Sankuru peuvent-ils aller? On est manifestement à la veille d’une implosion qui risque d’entraîner le reste de la province. Le feuilleton politico-judiciaire commencé avec l’élection des gouverneur et vice gouverneur prend des allures de plus en plus caricaturales.
Les récentes déclarations de Benoît Olamba, président de l’Assemblée provinciale du Sankuru au cours de l’émission ‘‘Face à face’’ sur Top Congo Fm sur la crise interinstitutionnelle qui paralyse la province natale de Lumumba montrent clairement que sans retour à la légalité, le Sankuru est engagé dans une course au suicide collectif. «Le problème du Sankuru c’est Mukumadi(Sic). L’anamnèse est fait et tout le monde le sait ! Mukumadi en complicité avec certains membres de l’UDPS ont engagé le Sankuru dans une course pour la honte, désacralisant l’état de droit prôné par le chef de l’État Félix Tshisekedi ainsi que le gouvernement de la République. Cependant, c’est une course que personne ne peut gagner», estime un observateur. La crise interinstitutionnelle au Sankuru ressemble à une fable attribuée à Ésope, conteur de la Grèce antique mettant en scène un scorpion et une grenouille qui se rencontrent au bord d’une rivière. Le scorpion (Mukumadi) demande à la grenouille (Assemblée provinciale du Sankuru) de l’emmener sur l’autre rive. La grenouille refuse la demande du scorpion, craignant que celui-ci ne le pique à mi-chemin. Le scorpion lui répond que cela signifierait une mort certaine pour les deux, et que, par conséquent, cela serait illogique. La grenouille accepte de porter le scorpion. Comme elle le craignait, le scorpion la pique, les envoyant tous les deux dans le décor. Avant qu’elle ne coule, la grenouille demande au scorpion pourquoi il a fait cela, à quoi le scorpion répond : «C’est ma nature».
L’étreinte suicidaire de Mukumadi qui veut confisquer l’avenir de toute une province dans sa chute est tout simplement répugnante. Il avait pourtant été élu gouverneur du Sankuru le 20 juillet 2019 avant d’être mis en accusation devant la Cour constitutionnelle par ses électeurs pour détournement de deniers publics, abus de pouvoir et outrage à l’Assemblée provinciale. Une démarche jugée légale par la Cour constitutionnelle le 16 juillet mais dont le ministre de l’Intérieur, l’UDPS Gilbert Kankonde s’est délibérément abstenu de prendre acte alors que pour des cas similaires, il s’était empressé de nommer les intérimaires pour gérer les affaires courantes des provinces concernées.
Cette inertie est donc entretenue à dessein alors que le gouvernement central devrait promouvoir le respect de la légalité. «Que le VPM en charge de l’Intérieur fasse juste appliquer les décisions de justice et le problème du Sankuru sera résolu. Que le VPM nomme un intérimaire à la tête de la province en attendant les élections», a suggéré Olamba à ce sujet.
Les dernières déclarations de Mukumadi, lors d’un point de presse à Kinshasa ont clairement indiqué que ce dernier n’a pas l’intention de respecter les lois de la République, pas plus qu’il ne les a respectées dans le contentieux de liste avant son élection au sujet d’une usurpation flagrante de la nationalité congolaise. Autant qu’on déplore les arrestations arbitraires et le muselage des journalistes qui se montrent plus ou moins critiques à son égard. A ce propos justement, l’ONG Journalistes en danger (JED) a condamné l’arrestation de François Lendo, directeur général de Radio Losanganya pour l’infraction d’«outrage au gouverneur» qui n’existe dans aucune législation en vigueur en RDC. Que des tortures infligées aux membres du PPRD et à ceux de la CCU, proches réels ou supposés des élus nationaux Léonard She Okitundu, Moïse Ekanga et Lambert Mende Omalanga. Quel gâchis !
Une dizaine de paysans raflés à Lodja et Lomela ont été transférés à Kinshasa pour être livrés à la vindicte populaire comme miliciens au service de ces derniers.
Curieusement, Mukumadi avait déclaré lui-même qu’ils avaient été arrêtés à la suite d’un conflit champêtre qui a dégénéré. Une version confirmée par la société civile du Sankuru avant que, pour des intérêts inavoués, ces paysans soient transformés en miliciens armés que le gouverneur a fait embastiller dans un cachot de l’ANR avant que le parquet militaire informé, n’exige leur transfert vers leur juge naturel. Un épisode psychotique de Mukumadi que les habitants du Sankuru n’excuseront surement pas et qui a fait mentir la promesse solennelle du président de la République de supprimer les cachots politiques de l’ANR. Indifférent au développement du Sankuru, Mukumadi et ses quelques applaudisseurs paraissent déterminés à diriger cette province par défi. «Accepter qu’une Assemblée provinciale n’exerce aucun contrôle, est une aberration», dit à ce sujet Benoît Olamba.
Sans surprise, l’appel au respect des lois et à l’application des décisions judiciaires d’Olamba a été rejeté par Mukumadi qui s’est fendu d’une pseudo réconciliation avec le président de l’organe délibérant lors d’une rencontre fortuite dans un deuil. A ce propos, un député provincial du Sankuru explique qu’il n’y a pas de problème personnel entre les deux précités mais qu’on ne fait jamais de compromis sur le respect de la Constitution et les lois de la République. L’insistance du Camp Mukumadi pour des négociations et/ou réconciliation a également été considérée comme mort-née. L’effort visant à transformer l’avenir de toute une province en un espace de compromis lucratif.
On observe en outre un déploiement de dragues destinées à l’exploitation illégale de diamants sur les rivières Lubefu et Lubi qui a pratiquement anéanti les perspectives de la paix et de la stabilité interinstitutionnelle au Sankuru. Cette marchandisation du pouvoir ouvre la porte à une nouvelle perspective de suicide collectif. Mukumadi qui se gargarise de complicités politiques en haut lieu, n’a que faire des attentes insatisfaites de la population du Sankuru. «Nous commençons à jouir du Sankuru avec Mukumadi et nous serons extrêmement heureux de le poursuivre sans les restrictions d’une assemblée provinciale trop stricte», a écrit sans se gêner un de ses proches sur son compte Twitter.
Les experts en matière de contrôle parlementaire et gestion des crises s’accordent unanimement à dire que le retour à la légalité est une étape essentielle pour assurer un minimum de stabilité au regard des positions radicales du gouvernement provincial et de l’Assemblée provinciale, en particulier à un moment où les relations entre ces deux institutions se sont gravement détériorées. Les dérives autoritaires, les violations des droits humains, les actes de tortures avec mort d’hommes décriés lors de la dernière visite de Mukumadi au Sankuru en août 2020 ont perturbé les équilibres politiques en présence et accentué les frustrations des populations.
Le retour à la légalité et au respect des décisions judiciaires voulu par Benoît Olamba et la population du Sankuru est la dernière contrainte qui pèse encore sur les érosions suicidaires vers lesquelles Mukumadi et ses maîtres à penser entraînent toute cette province en y créant de nouveaux foyers de tensions et de haine intercommunautaires attisés à dessein.
On se rendra bientôt compte des limites d’une telle politique dont la viabilité ne paraît guère assurée quoi qu’en pensent certains caciques du parti du chef de l’Etat qui s’acharnent à financer une course inutile à la mise sous le boisseau de la volonté des électeurs du Sankuru à un moment où l’économie de cette province, affaiblie par des années de négligence et la résurgence de des tensions ne présagent rien de bon. La prétention de Mukumadi à gérer par défi la province du Sankuru est une course vers le pire. «Nous ne pouvons nous le permettre», explique Maître Benoît Dandja, le jeune président de la société civile du Sankuru.
L’économie du Sankuru subit un délitement fondamental, tant en ce qui concerne son fonctionnement interne que ses interfaces avec le reste du pays. La demande sociale créée par une économie qui ne peut fonctionner que grâce à des injections massives d’apports du gouvernement central classent le Sankuru parmi les toutes dernières provinces de la RDC. La population est la première victime de ce dumping provoqué par ceux qui sont censés l’aider à émerger.
Dans un proche avenir, les politiciens du Sankuru feront face au type de crise existentielle à laquelle tous les empires en déclin finissent par être confrontés, où, quelle que soit la décision prise, rien ne marche. L’idée selon laquelle le chef de l’État ne s’immiscera pas dans le dossier du Sankuru parce que celui-ci est judiciaire alors que des populations sont quotidiennement fauchées est une absurdité.
Comme illustré dans la fable susmentionnée du «Roi Scorpion»: Quelques soutiens de Mukumadi vivent dans la croyance erronée qu’il peut devenir miraculeusement un acteur rationnel pour le développement de cet espace. Les faits disponibles contredisent cet espoir. La désinvolture de Mukumadi qui pousse l’outrecuidance jusqu’à vouloir se débarrasser de l’encombrante Assemblée provinciale avec ses contraintes de contrôle grâce au soutien politique de l’UDPS lui attribue le rôle du scorpion d’Ésope.
Ayant adopté l’idée selon laquelle la gestion du Sankuru est fondée sur le clientélisme et le bradage des ressources naturelles en muselant par la force toute voix contradictoire et en violant délibérément les lois de la République, Mukumadi ne fait qu’exacerber des dérives de moins en moins supportables chez ses administrés. Peu importe qu’une telle menace n’existe pas pour certains excités, la perception crée sa propre réalité, et celle de ceux qui, comme le président de l’Assemblée provinciale du Sankuru plaident en faveur d’un changement à la tête de l’exécutif rend inéluctable une telle fin.
Comme la grenouille d’Ésope, le reste du pays doit aider le Sankuru à naviguer dans ces eaux troubles. Et comme le scorpion d’Ésope, le Sankuru répondra à cette solidarité en s’engageant dans des politiques responsables orientées vers autre chose que des règlements de comptes partisans.
AM