Le ministre des Finances, Sele Yalaghuli, a recensé 19 textes légaux et réglementaires qui octroient des exonérations fiscales au RDC. Intervenant dans un webinaire du réseau d’affaires Makutano le samedi 15 août 2020, relative au manque à gagner évalué à cinq milliards USD du fait des exonérations, l’argentier national a préconisé une approche réaliste plutôt qu’alarmiste pour faire un bon diagnostic en vue d’un remède adapté.
«Il existe 19 lois qui octroient des exonérations. Ce n’est pas le fait du ministère des Finances, les exonérations viennent des ministères sectoriels. Le véritable problème, c’est de questionner la pertinence de disposer toutes ces lois. Est-ce que le fait pour l’Etat de se délester de ses ressources lui permet-il de promouvoir l’économie? Il ne faudrait pas voir le problème au niveau de la face visible de l’iceberg en condamnant les exonérations mais plutôt analyser le problème de fond en comble. S’il faut condamner, alors condamner les lois et les changer », a suggeré Sele Yalaghuli citant à l’appui l’article 174 alinéa 3 de la Constitution: «il ne peut être établi d’exemption ou d’allègement fiscal qu’en vertu de la loi». Parmis les textes légaux qui autorisent ces exonérations, on peut citer le code des investissements (ministère du Plan), le code des douanes (Affaires étrangères et Défense), la loi sur l’électricité (Ressources hydrauliques et électricité), la loi sur l’agriculture (ministère de l’Agriculture) et la loi sur les dispositions applicables aux ASBL (les ministères sectoriels).
Rationnaliser les exonérations
Selon le ministre des Finances, les exonérations sont légalement instituées comme des dépenses fiscales dans le cadre de la politique incitative de l’Etat. Ce qui oblige ce dernier à se délester de ses propres revenus pour plusieurs raisons notamment d’accompagner le secteur humanitaire ou de promouvoir les investissements pour élargir son assiette fiscale. Dans cette légalité, le ministre Sele soutient la nécessité de rationnaliser les exonérations en renforçant le contrôle auprès des bénéficiaires et en sanctionnant les abus éventuels.
«Une fois que les exonérations sont octroyées, il faut que la Direction générale des douanes et accises (DGDA) fasse le contrôle de destination. Vous ne pouvez pas dire que j’ai acheté ce véhicule pour promouvoir la production agricole et on voit que ce véhicule vous permet de faire le taxi. Donc, vous avez trompé l’Etat, vous avez obtenu des exonérations sans que cela ne sert à l’Etat», a-t-il martelé.
Si l’initiative de rationalisation des exonérations demeure très appréciable, il s’agit d’un débat important qui s’inscrit, naturellement, dans le cadre des réformes structurelles à mettre en œuvre pour renforcer les bons principes et rectifier les abus éventuels et, les reformes se pensent dans la durée, au-delà des contingences du court terme et sur base d’un diagnostic objectif.
Selon les analystes qui partagent l’avis du ministre des Finances, le but devrait être de conjuguer la nécessité de la maximisation des recettes publiques avec l’impératif de préserver l’attractivité économique du pays. C’est une question qui relève éminemment du climat des affaires.
Dans le principe, l’État accorde des allègements fiscaux en contrepartie d’une création de richesses. Ces allègements ont pour but de générer des incitations à investir, et cet investissement devra produire de la richesse, créer des emplois et stimuler la production locale pour réduire la dépendance de l’extérieur.
Sur la nouvelle richesse créée, l’État pourra ainsi prélever des ressources additionnelles et termes d’impôts et de TVA par exemple. La rationalisation dont il est question aura ainsi pour but de s’assurer que ce mécanisme fonctionne correctement, dans le respect des règles établies.
Les faits présentés par le ministre des Finances appellent à certaines évidences soutenues par des économistes. C’est le cas de la présentation du montant de cinq milliards USD comme étant un manque à gagner de l’Etat qui est perçue comme une approche communicationnelle hasardeuse si les 1.300 exonérations évoquées ont un soubassement légal.
«On ne doit pas faire croire aux gens que si on supprime les exonérations, on va automatiquement récupérer cinq milliards USD. C’est faux et archi-faux», a estimé Godé Mpoy, économiste et président de l’Assemblée provinciale de Kinshasa.
Quid des imputations et compensations ?
Le ministre des Finances a profité de ce webinaire Makutano pour apporter également de l’éclairage sur les imputations qui sont également prévues dans les lois en matières de procédures fiscales. D’après lui, ces textes légaux reconnaissent que quand un opérateur économique a trop payé et que l’Etat a eu le trop perçu, il faut inscrire cela dans le compte courant fiscal. Ce qui donne l’opportunité à l’opérateur économique de le faire valoir pour payer ses droits futurs à l’Etat.
Autre confusion à éviter, selon Sele Yalaghuli, c’est sur les compensations qui, malgré leur nature judiciaire ou fiscale, sont encadrées par les lois de la République. Il a évoqué la problématique du manque à gagner du secteur pétrolier dont les prix des produits est régulé par l’Etat et de la TVA remboursable aux opérateurs miniers.
«Ces problèmes, il faut les analyser pas au niveau superficiel. Mais plutôt analyser les soubassements légaux, juridiques de manière à dire : est-ce que c’est bon d’exonérer? Est-ce que c’est bon de compenser? Mais ça ne peut pas s’analyser au niveau médiatique. Non, il faut que les spécialistes et le Gouvernement le fasse», a-t-il souligné.
En d’autres termes, Sele Yalaghuli pense qu’il faut dissiper le malentendu sémantique entre les notions d’exonération, de compensation et d’imputation qui n’ont pas le même statut légal, ni la même incidence économique. Ces trois notions ne se valent absolument pas et il faut faire attention à ne pas tout mélanger.
«L’État a décidé de ne plus recourir aux compensations fiscales. Mais, il restera à résoudre la question de la dette et des engagements de l’État concernant: la TVA remboursable des miniers, les pertes et manques à gagner subis par les pétroliers en raison de l’administration des prix dans ce secteur, et, les jugements rendus par les cours et tribunaux condamnant l’État», a précisé Sele Yalaghuli avant de rassurer que, sur instruction du chef de l’Etat, les ministères impliqués s’attèlent à questionner les problèmes des exonérations et des compensations.
«Nous allons fournir des recommandations pertinentes lors d’une prochaine réunion du Conseil des ministres pour que le Gouvernement lève une option définitive par rapport au traitement de ces deux données», a-t-il conclu.
A.M avec AGENCES