Dans le cadre du leadership de la jeunesse, l’action ne doit pas viser seulement quelques dizaines ou centaines de jeunes. Il faut s’atteler davantage à mettre en place de nouveaux mécanismes d’appréhension, d’intégration et de participation des jeunes dont l’initiative ne doit plus apparaître comme une tabula rasa mais au contraire comme ce qu’il y a de plus naturel pour pérenniser les idées novatrices qui méritent d’être encadrées.
Entre dilemme et obsession
En RDC, les jeunes sont souvent exclus ou ignorés comme potentiels candidats à des postes électifs. La politique est généralement considérée comme un espace pour les hommes expérimentés et comme les femmes sont souvent désavantagées dans l’accumulation d’expérience pour s’engager en politique, les jeunes sont systématiquement marginalisés pour cause de déficit d’expérience. Tout comme plus de participation féminine en politique profite à l’ensemble de la société, la présence des jeunes dans les postes de décision profite à tous les citoyens et pas uniquement aux jeunes eux-mêmes. L’Union interparlementaire (UIP) rapporte que les personnes âgées de 20 à 44 ans constituent 67% de la population africaine en âge de voter, mais ils ne sont que 26% de députés sur le continent. Les jeunes de moins de 37 ans représentent 1,9% d’élus dans le monde et plus de 80% des chambres supérieures de parlements n’ont pas de députés en dessous de 35 ans.
Alors que les jeunes jouent souvent un rôle central et catalyseur dans les mouvements démocratiques à travers le monde, ils sont moins engagés que d’autres générations dans le vote et l’activisme des partis politiques. Ces tendances ont poussé de nombreuses organisations internationales à étudier le manque de participation politique des jeunes et à former de jeunes militants au leadership politique.
Reconnaissant le potentiel des jeunes, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a élaboré sa toute première Stratégie pour la jeunesse (2014-2017) intitulée «Jeunes autonomisés, avenir durable», conformément au Plan d’action du système des Nations Unies pour la jeunesse (2013) qui invite les jeunes générations à s’impliquer et à s’engager davantage dans les processus de développement. En 2013, le PNUD a également publié le premier examen des stratégies de programmation pour la participation des jeunes au-delà des urnes, intitulé «Améliorer la participation politique des jeunes à travers tout le cycle électoral: Guide de bonnes pratiques». En 2016, afin de renforcer la mise en œuvre de la Stratégie pour la jeunesse du PNUD et de répondre à la fois au Programme 2030 pour le développement durable et à la Résolution 2250 du Conseil de sécurité des Nations-Unies sur la jeunesse, la paix et la sécurité, le PNUD a lancé un programme mondial Jeunesse pour le développement durable et la paix (2016-2020).Ce programme a mis l’accent sur l’engagement civique et la participation politique, entre autres, et répond aux préoccupations exprimées par les jeunes dans les forums mondiaux, régionaux et nationaux et à la demande croissante à tous les niveaux pour un soutien stratégique et de pointe dans la programmation sur la jeunesse dans tous les contextes de développement. En 2016, à l’initiative conjointe d’un certain nombre de partenaires, dont le PNUD et l’UIP, la campagne mondiale «Pas trop jeune pour se présenter» a été lancée afin de promouvoir le droit des jeunes de se présenter aux élections et de traiter de la vaste discrimination fondée sur l’âge. Il s’agit notamment de concevoir des stratégies par les parlements nationaux et les partis politiques qui visent l’inclusion des jeunes réfléchis et assurer la diversité parmi les jeunes, en s’attaquant aux disparités entre le nombre de jeunes hommes et de jeunes femmes qui accèdent aux responsabilités politiques.
Faire du neuf avec du vieux
Le désintérêt des jeunes pour la politique ne doit donc pas être total. La jeunesse congolaise dans sa majorité pratique quelquefois une politique passive. Elle a tendance à suivre les décisions prises par les dirigeants politiques d’âge mûr, s’intéresse aux différents candidats à des élections surtout présidentielles etc… mais ne cherche pas à intégrer un parti politique ou un syndicat. Elle préfère créer une association pour les démunis ou de soutien à telle personnalité ou célébrité. La jeunesse a du mal à se faire entendre. Elle est classée dans la zone des imatures.Parfois les politiques nationales qui sont prises par les décideurs ne répondent pas à ses attentes. Tout devient difficile. C’est ce qui expliquerait son attitude rebelle. Aigrie, elle se réfugie souvent dans la violence. Les plus âgés pensent avoir plus d’expérience et de sagesse nécessaire pour la gestion. Certains jeunes estiment avoir plus de diplômes et aiment innover tandis que plusieurs anciens ont du mal à s’arrimer aux défis des nouvelles mutations.
Selon une étude, 80% des jeunes en RDC pratiquent cette politique passive. Ils n’osent pas s’engager dans un parti politique mais rêvent d’être parlementaires à partir de 30 ans. Pour d’autres, la politique ou la gouvernance relève de la classe de ceux qui sont plus âgés. Ces derniers estiment avoir plus de maturité et de compétences. Et pour éviter tout conflit de générations, ils préfèrent se mettre à l’écart et observer les plus âgés occuper les devant de la scène. Pourtant, il serait plus facile de s’assagir grâce à l’expérience des leaders seniors, se laisser guider, avoir de la patience dans la discipline et la loyauté pour devenir un leader responsable. C’est le processus même du cycle familial dont nous sommes tous issus. Un père responsable prépare ses enfants à la grandeur, à la gloire et au succès dans la vie. Plutôt que de concevoir l’ascension politique comme un hiatus intergénérationnel ou une revanche des nouvelles énergies sur les anciennes, les partis politiques doivent s’assurer de la perpétuité de leurs idéologies politiques qui devraient survivre aux individus et aux clivages. En RDC, le lumumbisme n’a-t-il pas survécu depuis 1961 jusqu’à faire de Mzee Laurent Désiré Kabila un de ses continuateurs radicaux au point qu’à ce jour ses fidèles lieutenants comme Joseph Kabila… en sont devenus les inspirateurs pour l’avenir autant que des repères de la lutte contre les atteintes à la souveraineté de la RDC ?
L’espoir est permis
Des rapports intergénérationnels en politique ici où ailleurs, basés sur une relation de confiance et de respect, sont évidemment bénéfiques pour les deux parties. Tout d’abord, pour les leaders seniors, c’est l’occasion de transmettre leur savoir-faire, leurs souvenirs de vie, ou encore de donner le goût du sacrifice, des valeurs comme le respect, le sens de de responsabilité, l’honnêteté ou encore la tolérance politique aux nouvelles générations. Les jeunes leaders apprécient quant à eux tout particulièrement le temps que leurs aînés leur accordent, les choses qu’ils apprennent d’eux. Ils comptent également sur eux en cas de soucis pour apprendre de nouvelles expériences ou encore bénéficier davantage de coaching.
L’enjeu du pacte intergénérationnel n’est donc plus seulement de lier les différentes générations entre elles, mais aussi de permettre aux nouvelles générations de continuer à penser qu’elles sont bien ensemble dans le même bateau que leurs aînés. Le traitement de la question de l’héritage politique répond en partie à cet enjeu, dans la mesure où les inégalités des chances constituent aujourd’hui un facteur majeur de fragmentation. Les transformations structurelles qui affectent les relations entre leaders seniors et juniors au sein des partis politiques concernent aussi les similitudes qui apparaissent lorsqu’on met bout à bout les études de champs pourtant aussi éloignés en apparence que la vie politique, l’éducation ou le travail. On observe à chaque fois une jeunesse mue par un même projet de quête de sens, voire de causes. Dans le rapport à la famille, à la politique, à l’école et au travail, les générations montantes développent des attentes immenses en termes d’épanouissement personnel, de recherche du bonheur, ainsi que de désir de participation directe aux décisions et au fonctionnement des institutions attentes qui conduisent à un rejet des formes traditionnelles d’engagement par devoir et à une délégitimation des formes verticales d’autorité.
Or, ces générations élevées dans l’encouragement à «choisir sa voie», à «être soi-même » et à «participer» ont de plus en plus le sentiment de devoir prendre leur place dans un monde auquel ils n’étaient pas préparés. Un environnement politique et professionnel hyper compétitif les presse de choisir. Il ne pardonne ni l’erreur ni le tâtonnement. Le monde du travail ou celui de la politique leur offrent des institutions très verticales, fonctionnant encore sur l’obéissance ou la délégation, sans autoriser une véritable participation. Cette contradiction entre la promesse du choix, qu’on leur a faite dans leur éducation, et un monde qui n’autorise en réalité que fort peu de choix crée des frustrations. Les générations montantes, qui sont, globalement, les plus éduquées de l’Histoire, sont donc très critiques envers ce qu’elles appellent les «Jeunes d’aujourd’hui». Cette distance critique peut s’exprimer par une résignation désabusée, par de nouvelles formes de radicalité politique ou une forme silencieuse de révolution consistant, selon la formule de Cécile Van de Velde, à se mouler dans l’ancien monde pour en casser les murs par petites brèches. Une attitude qui frise la trahison dans un environnement politique ou la loyauté, la redevabilité et l’honnêteté tous azimuts doivent être la règle.
Alfred Mote
Analyste politique