Le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe siégeant en chambre foraine à la prison centrale de Makala a rendu samedi 20 juin la sentence de 20 ans des travaux forcés à l’encontre des prévenus Vital Kamerhe, directeur de cabinet du chef de l’État Félix Tshisekedi et Samih Jammal, directeur général des sociétés Samibo et Husmal Sarl alors que Jeannot Muhima, chef de division import-export à la présidence de la République va écoper de deux ans de travaux forcés, dans le cadre du procès historique dit des 100 jours. Tous les 3 étaient poursuivis pour détournement de deniers publics (48 millions USD), corruption et blanchiment de capitaux. Les sentences prononcées par le tribunal confirment les peines requises une semaine plus tôt par le ministère public lors de l’audience consacrée aux plaidoiries. Ce verdict était attendu par tous et a fait l’objet de spéculations diverses, certains ayant pronostiqué l’acquittement de Kamerhe faute de preuves matérielles alors que d’autres voyaient le sort de Kamerhe scellé malgré tout.
Le prononcé du juge président Pierrot Bakenge déjoue les attentes des militants de L’Union pour la nation congolaise (UNC) qui y voient la fin de la carrière politique de leur leader, à moins d’un miracle.
Alors que les avocats du désormais ex-directeur de cabinet du chef de l’Etat avaient soulevé lors des plaidoiries l’exception d’inconstitutionnalité,
le tribunal a décidé de passer outre, considérant sans doute qu’il s’agissait d’une manoeuvre dilatoire.
Manœuvres dilatoires du camp Kamehre
A ce propos, alors que l’extrait de rôle pénal du prononcé renseignait que l’affaire VK était prise en délibéré pour être prononcée le 20 juin 2020, le 29 mai, la Cour constitutionnelle avait estimé après une intrusion de son greffier en chef qu’elle ne pouvait en l’état que s’en remettre à la décision du TGI. Curieusement, l’avocat de VK y est revenu à l’audience du 12 juin (lors de la plaidoirie) par voie d’exception, alors que la Cour constitutionnelle avait déjà vidé cette question depuis le 29 mai. Pendant le délibéré, l’avocat de VK avait en effet saisi de nouveau la Cour constitutionnelle pour fustiger le blocage et le retard injustifié quant à la transmission, toutes affaires cessantes, du dossier VK vers cette haute instance pour examiner le bien-fondé de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée (art.162 Constitution et 65 du R.I. de la Cour). Le 18 juin, le greffier en chef de la Cour avait écrit au greffe du TGI pour lui demander de lui transmettre le dossier Kamerhe en l’état mais, le greffier divisionnaire affecté au TGI/ Gombe a poliment réservé une fin de non recevoir à cette requête au motif que le dossier était déjà entre les mains du juge des céans pour délibération. Le 19 juin en fin de journée, une correspondance tardive du président a.i de la Cour constitutionnelle demandait au greffier divisionnaire du TGI/Gombe de ne pas donner suite à la démarche de son propre greffier en chef car la haute cour avait déjà répondu à Kamerhe depuis le 29 mai quant à son exception d’inconstitutionnalité. En clair, la Cour constitutionnelle qui appuie la position du greffier divisionnaire du TGI/Gombe, a fustigé ce qui est apparu comme une manoeuvre frauduleuse dans le chef des avocats de VK. Rien n’empêchait plus le TGI/Gombe de rendre le 20 juin son jugement tant sur la forme que sur le fond.
Quoique tous les prévenus aient plaidé non-coupables, à l’audience précédente, la justice n’en a épargné aucun. Il a condamné Vital Kamerhe et Samih Jammal à 20 ans de travaux forcés pour infraction de détournement de 48 millions USD, avec pour Kamerhe une interdiction durant 10 ans des droits politiques (droits de vote et d’éligibilité), ainsi que la confiscation de tous les fonds se trouvant sur ses comptes bancaires et ceux de ses proches de même que les biens acquis grâce aux fonds détournés. Avec le patron de Samibo, VK devra verser à l’Etat des dommages et intérêts de 150 millions USD. Après avoir purgé sa peine, Samih Jammal sera définitivement expulsé du territoire congolais. Quant à Muhima Ndoole, il a été condamné à 2 ans de travaux forcés pour détournement de 1.154.000 USD. Il est tenu aussi de payer avec les deux autres coaccusés 150 millions USD aux titres des dommages et intérêts à la République. Les avocats de Kamerhe comme ceux de Samih Jamal non satisfaits de la sentence, ont immédiatement annoncé qu’ils feraient appel de ce jugement. Ils accusent les juges d’avoir emprunté des raccourcis pour se débarrasser du dossier et crucifier leurs clients.
Savoir assumer
Pour mémoire, cette rocambolesque affaire est partie de l’interpellation du directeur de cabinet du chef de l’État le 8 avril à Kinshasa par le parquet de grande instance de Kinshasa/Matete, qui enquêtait depuis début janvier sur des soupçons de détournements des fonds dans l’exécution des travaux du programme des 100 jours. Après que Samih Jammal, Thierry Taeymans, ex-DG de la Rawbank et d’autres personnalités aient cité Vital Kamerhe, ce dernier sera mis sous mandat d’arrêt provisoire le 8 avril et transféré à la prison centrale de Makala après 5 heures d’interrogatoire. La justice parle alors de sérieux indices de culpabilité pesant sur lui. Un peu plus d’un mois après, soit le 11 mai, le procès est ouvert et transmis en direct à la télévision nationale. Kamerhe y joue comme dans une tribune politique, la partition de la victimisation, indexant d’une part la responsabilité du chef de l’État dans son implication dans le programme d’urgence des 100 jours et d’autre part, en invectivant son bourreau désigné, le FCC qu’il accuse à demi mots d’orchestrer en son encontre un procès politique.
«Ce procès et le verdict auquel il a abouti le 20 juin révèle des graves dysfonctionnements au sein du cabinet du chef de l’État », note l’ONG de droits de l’homme (ACAJ) de Georges Kapiamba.
Pour le professeur Barnabé Kikaya bin Karubi, «Virevoltant, comme pour se tirer d’affaires, Vital Kamerhe a au cours de ce procès, de par sa défense, imaginé un complot contre Félix Tshisekedi, l’instigateur ne pouvant provenir que de Joseph Kabila et le FCC, le sempiternel bouc émissaire des nouveaux détenteurs de l’impérium et leurs sympathisants sur les réseaux sociaux et lorsqu’ils se déploient sur les médias traditionnels.
Aussi, lors de la dernière séance, a-t-il fait l’éloge du Programme des 100 Jours qu’il a estimé meilleur comparé aux «5 Chantiers» et à la «Révolution de la Modernité». Le paradoxe est que l’ancien secrétaire général du PPRD semble ne plus se souvenir d’avoir été en 2006 la cheville ouvrière de la campagne de Joseph Kabila, avec comme thème «les 5 chantiers de la République», programme quinquennal que nous avons élaboré ensemble. Il a formellement démissionné du Parti présidentiel de l’époque en janvier 2011. Ensuite, il a avoué, au cours du procès, avoir trouvé dans les tiroirs (du régime sortant) l’essentiel des projets du Programme des 100 jours».
Il a fondé ainsi sa théorie du complot en invoquant comme cause la jalousie de Joseph Kabila et du FCC contre Félix Tshisekedi, les acquis de la gratuité de l’enseignement de base, le nombre d’écoles réhabilitées et construites, les effectifs des enseignants etc…faisant table rase des avancées significatives réalisées pourtant par le régime sortant dans tous ces secteurs. Vital Kamerhe a poussé l’audace jusqu’à livrer Joseph Kabila et ses alliés du FCC à la vindicte populaire. Pathétique !
À Bukavu, chef-lieu du Sud-Kivu, la réaction des pro-Kamerhe s’est immédiatement faite dans la rue. Ils ont voulu exprimer leur colère mais la police les a dispersés. Depuis l’arrestation de Kamerhe, seule une petite partie de la province du Sud-Kivu s’est mobilisée à travers des marches et des pétitions pour essayer d’influencer la justice en réclamant sans succès la libération de Vital Kamerhe. Pour le gouverneur du Sud-Kivu, Théo Ngwabidje, «le verdict du procès de vital Kamerhe et co-accusés ne doit pas constituer un facteur de division».
Après le prononcé du jugement, le tribunal de Kinshasa/Gombe a ordonné la confiscation des biens du dircab du président Félix Tshisekedi et de ses proches car, selon la justice, ces biens ont été achetés grâce à l’argent détourné. Il s’agit de :
Contrat de location numéro 1348/2019 AD 44988 au nom de Daniel Shangalume (alias Massaro): une parcelle du cousin de Vital Kamerhe achetée en date du 11 avril 2019 et située dans la commune de Lingwala, pour un montant de 650.000 USD;
Certificat d’enregistrement AGL 547 folio 171 AD 5082 au nom de Daniel Shangalume (alias Massaro): situé au °5082, dans le quartier Socimat dans la commune de la Gombe; il s’agit d’un « immeuble» acheté le 27 avril 2019 pour un montant de 1.001.157,00 USD;
Contrat de location numéro 1348/2019 AD 44988: il s’agit de la parcelle que Jammal Samih a admis avoir «donné» à Daniel Shangalume (alias Massaro). Elle est située dans la commune de Ngaliema et est évaluée à au moins 100.000 USD;
Certificat d’enregistrement AKN 11 folio 46 AD 193, commune de Kasa-vubu, placé sous le nom de Daïda Mpiana, belle-fille de Vital Kamerhe;
Certificat d’enregistrement A/ML 01 folio 179 AD 1401, commune de Maluku au nom de Mayuku Namwisi Dieudonné ;
Certificat d’enregistrement NN 45 folio 33 AD 71860, commune de la N’sele au nom de Hamida Chatur Kamerhe;
Le certificat d’enregistrement A/N 45 folio 34 AD 137.110, commune de la N’sele au nom de Kamerhe Lwa Kanyingini Vital ;
Contrat de cession entre Jammal Samih et Soraya Mpiana, AD 44.196, Commune de Ngaliema ;
Il s’en suivra également la confiscation des fonds contenus dans les relevés bancaires d’Hamida Chatur, l’épouse de Vital Kamerhe, ainsi que dans les comptes de sa belle-fille Soraya Mpiana, mais également des comptes de son cousin Daniel Shangalume.
A.M