La magistrature (debout et assise) s’accorde de plus en plus des tâches inédites de régulation politique inter ou intra-institutionnelle en RDC. On l’a vécu avec l’intervention musclée du magistrat Octave Tela Ziele, procureur général près le Conseil d’Etat qui a ordonné à la police d’empêcher la tenue de la séance plénière de l’Assemblée nationale convoquée le vendredi 12 juin 2020 pour élire son 1er vice-président en remplacement du député Jean-Marc Kabund, déchu de cette fonction quelques jours plus tôt par la même plénière.
Auparavant, le procureur général près la Cour de Cassation avait successivement fait arrêter le député Jean Jacques Mamba, auteur de la pétition contre Kabund suite à des allégations de faux et usage de faux puis adressé une demande d’autorisation de poursuites contre le speaker du Sénat Alexis Thambwe Mwamba qui avait proféré du haut du perchoir des propos jugés «diffamatoires» à l’encontre de sa collègue, la sénatrice Bijou Goya. Cette avalanche inédite d’interférences judiciaires dans le fonctionnement de l’institution parlementaire marque des atteintes caractérisées au principe de la séparation des pouvoirs qui est au cœur de l’ordonnancement juridique démocratique régissant la RDC sous l’empire de la constitution de 2006. Les parlementaires congolais y voient quasi-unanimement une tentative de caporaliser leur institution en grignotant les espaces d’autonomie qui lui sont reconnus par la loi fondamentale en vigueur. Ils déplorent le fait que d’une manière récurrente les dispositions des articles 107, 2° de la constitution ainsi que celles, à valeur constitutionnelle, des règlements intérieurs respectifs de l’Assemblée nationale et du Sénat consacrant notamment les immunités parlementaires et l’inviolabilité du siège du parlement soient violées de manière récurrente par des magistrats qui foulent aux pieds le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs sur lequel est adossé la gouvernance démocratique en vigueur dans le pays.
Dans une tribune consacrée à cette controverse, le professeur Auguste Mampuya de la faculté de droit de l’Université de Kinshasa revient sur le rôle que certains magistrats se donnent de plus en plus dans l’exercice de leurs attributions législatives par l’Assemblée nationale et le Sénat. « La Justice à travers les magistrats des juridictions aussi bien de l’ordre judiciaire, constitutionnelle qu’administrative a le vent en poupe ces jours-ci (et se signale par) des procès médiatisés sur des (…) requêtes donnant lieu à des procédures qui sont toujours spectaculaires en raison des personnes concernées. Il faut se réjouir que nos juridictions se soient comme réveillées. C’est pour la bonne cause de l’Etat de droit (car) il est bon que les citoyens recourent de plus en plus à la justice qu’à leurs propres moyens pour faire respecter leurs droits et libertés », écrit-il en liminaire à sa réflexion. Avant d’ajouter que «les esprits avertis constatent comme une sorte de dérive dans cette frénésie judiciaire consistant à recourir à des procès à propos de tout ; une volonté de judiciarisation, c’est-à-dire de réguler par des procédures judiciaires la totalité des relations sociales, y compris le fonctionnement et les prérogatives régaliennes des institutions représentatives de l’Etat. Effroyable ! ».
Cet éminent juriste congolais, par ailleurs ancien ministre de la Justice et garde des sceaux, attire l’attention sur une déplorable confusion délibérément entretenue à ce sujet entre les droits subjectifs qui se déclinent en droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux induite par cette prétention de certains procureurs et juges à statuer sur les problèmes liés au fonctionnement du pouvoir législatif. « La nature et le contenu des droits patrimoniaux sont facilement perceptibles de tous. Mais il s’agit plus ici du contenu des droits extrapatrimoniaux dont la défense peut être poursuivie devant les juridictions. Ce sont des droits subjectifs incessibles, insaisissables et imprescriptibles ; des droits de la personnalité, des droits familiaux ou des droits publics, civils et civiques (généralement connus sous la désignation de «droits de l’homme») qui ne sont pas évaluables en argent, même si leur violation peut être, au titre de réparation, sanctionnée par l’attribution à leurs détenteurs des dommages et intérêts sans qu’ils ne fassent partie de leur patrimoine », note Mampuya qui fustige sans mettre de gants la confusion entretenue à propos d’éventuelles violations de certaines prérogatives qu’on ne peut situer dans les droits subjectifs et qui relèvent plutôt du domaine politique et, plus précisément du fonctionnement interne des institutions politiques, pour justifier qu’elles fassent absolument l’objet de procès pouvant permettre à des animateurs du pouvoir judiciaire d’accaparer la gestion, au détriment des équilibres institutionnels basés sur le principe de la séparation des pouvoirs. «C’est le cas lorsqu’un membre d’une institution politique (parlement, gouvernement central ou provincial) visé par une motion de censure ou une destitution, hors d’un fait de procédure électorale, décide d’attaquer par ignorance ou inculture politique ces dernières mesures en justice », écrit-il. Et d’expliquer cette propension à la juridictionnalisation de processus internes à l’institution parlementaire au fait que nombre de politiciens congolais entrent en politique dans un but d’enrichissement et de poursuite d’intérêts et avantages matériels et sociaux, ce qui les poussent, eux et leurs défenseurs à «assimiler le fait d’être devenu gouverneur, député, sénateur, membre du bureau d’une chambre parlementaire à un droit subjectif» qu’ils peuvent défendre comme une propriété privée.
Pareille privatisation des prérogatives et situations liées à l’accession à des statuts électifs ou institutionnels, introduisent le juge dans des litiges qui ne relèvent guère de ses compétences dont on a souvent tendance à oublier qu’elles sont de stricte attribution par la loi. Ces pratiques présentent l’inconvénient selon Mampuya de «précipiter le juge dans la sphère des controverses politiques qui ne le concernent pas et qui, n’ayant pas de caractère juridique, ne se prêtent nullement à un règlement judiciaire ».
Intrusions judiciaires arbitraires dans la politique
Comme pour anéantir cette théorie, le constitutionnaliste Paul-Gaspard Ngondankoy invoquant la crise opposant l’Assemblée nationale au Conseil d’Etat sur l’affaire Jean-Marc Kabund, a prétendu qu’«au Conseil d’Etat, le requérant (Kabund ndlr) n’a pas attaqué le vote de déchéance comme tel – qui est effectivement un acte d’assemblée d’une institution politique mais plutôt deux décisions de deux autorités administratives de l’Assemblée nationale : la décision de madame la présidente (autorité administrative) fixant le calendrier électoral et la lettre décisoire du secrétaire général (autorité administrative) lui demandant de restituer clés, bureaux et autres biens de l’Assemblée, en tant que ces deux décisions à ses droits et libertés fondamentaux ». Pour Ngondankoy, «la doctrine qui considérait les actes d’assemblée (motion, votes, résolutions) comme insusceptibles de tout recours juridictionnel est aujourd’hui dépassée dans le contexte d’un Etat de droit dans lequel aucun acte d’une autorité publique, quelle qu’en soit la nature, ne peut échapper à la rigueur du droit (Constitution, traités, lois, règlements, décisions de justice…). Je suis presque sûr que notre Cour constitutionnelle sur la base de sa jurisprudence constante depuis 2007 annulera certainement la déchéance du 25 mai si le requérant arrive à prouver que l’un ou l’autre de ses droits, en particulier son droit à la défense, a été violé par l’Assemblée nationale ». Un comble de sophisme. Selon ce défenseur inconditionnel du Conseil d’Etat, cette juridiction administrative se serait auto-attribué une sorte de compétence partagée avec la Cour constitutionnelle en intervenant ainsi hors de sa sphère de compétence (le litige portant selon sa propre analyse sur un acte d’assemblée relevant de la Cour constitutionnelle) en ayant la conviction que la Cour constitutionnelle ’’ne pourra que’’ se prononcer en faveur de Kabund ! Comprenne qui pourra…
Mampuya a démontré le caractère aberrant et inconsistant de cette interprétation pour le moins arbitraire et fasciste des compétences juridictionnelles : « De fait, une motion de censure, une résolution, une pétition parlementaire ou une destitution sont des procédures normales prévues soit par la Constitution soit par les Règlements des assemblées pour asseoir le pouvoir de contrôle du législateur sur l’exécutif et ses démembrements et réguler les relations liées au fonctionnement interne normal de l’institution législative (statut et mandat de ses membres et de ses structures organiques). Les rapports du parlement avec les autres institutions ainsi que son fonctionnement interne et son contrôle sont fixés dans ces textes. On peut citer à titre d’exemple (…) les motions de censure ou de défiance ou les dispositions régissant l’attribution et le retrait de responsabilités à leurs organes dirigeants que sont les membres de leurs bureaux et/ou des commissions», a-t-il fait observer. Devant ces libertés que certains magistrats prennent avec les lois leur attribuant des compétences, l’universitaire s’inquiète : « Verra-t-on demain un gouvernement destitué par motion de censure de l’Assemblée nationale saisir une cour de justice pour faire annuler cette décision et le rétablir dans ‘‘ses droits’’ comme on le dit pince sans rire ? Un magistrat, me regardant droit dans les yeux, m’a répondu que ‘’Oui, c’est normal’’. J’en ai eu froid dans le dos». On se trouve en pleine dérive vers une dictature dont quelques magistrats chargés pourtant de garantir le respect des lois se font des instruments zélés comme sous le régime de la deuxième République.
Divagations dangereuses et aventureuses
Les institutions publiques nationales (le président de la République, le parlement et le Conseil supérieur de la magistrature) devraient se ressaisir rapidement pour mettre un terme à cette chienlit qui est un recul préjudiciable à l’émergence de la RDC et qui, quoique peuvent en penser quelques esprits faibles, ne profitera à personne. On en veut pour exemple cette curieuse requête introduite le plus sérieusement du monde devant la Cour constitutionnelle contre … l’ordonnance présidentielle portant formation du gouvernement de la République, rien moins que ça ! Le prétexte en était que le chef de l’Etat n’aurait pas respecté la procédure de l’article 78 de la Constitution prévoyant la nomination préalable d’un « informateur ». Comme si il n’y avait plus aucune limite à la juridictionnalisation des interactions institutionnelles. Pour Mampuya, une telle demande d’annulation judiciaire de l’ordonnance portant formation du gouvernement est une hérésie car ses auteurs méconnaissent délibérément le prescrit de l’article 78 en question qui n’impose pas de manière obligatoire la formalité de nommer un « informateur ». Du reste, la « mission d’information » n’est mentionnée qu’à l’alinéa 2 et la possibilité n’en est évoquée que «si une telle majorité n’existe pas». Alors seulement, «le président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition». Or, dans le cas d’espèce, la majorité existait et avait déjà été constatée, en vertu du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale dont l’article 26, 3° stipule qu’« au début de chaque législature les partis et regroupements politiques déposent au bureau une déclaration d’appartenance à la majorité ou à l’opposition politique. Le président de la République ne se trouvait dès lors pas tenu de désigner une mission d’information. Félix Antoine Tshisekedi qui connaît bien le landerneau politique de son pays a eu raison de résister aux pressions de ceux qui croyaient que la mission de l’informateur est de fabriquer une majorité qui soutiendrait inconditionnellement certaines lubies. On doit cesser de s’ingérer dans les prérogatives de cette institution, la première du pays, qui est au cœur du régime semi-présidentiel, donc semi-parlementaire, mis en place par la constitution de 2006. Introduire avec autant de légèreté les instances judiciaires dans la régulation de ces situations, comme d’aucuns s’évertuent à le faire ces jours-ci, constitue une dérive qui fait de juges sans mandat populaire démocratique, des censeurs incontournables du fonctionnement et des attributions constitutionnelles des institutions de la République au mépris de leurs instruments constitutionnels internes», prévient-il.
Cette tendance de certains privatistes exaltés qui hantent parquets et juridictions en faisant croire à des magistrats véreux que tout leur est permis, risque de bouleverser et de dénaturer totalement le droit constitutionnel et lui tordre le cou au profit du droit privé, assimilant ces « positions » institutionnelles à des droits subjectifs particuliers. Comme l’a indiqué Mampuya, « devenir membre du bureau d’une assemblée législative ou gouverneur de province par le vote des organes constitutionnellement attitrés et sur des candidatures présentées par les partis ou regroupements politiques n’est pas un droit subjectif, personnel, extrapatrimonial, insaisissable et imprescriptible, que son bénéficiaire ne peut en aucun cas ni par aucun moyen perdre. Pas plus que la formation du gouvernement, prérogative discrétionnaire du président de la République au terme de l’article 78 de la constitution, ne peut traduire ou couvrir un droit subjectif de qui que ce soit à défendre devant les juridictions (même si), refusant de s’engager dans ce débat juridique et scientifique substantiel ou n’en n’ayant pas perçu le sens et l’utilité, suivant en cela le demandeur et ses conseils, quelques juges s’estiment toujours en droit de recourir le plus souvent à des normes strictes de procédure, de compétence, de recevabilité et de ‘‘respect des droits de la défense’’ pour statuer à ce sujet ».
Le député François Nzekuye se référant à la jurisprudence tirée de l’affaire ayant opposé naguère l’Union sacrée de l’opposition radicale et Alliés (USORAS) au Haut Conseil de la République-Parlement de Transition (HCR-PT) en 1995 rappelle que la Cour suprême de justice section administrative (ancêtre du Conseil d’Etat) «s’était déclarée incompétente pour connaître d’un cas similaire à celui sur lequel le Conseil d’Etat a statué le 10 juin 2020, considérant que les ordonnances dont l’annulation était sollicitée sont inséparables des actes d’assemblée accomplis par le HCR-PT (Bulletin des arrêts de la Cour suprême de justice, années 1991 à 1999 édité en 2003, page 160 à 163)». Il cite le professeur Vunduawe te Pemako, actuel 1er président du Conseil d’Etat qui dans son traité de droit, a écrit qu’une résolution de l’Assemblée nationale ou provinciale adoptant une motion de censure ou de défiance « constitue un acte d’assemblée dont le contrôle (ne) peut être exercé (que) par le juge constitutionnel sur pied de l’article 162 de la constitution». On ne peut dès lors que s’étonner de voir la haute juridiction administrative qu’il préside depuis peu se déclarer compétente au sujet d’une résolution de l’Assemblée nationale.
A examiner froidement les choses, le contentieux d’inconstitutionnalité est essentiellement un contentieux des normes, des lois, des actes ayant force de loi, des actes réglementaires, etc. par rapport à leur conformité à la constitution. De ce point de vue, en sont logiquement et par nature exclues les matières institutionnelles à l’instar des questions relatives à l’élection ou la censure d’un gouverneur, l’élection ou la déchéance d’un membre de bureau d’une assemblée législative, qui sont régies jusque dans les détails par la constitution et les règlements des institutions concernées.
Prétexte des droits de la défense
Le moyen le plus couramment utilisé par ceux qui attaquent les décisions institutionnelles les sanctionnant est relatif à la régularité de la procédure appliquée lors de la prise de la décision (conditions de vote, respect des droits de la défense…).
Ce moyen est généralement fondé sur l’article 19 de la Constitution tiré des instruments internationaux des droits de l’homme selon lesquels (i) nul ne peut être ni soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne; (ii) toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par le juge compétent; (iii) toute personne a le droit de se défendre elle-même ou de se faire assister d’un défenseur de son choix et ce, à tous les niveaux de la procédure pénale, y compris l’enquête policière et l’instruction pré-juridictionnelle. Ces préoccupations sont reprises par l’article 14 du Pacte international des droits civils et politiques, points 2 à 5, et l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Il s’agit de droits qui sont applicables lors ou au cours d’un procès devant une juridiction. «Il faut vraiment avoir un esprit tordu pour les étendre au fonctionnement interne d’une institution politique», estime l’ancien garde des sceaux pour qui on peut certes raisonner en faveur de l’existence, à partir de ces pratiques, d’un principe général «mais là encore, cela ne peut concerner que le déroulement d’un procès juridictionnel. On peut aussi penser que cela soit évoqué dans une procédure disciplinaire, organisée par le statut, la loi ou le règlement intérieur de l’institution».
Par contre, les procédures de vote soit pour l’élection ou la censure des gouverneurs, soit lors d’attribution de responsabilités dans une assemblée, soit de l’élection ou de la destitution d’un poste dans un bureau de parlement, soit encore pour le déclenchement et l’application du régime disciplinaire, soit enfin pour d’éventuels recours contre la décision sont réglées par la Constitution ou par le Règlement intérieur de l’institution concernée.
«Il est abusif et dangereux de recourir aux procédures de droit privé à ce sujet», relève-t-il. A en croire Mampuya, «tous les bons juristes savent que la première distinction des branches du droit qu’apprend tout étudiant de première année c’est celle entre droit public et droit privé, que si cette distinction existe c’est qu’elle est fondée et a sa raison d’être et que chacun a sa logique et son…mode de fonctionnement ainsi que ses spécificités procédurales. Il faut donc connaître et respecter toute cette logique et toutes ces procédures. Il y a la vie publique et la vie des institutions de l’Etat, et il y a l’intérêt public, de la Nation et de l’Etat, au profit desquels s’est développé le droit public ; il n’est pas sain que leur soient privilégiés la vie et les intérêts particuliers, privés, qu’organise le droit privé au profit des individus, souvent des puissants». Les postes et mandats politiques sont attribués par un contrat de confiance entre la majorité d’une institution politique et l’élu, la candidature à ces postes étant d’ailleurs présentée par des partis ou regroupements politiques qui réunissent la majorité pour faire élire leurs candidats. Ainsi, l’élection au bureau de la chambre basse du parlement congolais est organisée par le règlement intérieur dont l’article 27, 2° dispose que ‘’les candidatures aux différents postes du bureau définitif sont présentées par les partis ou les regroupements politiques…’’. En conséquence, l’élection ou le maintien à cette dignité dépend de la qualité des relations de confiance entre la majorité et son candidat. Il ne s’agit donc pas, au profit de ce dernier, d’un droit subjectif. Dès lors que cette confiance disparaît et que l’institution vote une motion de censure ou une pétition de déchéance, l’élu perd son mandat sans que l’on puisse invoquer un quelconque préjudice personnel de nature privée. La déchéance dans ce cas n’est pas à motiver obligatoirement au plan juridique. Il suffit qu’elle soit voulue par le mandant dont les explications du vote sont politiques et non juridiques. «On ne peut imposer la réhabilitation d’un élu ayant perdu la confiance de ses mandants car, dans quel climat, même rétabli par le juge, pourrait-il travailler, avec une majorité qui lui est défavorable ?», s’interroge Mampuya.
Mieux, dans le cas particulier de la destitution du 1er vice-président de l’Assemblée nationale Kabund, l’UDPS et allié, regroupement politique ayant présenté la candidature de l’intéressé, a changé le bénéficiaire de sa confiance pour la donner à un autre élu (une élue) régulièrement présenté. Rien n’est juridique dans cette problématique, tout est politique. Conformément aux articles 25 à 31 du Règlement intérieur concernant la déchéance à supposer qu’une juridiction soit intéressée, ce devrait être sur la base du respect ou non de ces dispositions spécifiques, et non en vertu des règles judiciaires citées ci-dessus. « Je recommande que l’on lise, afin de les connaître et comprendre, les dispositions pertinentes de la Constitution et du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Tout y est. Nul besoin d’étendre abusivement le champ du droit privé et de dénaturer le régime constitutionnel», renchérit le professeur.
Dangereux gouvernement des juges
Les juges doivent cesser de s’immiscer dans le domaine des autres pouvoirs, notamment dans celui du fonctionnement et des prérogatives constitutionnelles exclusives du parlement par des décisions de justice intempestives qui annihilent les attributions de cette institution politique démocratique.
Les juges, particulièrement au Conseil d’Etat, ont de plus en plus l’habitude de privilégier leur interprétation personnelle au détriment de la lettre et de l’esprit de la loi ou des règlements institutionnels.
Auguste Mampuya voit dans une telle inclinaison «la manifestation de ce qu’on appelle le gouvernement des juges. Une expression utilisée pour dénoncer la dérive des juges constitutionnels ou administratifs lorsqu’ils s’arrogent un trop grand pouvoir d’interprétation des textes et inventent des raisonnements en se permettant des emprunts qui aboutissent à la création du droit par eux-mêmes alors que cette prérogative revient aux institutions législatives démocratiquement instituées. Tel n’est pas le rôle ni la mission des juges, le droit étant créé, selon ses différentes composantes, par le parlement (lois) ou par l’Exécutif (règlements), dont les pouvoirs émanent démocratiquement du peuple et qui assument une responsabilité politique, devant ce dernier ».
Dans le cas qui défraie la chronique kinoise depuis quelques jours, on a vu un juge administratif méconnaître la prééminence du Règlement intérieur à valeur constitutionnelle dans la solution d’un conflit interne à l’Assemblée nationale et un procureur porter atteinte à l’inviolabilité du siège du parlement en neutralisant par la force l’Assemblée nationale et le Sénat, incarnations de la souveraineté populaire pour tenter d’imposer la réhabilitation d’un membre destitué du bureau d’une de ces deux institutions politiques. On se demande ce qui alimente un tel dévoiement alors que l’on a connaissance d’un nombre incalculable de décisions judiciaires non appliquées et pour lesquelles les juridictions n’ont jamais recouru à une exécution forcée aussi diligente. «Cette pratique qui tend à faire régler par le juge des affaires internes à une institution autre que judiciaire et à lui faire prendre des décisions qui relèvent du politique sape les fondements de l’Etat de droit», met en garde notre source.
Des politiciens retors réussissent ainsi à compromettre des magistrats dans ce genre d’affaires. Ils les embourbent dans des querelles et des conflits politiques qui les dépassent et ne relèvent pas de leurs missions et de leurs responsabilités au détriment du droit lorsque l’opinion majoritaire dans les instances politiques auxquelles ils appartiennent ne leur est plus favorable. C’est une sale besogne qui fait courir aux magistrats le risque d’être assimilés à un camp ou à un autre dans le climat clivant et manichéen de ce qu’on appelle abusivement ‘‘la politique’’. Ils ont intérêt à éviter de se laisser coincer entre le marteau et l’enclume par des politiciens qui les rendent ainsi responsables, comme en ce moment, de la crise qui naîtrait entre les institutions ou en leur sein, alors même qu’ils ont déjà vidé le litige (cas de l’Assemblée nationale où le parti politique concerné a déjà remplacé le cadre en question), sans avoir visiblement le courage d’assumer les conséquences de leur choix.
La crédibilité de la magistrature risque ainsi de se fracasser sur la muraille de ces manœuvres politiciennes. « C’est à cause de tels risques que le ‘’gouvernement des juges’’ est combattu partout, notamment aux Etats-Unis où il a un moment commencé à menacer la démocratie, notamment par le contrôle de constitutionnalité dont la Cour suprême s’était octroyé le pouvoir (Arrêt Marbury v. Madison), ou combattre les réformes présidentielles (le New Deal de Roosevelt). Pour les mêmes raisons, au Royaume-Uni, on a exclu tout contrôle de constitutionnalité, et aux Pays-Bas, non seulement ce contrôle n’existe pas mais il est explicitement interdit par la constitution», signale le professeur Mampuya qui déclare en guise de conclusion: «J’ai une trop haute idée de la Justice et des juges pour les laisser malmener par les politiques. Dans l’intérêt même des juges et du droit, je ne veux pas laisser s’instaurer le ‘’gouvernement des juges’’. Aussi, je les encourage à refuser leur instrumentalisation maligne et camouflée par les politiciens, quels qu’ils soient ». Une véritable profession de foi à prendre ou à laisser par les intéressés à leur corps défendant.
Chroniqueur Judiciaire