Alors que la pandémie de la Covid-19 n’a pas cessé son expansion macabre en Europe avec, pour la Belgique 59.348 cas confirmés et 9.606 décès selon les chiffres de l’OMS du 9 Juin 2020 ; 241.717 cas confirmés et 27.136 décès pour l’Espagne; 154.188 cas confirmés et 29.209 décès pour la France ; 235.278 cas confirmés et 33.964 décès en Italie, la RDC comptait pour la même période moins de 5.000 cas confirmés et seulement 90 décès. L’opinion publique s’interroge sur le manque de solidarité entre pays européens dans la riposte contre la Covid-19 à contrario de l’axiome selon lequel charité bien ordonnée commence par soi-même. D’aucuns questionnent à Kinshasa l’empressement de l’Union européenne à voler au secours de la RDC.
Arrivés lundi par l’aéroport international de N’djili par un vol spécial à la tête d’une forte délégation politique, des travailleurs humanitaires ont en effet convoyé une cargaison d’aide médicale. Le commissaire Européen chargé de la gestion des crises Janez Lenarcic, le ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian ainsi que son collègue Belge Philippe Goffin ont été reçus par le président de la république, Félix Tshisekedi à la cité de l’Union africaine.
Pendant une heure, le chef de l’Etat a échangé avec ses interlocuteurs sur la pandémie de la Covid-19 en RDC et des efforts du gouvernement pour juguler la crise. Il a à juste titre salué l’aide apportée par l’Union européenne. Devant la presse présidentielle, le chef de la délégation Janez Lenarcic, a remercié le président pour l’accueil leur réservé.
« Cette visite est justifiée par la situation humanitaire congolaise jugée préoccupante par l’Union européenne. Plus de 15 millions de Congolais ont besoin d’une aide humanitaire et la situation risque de s’aggraver avec cette pandémie», a-t-il souligné. Et pourtant, si la situation est vraiment préoccupante c’est bien en Europe qu’elle l’est. Le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque métropolitain de Kinshasa qui a reçu à son tour la même délégation a manifesté son inquiétude sur le fait que le pays reste toujours en mode main tendue. «Je pense que la grande responsabilité pour déterminer ce qu’il y a de mieux pour notre pays relève de la responsabilité du Congo, du gouvernement et du peuple congolais. Nous ne pouvons pas rester des éternels assistés», a-t-il dit avec beaucoup de bon sens.
Solidarité intéressée
C’est assez rare dans la coopération entre le vieux continent et la RDC qu’en une seule occasion deux ministres (français et belge) des affaires étrangères ainsi qu’un commissaire européen soient chargés par l’Union européenne de convoyer quelques tonnes de médicaments. On est surpris du reste de l’absence des ministres ayant le secteur de la santé dans leurs attributions dans cette délégation. C’est d’autant plus curieux en ce moment où la solidarité devrait plus s’exprimer entre États membres de l’Union européenne où les fractures et les désaccords s’étalent quotidiennement au grand jour alors que la pandémie du Coronavirus continue d’y tuer à très large échelle. On en vient à se poser des questions sur les vraies motivations de cette soudaine solidarité avec la RDC.
Au-delà de l’urgence humanitaire pompeusement répandue dans les médias comme raison principale de la venue à Kinshasa de la délégation européenne, plusieurs observateurs estiment qu’il s’agit en fait d’une guerre d’influence entre l’Europe et la Chine qui n’ont cessé de se disputer le leadership de crise notamment en RDC à coup de libéralités destinées à appâter les autorités congolaises et à infléchir leurs politiques. On rappelle à ce sujet qu’il y a à peine quelques mois, la France et la Belgique ont été radicalement opposées à la révision du code minier par la RDC sous le président honoraire Joseph Kabila en 2018 alors que le texte avait pour objectif de mettre fin à des clauses léonnines qui amoindrissaient les moyens dont dispose l’Etat congolais pour faire face à ses priorités comme … la santé.
Par ailleurs, aux côtés des Etats-Unis, l’Union européenne a été ces derniers mois à la manœuvre pour faire imploser la coalition FCC-CACH issue des élections de 2018, laquelle garantit à ce jour le vivre-ensemble harmonieux et pacifique entre les composantes multiples de ce pays-continent composite qu’est la RDC, comme si seuls des schémas de conflictualité et de déstabilisation du pays de Lumumba les arrangaient. De là à soupçonner la venue à Kinshasa de la délégation de l’UE comme une énième tentative d’enfoncer un clou entre partenaires de la coalition au pouvoir, il n’ y a qu’un d’aucuns ont vite fait de franchir.
Des rumeurs ont fait part également de nouvelles restrictions d’accès à l’espace Schengen par les ressortissants congolais que cette délégation est accusée de vouloir négocier avec le président Tshisekedi et son gouvernement. Ces nouvelles restrictions qui concerneraient notamment l’administration d’un vaccin européen en gestation contre la Covid-19 comme condition sine qua non pour voyager dans l’espace Schengen ont été démenties par l’ambassadeur Jean-Marc Chataigner mais on se montre de plus en plus sceptique dans la capitale congolaise depuis qu’au cours d’une discussion début avril à la télévision française LCI entre deux médecins, a été évoqué la possibilité d’essai de vaccin anti-coronavirus en Afrique. Ces médecins ont évoqué aussi des tests sur des cobayes humains en Afrique du vaccin antituberculeux BCG comme traitement contre la Covid-19. Une vague de commentaires vindicatifs avait alors envahi les réseaux sociaux à Kinshasa où des photos et vidéos virales montraient un bus accusé de transporter des blancs vandalisé par des motards « wewas » non loin de l’aéroport de Kinshasa. Ces images qui montrent des jeunes, notamment des chauffeurs de motos-taxis s’en prenant à un bus transportant quelques expatriés occidentaux doivent être examinées avec minutie par les autorités rd congolaises. En fait il s’agissait d’employés d’une société pétrolière franco-britannique qui devaient prendre un vol spécial de retour vers l’Europe qui sont ainsi tombés entre les griffes de Congolais de plus en plus convaincus que le Coronavirus serait une invention d’un laboratoire occidental. De nombreuses histoires inquiétantes au sujet d’essais cliniques de vaccins contre les coronavirus réalisés sur des africains circulent et la marge de manœuvre de l’UE reste très réduite pour convaincre le Congolais lambda à ce sujet.
La RDC au cœur des enjeux internationaux
L’arrivée de la délégation de l’UE à Kinshasa place la RDC au cœur des priorités extérieures de l’Union et en fait un symbole fort. Dans un système multilatéral en crise, il entérine le constat que l’Europe doit renforcer ses partenariats avec ceux qui veulent apporter, ensemble, des réponses aux défis communs.
L’Europe, les États-Unis et la Chine, partenaires de premier plan de la RDC jouent désormais des partitions discordantes au niveau international : défense, terrorisme, commerce international, changement climatique… La puissance chinoise s’est déployée largement en RDC et son expansion irrite les partenaires dits traditionnels de la RDC. Au-delà de la mer Méditerranée l’Europe veut reprendre ses marques en RDC. L’Europe est à Kinshasa pour renforcer les échanges avec la RDC.
Une relation d’égal à égal
Terre hospitalière et de transition, le Congo-Kinshasa peut sauter les étapes que les pays les plus développés ont suivies. Elle dispose de potentiels d’innovation considérables, notamment dans les mines, l’énergie et l’écologie. L’UE doit s’astreindre à nouer avec elle une relation décomplexée.
Sans renoncer à ses valeurs, elle doit faire l’effort d’établir avec la RDC un nouveau partenariat dynamique reposant en particulier sur le développement durable à travers des investissements dans les domaines de l’économie verte ainsi que des échanges scentifiques, académiques et culturels.
L’Europe doit notamment renforcer son soutien à l’éducation des nouvelles générations et à l’entreprenariat comme s’y était engagé le président Macron lors du G7 à Biarritz.
Un monde multilatéral
Réduire la relation avec l’Afrique et la RDC aux questions migratoires, comme le font certains populistes, c’est condamner l’Europe à l’isolement. Nos destins sont liés et le seront encore davantage demain. Après avoir rebaptisé le portefeuille «aide au développement » en «partenariats internationaux», c’est ce message fort que la délégation de l’UE devrait apporter au peuple congolais.
En 2020, la Commission européenne a fourni une aide humanitaire à hauteur de 40,83 millions d’euros pour venir en aide aux personnes vulnérables. La majeure partie de cette aide a été orientée vers l’Est de la RDC où les civils sont régulièrement la cible d’attaques de groupes armés. On aurait bien aimé que par des pressions significatives sur les industries utilisatrices finales des ressources minières pillées par les groupes armés nationaux et étrangers qui déciment nos populations, l’Europe contribue à la normalisation et à la stabilisation de la situation dans cette partie de la RDC. Grâce à son aide au développement, et plus particulièrement à un programme pluriannuel (2014-2020) doté d’un budget global de 222 millions d’euros, l’UE soutient également, entre autres secteurs, le système de soins de santé en RDC. L’aide ainsi fournie vise à améliorer à la fois l’accessibilité et la qualité des services de santé en soutenant les centres de santé et les hôpitaux, les autorités locales de surveillance sanitaire et le système d’approvisionnement en médicaments. Ce n’est pas une sinécure mais sans la paix, les mêmes causes continueront à produire les mêmes effets.
Le soutien total de l’UE à la riposte contre le Coronavirus en RDC s’élève à 19,5 millions d’euros (aide humanitaire et financement au développement). Ce financement soutient la sensibilisation des communautés aux mesures de prévention du coronavirus, ainsi qu’aux actions visant à améliorer l’accès aux soins de santé, y compris aux personnes qui en ont besoin. Cela comprend un soutien technique et matériel à l’hôpital de référence Saint Joseph, un des établissements qui acceuillent les malades atteints de la Covid-19 en partenariat avec l’Agence pour le développement de la Belgique.
Le commissaire Lenarčič a estimé pour sa part que «ces nouveaux vols du pont aérien humanitaire de l’UE vers la RDC apportent une aide d’urgence à ceux qui en ont le plus besoin. Vaincre à terme le Coronavirus signifie travailler de concert, en particulier avec les pays africains qui sont nos principaux partenaires. Nous livrons au total 40 tonnes de fret humanitaire à bord les trois vols à destination de la RDC. Il est dans notre intérêt commun d’œuvrer dans un esprit de solidarité ».
Sous la casquette humanitaire, des profits rapaces
Si certains politiques et certains médias feignent de ne rien voir, le commun de Congolais remarque que l’UE et sa ribambelle d’ONG ne sont pas tous là que pour l’humanitaire. Derrière les rideaux et des discours modelés à souhait pour la galerie il y a des «profits de rapaces» : salaires astronomiques pour les experts expatriés, avantages divers (logement, véhicule et autres) qui ne cadrent pas avec la réalité du milieu d’intervention… et au final, rien que quelques miettes pour le projet proprement dit. En effet, sur 5 USD investis dans un projet humanitaire, 1 seulement est affecté à sa réalisation. Jamais rassasiés, ces entrepreneurs de l’humanitaire, qui n’hésitent pas souvent à se substituer carrément à l’État sont manifestement au service de leurs propres intérêts.
Sans doute va-t-il falloir attendre que l’UE et ses ONG arrivent à cette fin pour voir nos politiques pousser des cris d’orfraie et dénoncer «des financements odieux» qui dépouillent l’État de ses prérogatives. Aujourd’hui, d’aucuns se réjouissent du taux de pénétration des valeurs européenne sur le respect des droits humains, la bonne gouvernance, la lutte pour la démocratie et la justice ainsi que le message des ONG étrangères en RDC pour soulager la misère des populations et pensent que « cracher dans le bassinet» n’est pas une garantie de tranquillité. Mais certains esprits lucides regrettent que les «financements mirobolants» des aides humanitaires réalisés depuis plusieurs années n’ont pas transformé significativement la vie des populations, destinataires de leur ‘‘charité’’.
En effet, certains humanitaires de haute volée, ont fait du marketing de la souffrance réelle ou supposée des Congolais un métier. Ils prennent des parts importantes du financement et dictent leur loi en animant des campagnes et séminaires, en faisant pression sur les sous-traitants et le gouvernement.
Leurs méthodes de « maîtres chanteurs», parfois brutales, sont décriées, mais ils continuent à revendiquer fièrement leur statut d’«humanitaires» et crient sur tous les toits que la RDC ne tient que grâce à eux. Ces humanitaires comme les ONG qu’ils sous traitent localement se mettent à critiquer sur les médias globaux les Congolais à longueur des journées, en traitant leurs dirigeants d’impotents et incompétents à l’origine d’une mauvaise gouvernance endémique et d’une corruption pratiquement congénitale.
Certes, aujourd’hui le ménage est loin d’être fait dans la plupart des cas, mais il faut changer de musique. Comme les sauterelles quittent un territoire une fois qu’elles ne trouvent plus rien à y manger, les ONG se séparent rapidement des projets trop peu rentables. Aujourd’hui, les humanitaires préfèrent se tourner vers ce qui dure. Ils veulent du résidentiel. Ils regardent ainsi du côté de l’Est où ils mènent moult opérations douteuses à l’abri du regard du grand public.
La RDC n’échappe pas à la «razzia» des humanitaires. Du jackpot assuré !
Les salariés locaux s’émeuvent de la disparité de traitement entre eux et les employés étrangers de cette drôle de philanthropie internationale. Il est regrettable que la RDC n’ait jamais été capable comme le Rwanda de mener une vraie politique publique de financement de l’humanitaire et se soit applatie pour laisser le champ libre à des acteurs étrangers réputés incontrôlables car incontournables.
« Jusqu’à présent, on a eu l’impression que l’on gagnait à tous les coups, mais la finance, c’est comme le loto ou le Pari Foot, pour qu’il y en ait qui décrochent le gros lot, il en faut aussi qui perdent », met en garde un spécialiste de l’humanitaire impérialiste.
Alfred Mote
Analyste politique