Entre vérités-révélations fracassantes, mensonges et demi-vérités des témoins et renseignants ayant constitué pratiquement les enjeux du procès marathon dit des 100 jours, se mêlaient à la fois espoir, désillusion et désenchantement sur les visages des prévenus dont le plus emblématique restera Vital Kamehre, directeur de cabinet du chef de l’État, Félix Tshisekedi. Au terme des quatre premières audiences du TGI-Gombe sur l’affaire des maisons pré-fabriquées siégeant en chambre foraine au sein de la prison centrale de Makala, l’opinion publique a appris bien plus qu’elle en attendait.
Gabin Lulendo, porte parole de l’Union pour la Nation congolaise (UNC), parti du prévenu Kamerhe a affiché son satisfecit et son optimisme jeudi à la clôture de l’audience quant à l’issue de ce procès : « Le procès suit son cours normal, le processus est bien mené, ce qui est une bonne chose; les droits de la défense sont respectés. On est allé prévention par prévention, chef d’inculpation par chef d’inculpation, jusque-là, le ministère public et la partie civile peinent à démontrer le détournement des deniers publics de Kamerhe soit seul, soit en complicité avec ses co-accusés. Après avoir auditionné les uns et les autres, de tous ceux qui participaient à la chaîne de la dépense, on n’a pas vu par quel mécanisme Vital Kamerhe avait détourné de l’argent. L’UNC reste sereine parce que le contrat judiciaire c’est ce qu’on appelle la citation à prévenu. Sur les 4 préventions reprochées à Kamerhe, tout le monde aujourd’hui est unanime que le ministère public peine à démontrer une seule prévention contre lui. A moins qu’on puisse faire un raccordement frauduleux juridique pour arriver à établir sa culpabilité».
Quoiqu’il en soit, les quatre audiences de l’instruction sur le procès des 100 jours ont clairement démontré qu’il n’y avait ni contrat, ni avenant à un contrat régulièrement signé entre la RDC et les sociétés Samibo Congo ou Husmal du libanais Samih Jamal. Il en ressort que plus de 57 millions USD décaissés par la République à cet effet avaient quitté les comptes bancaires de Samih Jammal 48 heures seulement après y avoir été logés alors que la licence d’importation du prestataire renseignait à peine 12 millions USD. C’est la preuve d’un subterfuge, comme l’a confirmé le DG de la Direction générale du contrôle des marchés publics (DGCMP) Ngongo Salumu : «Le projet d’avenant concernait le marché initial de 900 maisons. Pour le reste c’était irrégulier. La DGCMP avait demandé au ministère du Développement rural de transmettre le devis, ce qui n’a pas été fait, raison pour laquelle il n’a pas été autorisé. Par contre, le contrat régulier est celui de 26.750.000 USD qui a suivi toute la procédure jusqu’à obtenir l’avis de non objection. Pour ce qui est des 1.500 maisons supplémentaires dont le projet était piloté par Kamerhe et son ami Jammal, tout s’est boutiqué au mépris des lois et réglementations en la matière».
A la question du procureur général de savoir s’il pouvait exister un contrat verbal comme l’avait avancé Kamerhe, Ngongo Salumu a été formel : «le marché public ne peut être qu’un contrat écrit entre l’Etat et un fournisseur», a-t-il martelé. «Le contrat peut être verbal et être régularisé plus tard…», lui a rétorqué aussitôt Vital Kamerhe qui en voulait pour preuve son propre ordre verbal à la société Safrimex pour l’érection du premier lot des maisons préfabriquées au Camp Tshatshi.
Par ailleurs, il a été démontré pendant cette instruction qu’aucun membre du comité de Coordination du programme des maisons préfabriquées n’avait été dûment informé sur le projet SAMIBO depuis sa conception, son financement et sa mise en œuvre. Le chef de cabinet du président de la République en a été le seul concepteur, ordonnateur- financier et chef d’ouvrage. Le fameux comité de Coordination ou de supervision et l’intervention de Samibo semblent n’avoir servi que de paravant pour Kamerhe.
En RDC, le détournement des deniers publics figure parmi les fléaux qui minent la gestion des affaires de l’Etat. Malheureusement, la plupart des auteurs de ces actes restent souvent impunis. Très peu sont poursuivis par la justice. Pourtant, c’est une infraction punie par le code pénal congolais. Quelles sont alors les sanctions prévues par la loi ? Le détournement des deniers publics est un processus intelligent fait d’espièglerie orchestré par des personnes interposées n’ayant visiblement aucun lien entre elles. Alors que le responsable de Samibo, Samih Jammal avouait à la première audience ne pas connaître vital Kamerhe, il a avoué seulement à la quatrième audience avoir été brièvement reçu par Kamerhe, avant de dire qu’il ne se rappelle pas très bien s’il avait été reçu ou pas. Kamerhe, quant à lui, a soutenu qu’il n’a pas reçu Jammal qui a plutôt été reçu par ‘‘des experts’’ qui ne sont autres que Justin Kamerhe, son petit frère et un autre membre de L’UNC. Selon l’article 145 du code pénal congolais livre II, l’infraction de détournements des deniers publics, est punissable : « Peine principale: 1 à 20 ans des travaux forcés ; peines complémentaires: interdiction des droits de vote et d’éligibilité après exécution de la peine pour 5 ans au moins et 10 ans au plus. Interdiction d’accès aux fonctions publiques quel qu’en soit l’échelon ; privation du droit au sursis, à la libération conditionnelle et à la réhabilitation ; l’expulsion définitive du territoire national après l’exécution de la peine pour un étranger».
Poursuivant l’instruction, le tribunal a invité à témoigner sous la foi du serment, Marcellin Bilomba, conseiller principal du chef de l’Etat en matières économique et financière qui a suffisamment éclairé la composition en fustigeant le mode de travail à la présidence de la République. A la Banque centrale du Congo où il siège au comité monétaire pour le compte de la présidence de la République, Bilomba affirme avoir su que le montant global décaissé pour le projet des maisons préfabriquées était de 66.700.000 USD et non 57.000.000. Pour lui, c’est le dircab du chef de l’Etat qui était le responsable principal du programme des 100 jours et non Samibo.
Henri Yav Mulang, ancien ministre des Finances et témoin au procès a, en ce qui le concerne, assuré avoir débloqué des fonds d’une valeur de 57 millions USD pour la société Samibo et 2 millions USD à la société Husmal dont Samih Jammal est le seul patron sur base des injonctions de Vital Kamerhe, « en procédure d’urgence et du plan de décaissement». Par ailleurs, Pierre Kangudia, ancien ministre d’Etat en charge du Budget a relevé que Kamerhe interdisait tout mouvement de fonds dans les entreprises et services publics et avait instruit le gouvernement que la priorisation des dépenses serait désormais définie par lui-même. C’est dans ce sens que priorité sera accordée plus tard au paiement de Samibo et Husmal. Le comptable principal de la présidence appelé à la barre comme dernier témoin, a affirmé que 1 million 342.000 USD ont été décaissés pour dédouaner 300 maisons préfabriquées. Une somme qui aurait été remise dans une villa de Ngaliema à John Ntumba, actuel ministre UNC de la Formation professionnelle, sur instruction de Kamerhe. Ce dernier a acquitté le document au nom et pour le compte de Jeannot Muhima, chargé de l’import export à la présidence, qui se trouvait alors à Matadi pour le dédouanement des véhicules de la présidence et non des maisons préfabriquées.
Aussi, a-t-il reçu de la Banque centrale 1 millions 154 mille USD remis cette fois à Jeannot Muhima pour dédouanement et transport des containers. Ensuite, se référant toujours au directeur de cabinet, il a également reçu 1,07 millions USD comme prime pour les membres du comité de suivi du programme des 100 jours pour 4 mois.
Avant lui, le témoin Peter Kazadi et le renseignant Justin Kamerhe, membres dudit comité, ont comparu ainsi que l’épouse de Vital Kamerhe, Amida Shatur, sa fille Soraya Mpiana, et le cousin de VK Daniel Shangalume alias «Massaro». Nicolas Kazadi, ambassadeur itinérant du chef de l’Etat, les ministres Thomas Luhaka et Molendo Sakombi ainsi que le commandant de la garde républicaine, le général Christian Tshiwewe étaient également parmi les témoins interrogés au cours de l’audience de jeudi.
Il pleut des cadeaux chez les Kamerhe
Daniel Shangalume alias Massaro a été confronté au conservateur Kilangalanga au sujet du titre immobilier émis au nom de Soraya Mpiana, belle fille de Kamerhe qui semble constituer un acte de corruption de Jammal Samih aux fins d’obtenir les faveurs de Kamerhe selon la partie civile et le ministère public. Le conservateur des titres fonciers a reconnu avoir délivré un certificat au profit de Soraya Mpiana pour une concession située sur la baie de Ngaliema. «C’est Daniel Massaro qui a proposé le nom de cette dernière», a-t-il expliqué. « Jammal m’a vendu une parcelle puis m’en a offert une autre. Le nom qui m’est venu en tête à mettre sur le titre immobilier a été celui de Soraya Mpiana », s’est justifié Massaro dans un effort de dédouaner son cousin Kamerhe. Massaro a même indiqué a ce propos que le dossier dont il est question avec Soraya n’est connu ni d’elle-même, ni d’aucun membre de sa famille avant de demander pardon à Mme Kamerhe et sa fille pour les avoir mêlées à cette histoire.
Il est clair pour plusieurs observateurs que Massaro tentait ainsi de sauver la famille car on ne voit aucune raison pouvant justifier une telle libéralité de la part d’un homme d’affaires plutôt coriace comme Jammal. La demi-vérité sur l’amitié entre Massaro et les enfants Jammal ne tient pas la route à cet égard. On constate qu’après l’acquisition de cette donation, Massaro qui dispose d’autres propriétés en son nom, prétend avoir ‘‘oublié’’ de mettre son propre nom comme propriétaire de même qu’il aurait omis de mentionner le nom de sa femme et ses propres enfants, ne se souvenant que de celui de Soraya Mpiana, fille de Mme Kamerhe. Massaro qui reconnaît avoir donné le nom de Soraya Mpiana aux titres fonciers n’a pas nié avoir signé le document attribuant la propriété à celle-ci. Mais il nie avoir donné les informations sur l’identité de l’intéressée au conservateur des titres immobiliers. « Je me demande si ce monsieur nous prend pour des idiots. Avant d’apposer sa signature, on suppose qu’il avait donné et lu l’identité complète de Mlle Mpiana. Apparemment il veut nous faire croire qu’il n’a rien compris avant de signer ce document. Il feint d’être ignorant alors qu’il est un fondé de pouvoir à la SONAS et a des moyens de s’acheter un immeuble de plus de 300.000 USD», s’est indigné un confrère qui suit le procès.
Par ailleurs, Mme Amida Shatur, épouse de Vital Kamerhe, interrogée comme témoin par le tribunal sur des dépôts inhabituels sur ses comptes bancaires de plus d’1 million USD entre janvier et décembre 2019 s’est fendu de sa qualité de commerçante gestionnaire de l’immobilier pour justifier ses transactions. Bien plus, elle avoue avoir reçu lors de son mariage en 2019 avec Kamerhe en une seule soirée des cadeaux en espèce et en nature de l’ordre de 862.000 USD, 33.000 Euros, 10 millions de francs CFA,4 véhicules 4×4 et des bijoux. Un record pour la RDC. Pour Noël Tshiani candidat malheureux à la dernière présidentielle en RD Congo, les révélations de Mme Kamerhe peuvent donner matière à réflexion pour le tribunal: « Elle a ouvert la boîte de Pandore qu’elle aura difficile à refermer. Recevoir des cadeaux de mariage de plusieurs milliers de dollars et d’euros est de nature à susciter la curiosité du tribunal. Qui a donné ces cadeaux et pour avoir reçu quoi en retour?», s’est-il interrogé. Et si ce mariage avait servi à blanchir les capitaux ? Difficile à dire tant le processus qui remonterait à identifier les vraies sources des fonds des Kamerhe est plus que complexe.
Pour peu que Kamerhe et Amida soient des célébrités, il est difficile que la déposition de Mme Kamerhe sur l’origine des fonds sur ses comptes bancaires soit vraie. Même la plus grande star du football mondial du FC Barcelone, le milliardaire Leonel Messi n’a pas engrangé en 2017 lors de son mariage autant d’argent en terme de cadeaux malgré ses prestigieux invités. En effet, Lionel Messi et Antonella Roccuzzo se sont mariés à Rosario (Argentine) le 30 juin 2017. Un mariage en grande pompe dans un hôtel de luxe où étaient conviées 260 personnalités parmi lesquelles figuraient des noms prestigieux du monde du football comme Ronaldinho, Luis Suarez, Gérard Piqué, Ezequiel Lavezzi, Cesc Fábregas, Sergio Busquets, Samuel Eto’o, Gerard Piqué en compagnie de sa femme Shakira mais aussi la dernière recrue du Paris SG, Neymar ainsi de grosses fortunes du monde politique et des affaires. Messi avait demandé à ses convives de faire des dons à l’œuvre de charité Techo plutôt que d’offrir un cadeau de mariage. Le total des cadeaux reçus par le couple fut de 24.500 €, ce qui semble bien maigre au regard des libéralités prétendument prodiguées au couple Kamerhe.
Liberté provisoire rejetée pour Kamerhe et Jammal
Juste après avoir renvoyé au 11 juin l’audience du procès des 100 jours qui sera consacrée aux plaidoiries, la chambre du conseil s’est tenue à la prison centrale de Makala jeudi 04 juin pour statuer sur une énième demande de liberté provisoire introduite par les prévenus Vital Kamerhe et Samih Jammal. Le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe a rejeté leur requête.
C’est seulement vendredi 5 juin que le tribunal a rendu publique sa décision. Il sied de rappeler que c’est pour la septième fois consécutive que la justice congolaise refuse d’accéder à une telle demande de liberté provisoire de Vital Kamerhe et de son comparse Samih Jammal.
Le FCC n’y est pour rien
Pour son 49ème anniversaire de naissance, Joseph Kabila Kabange, président honoraire de la RDC et autorité morale du front commun pour le Congo (FCC) a bénéficié d’un ‘‘cadeau’’ inattendu à travers cette étape du procès du programme des 100 jours. Plusieurs allégations avaient été répandues à satiété ces derniers mois selon lesquelles le FCC bloquerait les actions du nouveau chef de l’État, Félix Tshisekedi. Les différents témoins qui ont défilé à la barre ont démontré qu’il n’en était rien.
«Quand on parlait des réserves de plus d’un milliard USD laissées par Joseph Kabila, certains parmi ses partenaires de CACH le niaient. Les révélations faites par ceux qui sous les ordres de Vital Kamerhe ont mis à la disposition des protagonistes du programme des 100 jours, une grande partie de ce pactole parlent d’elles-mêmes», observe un membre du FCC. Avant d’ajouter que Joseph Kabila qui a hérité d’un déficit budgétaire et d’un stock de dettes extérieures de plus de 17 milliards USD comprenant encours et arriérés mais qui laisse plus d’un milliard de réserve mérite respect et considérations. Les acteurs du blocage et du retard dans l’exécution du programme des 100 jours sont tout sauf membres du FCC. La vérité est sortie aussi de la confrontation entre un conseiller principal Bilomba et son dircab. Maintenant, le peuple sait ce qui s’est fait à la présidence. On observe que les acquis de Joseph Kabila ont été dilapidés en quelques mois seulement. Faut- il en rire ou en pleurer?
Que de procès dans le «procès des 100 jours!» Règlement de vieux comptes mal ou non soldés entre frères ennemis ou vieux amis. Combat à fleurets mouchetés entre les deux écuries de la cité de l’UA et/ou du Palais de la Nation. Les hommes du président contre les proches de son dircab. En gros, l’UDPS contre l’UNC. On s’est aperçu en outre que les bases de la plupart des partis politiques sont plus sociologiques qu’idéologiques avec ce duel opposant essentiellement des ressortissants du Kasaï à ceux du Kivu.
«La palme d’or dans ces procès dans le procès revient, sans conteste, à un conseiller principal Bilomba. Devant les caméras, ce collaborateur assumé non du directeur de cabinet, mais du seul président de la République n’a pas fait dans la discrétion, encore moins dans le politiquement correct pour étaler sur la place publique le dysfonctionnement du cabinet présidentiel. Des conseillers échappant au contrôle du directeur de cabinet. Ce dernier qui a dû lire son job description n’a eu que ses oreilles pour apprendre que l’un de ses conseillers- était-ce le seul ? – interagissait comme un électron libre avec le monde extérieur. Et produisait à son insu 50 notes techniques par semaine. Sacrée performance», a estimé José Nawej du Forum des As avant d’ajouter que «d’autres membres du cabinet présidentiel ont affirmé découvrir le ‘‘mode d’emploi’’ de la coordination du programme d’urgence de 100 jours du président à la suite du procès et même en pleine audience foraine! Pas donc besoin d’un dessin pour inférer que dans le braintrust présidentiel, on tire à hue et à dia. Des collaborateurs visiblement scotchés au zèle militant des années ‘‘opposition’’ risquent de faire répandre au bord du fleuve Congo si ce n’est déjà fait le parfum de la ‘‘Cour du roi Petaud’’».
Pas rassurant pour le pays. Sans en être l’alpha et l’oméga, l’institution président de la République étant, en effet, la clé de voûte des institutions. Plein de bonne volonté, le programme à forte connotation sociale faisant foi, le chef de l’Etat mérite mieux. Lui qui n’a plus vraiment le temps devant lui et de qui les Congolais attendent l’amélioration de leur qualité de vie. Puisse la dimension cathartique du procès des premiers pas du nouveau pouvoir l’aider à nettoyer les écuries d’Augias et à s’entourer d’hommes imbibés à la fois de technicité et de sens de l’Etat.
Alfred Mote