La première audience du procès ouvert à l’encontre de Vital Kamerhe, directeur de cabinet du chef de l’État Félix Tshisekedi, le 11 mai à la prison centrale de Makala n’a pas fini de faire jaser le landerneau politique kinois, tant le prévenu, poursuivi par le ministère public pour détournement de plus de 50 millions USD du Trésor affectés à l’exécution des travaux liés au programme d’urgence de 100 jours du chef de l’État a transformé son procès en une tribune politique, tantôt insinuant que la responsabilité de son patron de président et d’autres mandataires publics pouvait être engagée dans ses forfaitures, tantôt rappelant à l’ordre le juge: «Ce programme n’est pas le fruit de M. Kamerhe. Il est celui du président de la République. La justice et la vérité riment ensemble(sic). Je n’étais pas le seul superviseur…il y avait toute une équipe de 9 personnes. Je suis intervenu en tant que directeur de cabinet au nom du président de la République, pour répondre aux besoins pressants de la population », a déclaré un Kamerhe sûr de lui.
Dès l’entame du procès, VK a tenté de se dédouaner, de renvoyer la faute sur d’autres que lui et d’intimider le juge avec ses analyses alambiquées: « Je suis un intellectuel et j’ai une grande fonction dans ce pays avec la notoriété nécessaire pour la remplir. Nous ne sommes pas ici pour amuser la galerie et répondre aux questions superficielles que vous voulez nous poser. Je ne peux pas m’arrêter là où vous voulez que je m’arrête».
Face à la question du juge-président de savoir s’il connaissait le co-accusé libanais Samih Jammal, VK a répondu par un langage pour le moins confus.« Comment voulez-vous que je reconnaisse toutes les personnes que j’ai rencontré dans ma vie? Je n’ai jamais rencontré Jamal ». Un mensonge vite démenti par les médias qui ont aussitôt exhumé des photos sur lesquelles on pouvait voir Kamehre recevant chez lui le Libanais qui, selon le ministère public, avait en plus acheté à sa belle fille Soraya Mpiana, une concession dans la baie de Ngaliema pour gagner le marché relatif aux maisons préfabriquées. Un cas avéré de corruption.
Daniel Masaro, le neveu de Kamerhe a été arrêté vendredi 15 mai par l’Agence nationale de renseignements (ANR) à Kenge (Kwango) à des centaines de kilomètres de la capitale. Il va être auditionné puis déféré devant les juges. Les excès médiatisés de ce proche de Kamehre qui s’amusaient il y a quelques semaines sur les réseaux sociaux à exhiber un triomphalisme arriviste en se faisant photographier avec des piles de liasses de billets de dollar ne sont guères de nature à arranger la situation de son oncle.
Intérêts croisés
« Kamerhe est un véritable bluffeur audacieux qui croit à un destin né des frustrations diverses et de l’idée que certains se font du Congo et des Congolais. Il est de ceux qui croient que la musique ne peut pas se jouer autrement qu’à leur rythme, que la chance ne peut toujours être que de leur coté » selon l’analyste politique Alain Litumba na Lutete. Pour d’autres observateurs, c’est une grave erreur de croire que les Congolais sont toujours adeptes des shows médiatiques et subjugués par des paroles mielleuses et qu’ils n’ont que faire des réalités substantielles. Il faudrait apprendre de ses vices pour acquérir du succès et gagner. C’est une grave erreur de croire que l’on connaît tout.
Sur ce point, au delà de ses adversaires politiques qui profiteraient de la situation, pour le moment, ce sont les juges et les magistrats que VK doit essayer de convaincre. Et là, il ne sera pas le seul «intellectuel» comme il l’a toujours revendiqué. Il ne sera pas non plus, le coach comme on l’a clamé ci et là. Ces juges, sauf ingérence politique, maîtrisent le dossier et savent où aller pour dénicher la vérité. On a dit que le dossier était vide, il est désormais, étonnement volumineux ! En effet, la République qui accuse VK a tout préparé, analysé et pesé les tenants et aboutissants de ce ‘‘procès du siècle’’. Dans certains coins du Sud-Kivu, la grosse machine de « touche pas à mon frère et à nos intérêts » est en marche. La transparence … et la retransmission en direct du procès voulus par Kamerhe pourraient le desservir et exposer au grand jour le monstre qui se cachait derrière une rhétorique politique malicieuse. Le premier épisode du procès a convaincu nombre d’analystes qui savaient que Kamerhe usait de chantage, qu’il lançait des signaux voire des menaces à peine voilées, oubliant qu’il a touché aux Intérêts Nationaux.
« Il peut citer tous les noms du monde, on sait qu’il s’est rempli les poches au détriment de l’Etat et cela suffit pour le faire condamner ! Il est diminué et son capital de sympathie, déjà très entamé à l’extérieur comme à l’intérieur de sa communauté Kivutienne. Il est encore en perte de vitesse à Kinshasa et ailleurs. Personne ne risque de regretter son emprisonnement ou sa déchéance. Aujourd’hui, sa chance , ce sont les hésitations de Félix Tshisekedi… malgré les avis des faucons. Mais que peut-il faire ? Ses mains et ses pieds sont liés par la constitution de la République »renchérit Litumba.
Kamehre n’a pas changé
Malgré son passage éclair dans l’opposition utilisée comme purgatoire, personne au Congo-Kinshasa n’a oublié Vital Kamerhe le « pacificateur », l’enchanteur, le speaker adulé de l’Assemblée nationale de la première législature en RDC qui a inspiré la troupe culturelle à succès « Les amis du savoir», l’écrivain à cœur ouvert en 2006 qui a publié l’ouvrage « pourquoi j’ai choisi Joseph Kabila», un aveu de dévotion, un credo en JKK qu’il va par la suite vouer aux gémonies. En alliance de dernière minute avec Fatshi en 2018 pendant la campagne électorale de la présidentielle, c’est le « Coach » autoproclamé du président, son « dauphin » pour la présidentielle de 2023 en vertu de l’accord de Naïrobi. Ses menaces à peine voilées contre le chef de l’État et d’autres personnalités politiques sur leur responsabilité supposée dans le détournement dont il est accusé par le ministère public ont dévoilé le narcissisme maladif du président de l’UNC. En démocratie, les alliances politiques se nouent et se dénouent. Normal. Jeune loup du Kabilisme, dont il a été la cheville ouvrière, en tant que directeur de campagne de Joseph Kabila en 2006. Cofondateur du PRRD et président de l’Assemblée nationale, Kamerhe a endossé le costume de l’opposant dès 2009, date de sa rupture avec celui qu’il appelait son mentor, Joseph Kabila avant de le livrer à la vindicte populaire, le taxant de tous les noms d’oiseaux. Jusqu’ou ce funambulisme continuera t-il d’abuser de la crédulité du peuple congolais ? La méthode Kamerhe se résume en une stratégie de la victimisation. C’est ce qu’il a cherché à rééditer en revendiquant un procès retransmis en direct à la télévision pour dire: « Pourquoi on s’acharne sur moi alors que je n’agissais qu’au nom et pour le compte du président de la République, Félix Tshisekedi. D’ailleurs je ne touchais pas à l’argent ».
L’opinion se rappelle encore d’un rapport d’observation du déroulement des scrutins électoraux, signé par Vital Kamhere au lendemain des élections présidentielles et législatives du 28 novembre 2011. Il avait alors accusé de fraude et bourrages d’urnes la députée nationale PPRD Wivine Moleka à Mbudi, une banlieue de la capitale congolaise. Début décembre 2011. Piquée au vif, Moleka exigea des preuves et saisit le tribunal de paix de Kinshasa Ngaliema (où Kamerhe résidait) pour diffamation et dénonciations calomnieuses. En réaction, VK avait crié à l’acharnement du pouvoir Kabila sur sa personne comme s’il lui était permis d’accuser les gens sans preuves. Après avoir boycotté les concertations nationales organisées en 2013 à l’initiative du président Kabila, parce qu’il n’avait pas obtenu ce qu’il appelait «une facilitation neutre africaine», Vital Kamhere fera encore parler de lui. Comme si la cohésion nationale dont le Congo avait besoin pour mettre fin à l’aventure militaro-affairiste du mouvement du 23 Mars (M23) n’était possible que si les concertations nationales étaient parrainées par une main étrangère.
On se souvient qu’il avait scandalisé l’Assemblée nationale dont il était le speaker en proposant le plus sérieusement du monde que les projets RDC-Chine (contrats chinois) soient soumis à … « l’approbation de nos amis du FMI » (sic !) comme si une convention entre deux parties devait avoir l’aval d’une partie tierce.
Lorsqu’il fut déchu par ses pairs du perchoir en 2009 pour déficit de confiance, cherchant à tirer la couverture sur lui, il a accusé le gouvernement de l’époque de travailler de connivence avec l’ennemi qui déstabilisait alors la partie orientale de la RDC. En s’insurgeant sur Afrikarabia du mutisme supposé du gouvernement face à la crise à l’Est de la RDC. «Il y a une sorte d’affairisme qui a été instauré dans notre pays. Cela fini par distraire beaucoup de nos dirigeants », avait-il dit.
Alors que les Congolais pleuraient, la mort dans l’âme, l’un de leurs dignes fils, le général Mamadou Moustapha Ndala, tombé sur le champ d’honneur le 02 Janvier 2014 après avoir désarçonné quelques semaines plutôt le Mouvement du 23 mars (M23), Vital Kamerhe n’a vu dans la tragique disparition de ce vaillant officier mort au front qu’une opportunité de plus pour attirer les feux de la rampe sur lui en affirmant que Mamadou avait été exécuté par… le régime. « C’est vraiment le machiavélisme dans ce qu’il a de plus extravagant… » s’était indigné à ce propos l’alors ministre de l’Intérieur Richard Muyej Mangez dans une interview exclusive accordée à AfricaNews. Un peu plus tard, fidèle à sa méthode, Kamhere a fait sensation en se faisant passer une fois de plus pour une victime, frappée par une imaginaire interdiction de voyager par la DGM. Sa première version voulait qu’on lui ait exigé à l’aéroport international de Ndjili son passeport pour se rendre … à l’Est du pays. Sa mauvaise foi fut rapidement éventée. Se rendant compte qu’aucun agent de la DGM ne pouvait se laisser aller à une telle outrecuidance, puisque le passeport n’est pas requis pour voyager à l’intérieur, il en inventa vite fait une seconde selon laquelle il s’agissait plutôt d’une «note de service» qu’il aurait lue et dans laquelle était décrétée une interdiction de voyage à son encontre. Vérification faite, aucun responsable de la DGM n’avait émis un tel document qui relève de la justice. En démentant l’information, Lambert Mende Omalanga, alors ministre porte-parole du gouvernement congolais de l’époque considéra cette prétendue interdiction de voyager dénoncée par le président de l’UNC comme une «manifestation d’un syndrome de victimisation d’un acteur politique désireux de faire parler de lui ».
Parti finalement pour amorcer sa caravane à l’Est du pays, VK eut à y subir des signes sans équivoque du désaveu de beaucoup de ses concitoyens dégoûtés par tant d’impudence. C’est le sens notamment de l’incident d’un groupe de sud-kivutiens qui le jetèrent du haut de la chaise à porteurs (Tipoy) sur laquelle il avait été juché.
La RDC a plus que jamais besoin de tous ses fils et filles pour participer activement, chacun dans son domaine à son développement. Même si nul ne peut être parfait, l’obstination de certains hommes politiques dans une vanité maladive frise parfois la démesure. Le procès Kamerhe et ses co-accusés promet d’être riche en rebondissements. Toutefois, la première audience a révélé que le principal prévenu a perdu les pédales en ne disant pas toute la vérité à ses avocats sur l’affaire qui l’oppose au ministère public. Le professeur Nyabirungu et Me Kabila Mwana Kabila, avocats de République reconvertis en avocats du prévenu Kamerhe contrairement aux règles déontologiques de leur profession en ont été fort embarrassés. Une situation dénoncée par le ministère public. L’excellent professeur émérite Nyabirungu a même été souvent hors-sujet, entrant parfois en contradiction avec son client. Kamerhe lui-même, s’est cru trop intelligent, suscitant l’indignation des juges et de ses avocats. Il est en outre allé trop vite en besogne en citant inconsidérément une panoplie de personnalités (Déogracias Mutombo Mwana Nyembo, le gouverneur de la Banque Centrale de la Banque centrale, Henri Yav Mulang, l’ancien ministre des finances, Nicolas Kazadi, ambassadeur itinérant du président Tshisekedi etc. ). Autant de personnes susceptibles de le clouer au pilori par leurs témoignages. On connaît déjà la version des faits de Nicolas Kazadi qui a crucifié dans les médias son ancien patron, le dircab du chef de l’État. En citant Kazadi comme coordinateur du Programme d’urgence de 100 jours, Kamerhe a ‘‘oublié’’ que depuis le lancement de ce programme le 2 mars 2019, c’est seulement le 13 juin, soit trois mois après qu’il a signé la décision portant désignation des membres du fameux comité de gestion dont Kazadi assurait la coordination. Pourtant, les décaissements importants avaient eu lieu entre mars et juin alors qu’il avait seul la haute main sur les moyens financiers du programme. Le gouverneur de la Banque centrale n’aura aucune peine à produire tous les bordereaux de virement.
Imbu de sa personne, Kamerhe a tenu à prendre la posture du directeur de cabinet du dircab du chef de l’État ayant rang de vice-premier ministre alors qu’il n’était pour le juge-président Yanyi et sa composition qu’un superviseur des travaux du programme d’urgence de 100 jours prévenu pour présomption d’indélicatesses de gestion. Les indices de culpabilité semblent lui laisser peu de chance de s’en sortir à bon compte.
L’État de Droit dont il a été le chantre tonitruant qui ne croyait pas aux paroles de sa chanson pendant la campagne électorale va le couler. Prochaine audience le 25 mai.
Chroniqueur judiciaire