Le dogme le plus communément partagé au sein des oppositions africaines consiste en la stigmatisation des dirigeants en exercice perçus comme des personnages sadiques opposés à la félicité de leurs peuples. En d’autres termes, à en croire la catéchèse de la plupart des partis d’opposition, il suffirait de changer les détenteurs de l’Imperium pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes. Si le raccordement en eau et en électricité n’est pas effectif pour tous, si l’éducation n’est pas à la portée des enfants les plus pauvres, si tout le monde ne mange pas à sa faim, si les soins de santé ne sont pas gratuits, si l’on continue à compter des chômeurs dans la population active, bref, si la pauvreté persiste, ce serait d’abord non pas parce que les gouvernants ne peuvent pas la juguler, mais parce qu’ils ne veulent tout simplement pas le faire.
Quant aux moyens et stratégies à mettre en œuvre pour enrayer effectivement la pauvreté, les oppositions africaines tardent à les suggérer à travers des réformes ou des politiques publiques concrètes. Souvent, les projets de société des opposants se limitent à une caricature des maux qui rongent leurs nations (imputés pêle-mêle aux gouvernants) et à la promesse que toutes ces tares disparaitraient d’elles-mêmes dès leur accession au pouvoir.
Grâce à l’avènement de la démocratie, le messianisme des opposants qui remportent les élections se transforme souvent en désillusion au point de faire des anciens adeptes des nostalgiques du bon vieux temps.
Cette expérience amère vécue par plusieurs pays africains semble s’inviter en RDC depuis que, pour la première fois, le plus vieux et le plus radical des partis d’opposition a remporté l’élection présidentielle. «18 mois plus tard, ce n’est pas comme si le paradis tant vanté avait déjà commencé à poindre à l’horizon», ricanait un diplomate européen en poste à Kinshasa. À ce manque de lisibilité téléologique s’ajoute un déficit patent de ressources humaines, une carence d’expertise visible à l’œil nu, un manque de pro-activité(laxisme), un attentisme béat de l’aide de la communauté internationale, un effritement de la cohésion nationale, une exacerbation des atavismes identitaires. Le bouleversement de l’environnement planétaire par la pandémie du Covid-19 est venu aggraver cette situation.
Face à ce tableau peu reluisant, faudrait-il laisser le pays partir en vrille ou agir dans le sens d’une union sacrée pour maintenir la patrie à flot? La citoyenneté responsable consisterait à œuvrer en faveur d’une intelligence collective au sommet, au-delà des clivages conjoncturels, afin de maintenir l’élan vers le progrès et l’émergence. Il serait moralement indécent de se délecter du manque de repères dans la gouvernance au motif que le président de la République ne serait pas à son goût. Le développement étant un processus cumulatif, le Congo de nos rêves ne peut résulter que de la conjugaison des prouesses du passé et du futur immédiat. Pendant que des esprits chagrins attendent la forclusion d’un mandat présidentiel pour mettre leurs mains à la pâte, des Congolais continuerons à venir au monde, à exiger l’éducation, des soins de santé, des logements décents, des infrastructures modernes, etc. Il n’y a pas de temps mort dans la trajectoire d’une nation sur l’océan des âges.
L’UDPS et les 36 ans d’opposition
L’histoire de l’actuel parti présidentiel est celle de 13 parlementaires élus sur les listes du parti-État MPR qui, après avoir subodoré la banqueroute du totalitarisme, ont décidé de placer le Zaïre de l’époque sur la voie du pluralisme démocratique. Cependant tout au long de la longue traversée du désert pendant les 36 ans d’opposition, douze des treize fondateurs ont quitté la barque de diverses manières avant que la mort n’ait finalement raison de la résilience du lider maximo Étienne Tshisekedi. C’est dire à quel point ce parti a été dépouillé de ses meilleurs éléments, avant d’accéder au pouvoir, au moment où l’on s’y attendait le moins. Surpris par l’accession à la magistrature suprême, le parti présidentiel s’est arrangé vaille que vaille pour occuper des postes stratégiques. L’UNC, son allié de circonstance au sein de la coalition présidentielle ayant été rattrapé par ses propres turpitudes, le temps semble enfin venu de prendre la juste mesure des défis à relever, étant donné qu’un tâtonnement de plus serait suicidaire.
Des impairs qui justifient la ritournelle
Pour repartir du bon pied, il est toujours recommandé d’évaluer les faux pas qui émaillent un parcours à problème afin de mettre le grappin sur les leviers qui ont jusqu’ici empêché l’ascension optimale de la navette.
Ils sont nombreux à s’être montrés sceptiques sur le choix du plus proche collaborateur du nouveau chef de l’État (dircab) qui se comportait plus en co-président de la République. La confusion entre la vitesse et la précipitation s’est poursuivie avec les travaux dits de cent jours annoncés comme une panacée pour transfigurer miraculeusement le pays.
Un programme aussi ambitieux qui n’avait du reste pas fait l’objet d’un collectif budgétaire ne pouvait que ralentir le décollage du nouveau mandat présidentiel même si le très ambitieux dircab-co-président y trouvait personnellement son compte. On traita ceux qui critiquaient ce dernier de haineux jaloux de son génie avant que la réalité ne finisse par reprendre ses droits.
Le caractère éléphantesque du cabinet présidentiel semble avoir été conçu comme un gouvernement parallèle à celui dominé par la majorité parlementaire sans tenir compte de la prépotence du chef de l’Etat sur l’exécutif dans tous les cas de figure. On a placé dans ce gouvernement parallèle des proches du parti allié et de la diaspora ainsi que des ‘‘experts’’ autoproclamés dont le pédantisme a souvent tourné court. A titre d’illustration, lors de la publication de l’ordonnance présidentielle portant nomination des mandataires de la Gécamines et SNCC, le porte-parole du chef de l’État, présenté comme un as de la com, Tharcisse Kasongo Mwema Yamba Yamba, a cru bien faire en dérogeant à la liturgie routinière comme pour ‘‘imprimer sa marque’’ en annonçant que ces ordonnances avaient été «contresignées» par le directeur du cabinet présidentiel. Une hérésie qui provoqua un tollé dont a souffert l’exécution desdits textes dès lors qu’il était apparu qu’ils n’avaient pas été soumis à une quelconque délibération en conseil des ministres.
Plus récemment, le mêmeporte-parole a failli provoquer un conflit inutile entre l’institution président de la République et le Parlement en déclarant que ce dernier ne se réunirait que «uniquement» pour adopter la loi de prorogation de l’état d’urgence donnant ainsi l’impression que le président violait le principe de la séparation des pouvoirs. Ou encore la dernière ordonnance présidentielle portant nomination, sur une base confessionnelle (dans un Etat constitutionnellement laïc!), des gestionnaires d’un Fond National de Solidarité contre le Covid-19 qui a dû être rapportée quelques jours plus tard. On a l’impression qu’en chacune de ces circonstances, le président de la République a été mené en bateau par des collaborateurs trop zélés et peu au fait des normes juridiques en vigueur dans le pays.
Il n’y a qu’à espérer que le nouveau départ de la gouvernance Fatshi que les Congolais appellent de tous leurs vœux se base sur des critères plus objectifs afin que le Congo et son président en sortent ragaillardis.
JBD