A l’heure de la crise sanitaire liée au Covid-19, les bailleurs de fonds de la RDC et de l’Afrique tâtonnent au sujet de la dette publique des pays africains entre moratoire, gel ou annulation. Dans l’entendement de Me André Lite, ministre rd congolais des Droits de l’homme, « de façon prémonitoire, nous avions suggéré l’annulation de la dette des États africains vis-à-vis de partenaires bi et multilatéraux au lieu du simple rééchelonnement comme souhaité, depuis lors, par la Banque mondiale, le FMI et, depuis la semaine dernière par le président Français Emmanuel Macron, à la seule différence que, pour lui, cela bénéficierait à certains États. Ce dernier détail constituerait une discrimination négative en ce qu’une mesure en faveur desdits États serait justifiée, a priori, pour de raisons humanitaires. En plus, aucun État africain, à ce jour, n’est à l’abri des ponctions dues au service de la dette vis-à-vis des institutions de Bretton Woods et des Clubs de Londres et de Paris ». Il ne fait guère de doute que nulle part en Afrique les hommes et les femmes paupérisés par les déséquilibres et les dysfonctionnements de l’ordre international en place pourront avaler la potion de l’après Covid-19 sans dommage.
Cette pandémie a tout bouleversé. Si bien que l’on doit batailler pour arracher ce qui peut l’être vis-à-vis de partenaires qui n’ont pas eu grand chose à perdre dans leurs relations avec l’Afrique au cours des années qui viennent de s’écouler, loin s’en faut.
Pour certains observateurs des relations internationales, l’annulation, le gel ou le moratoire sur la dette publique africaine n’est qu’un élément dans le conflit qui oppose l’occident à la Chine.
A la suite du truculent président américain Donald Trump, certains médias globaux tiennent à ce que la Chine «paie» pour cette crise sanitaire. L’intention des occidentaux d’alléger les Africains du fardeau de la dette qu’ils ont contractée apparaît à cet égard comme une tentative d’embarrasser les Chinois.
Certes, cela rendra service aux Africains, mais l’objectif primordial est de pénaliser les Chinois qui ont prêté plus d’argent aux Africains, en échange de parts de marchés et surtout avec la conviction que leurs prêts seraient garantis par les Occidentaux, qui réassurent en permanence les Africains. Si les Occidentaux se retirent du jeu, les Chinois seront en porte-à-faux et obligés de payer l’addition pour rester sur un terrain qui s’avère des plus lucratifs.
L’explication s’inscrit dans les subtilités de la géopolitique post coloniale en Afrique.
Dans le contexte international très tendu, pareille décision des Occidentaux ne peut être sans arrière-pensée. Si la Chine est considérée par les dirigeants internationaux, américains, anglais et français, comme responsable même involontaire de la crise sanitaire et économique provoquée par le Covid-19, on a bien compris qu’en annulant les dettes africaines, l’idée fondamentale est de faire payer l’Empire du Milieu.
Emmanuel Macron, le président de la République française l’avait subrepticement laissé entendre dans une de ses allocutions de la semaine dernière : «Nous devons aussi savoir aider nos voisins d’Afrique à lutter contre le virus plus efficacement, les aider aussi sur le plan économique en annulant massivement leur dette».
C’est la Chine qui détient plus d’un tiers de la dette africaine. Une dette estimée à 14 milliards USD pour le compte de la seule RDC. Avec ses capitaux, la Chine a capté les marchés en offrant des conditions très avantageuses avec des taux d’intérêt à zéro mais en contrepartie de garanties sur les matières premières, les infrastructures et la présence d’entreprises chinoises. Cela étant, tout le monde se tient, parce que si le modèle africain tient la route grâce aussi aux garanties des Occidentaux qui viennent sécuriser les trésoreries.
Se retirer pour piéger les Chinois
L’Afrique va donc rester un terrain de bataille pour les puissances en quête d’hégémonie mondiale. La crise sanitaire va accroître les besoins d’aide. La Chine a pour l’instant été très active en fournissant à l’Afrique du matériel médical dont des respirateurs. Mais les Etats africains vont bientôt avoir besoin de financements sonnants et trébuchants pour leurs plans de relance. Les 15 milliards d’Euros promis par l’Union européenne ne sont à cet égard qu’une goutte d’eau dans l’océan des besoins de ce grand continent, comparés aux 2.000 milliards d’Euros que l’Union européenne va mobiliser pour échapper à la catastrophe.
Les Africains seraient bien inspirés de ne pas renoncer par un conformisme naïf de recourir à la Chine qui, elle, n’a pas d’autres choix que de faire l’effort de sauver ses participations. Sauf que cette fois-ci, la demande va être gigantesque. Comme le dit un vieil adage, «si tu empruntes un peu d’argent, le banquier te tient et t’empoisonne la vie. Si tu lui empruntes beaucoup, c’est toi qui le tient et qui l’empêche de dormir ».
Qui paiera l’addition ?
À elle seule, la dette publique externe des pays de l’Afrique subsaharienne s’élevait à près de 400 milliards USD en 2018. Le FMI a accordé un allègement de cette dette à 19 d’entre eux sur requête des présidents sénégalais et français et du Pape François. Aujourd’hui, c’est le G20 qui émet sur la même longueur d’ondes. Mais, il y a déjà 10 ans, la France et plusieurs autres partenaires avaient drastiquement annulé cette dette, sans conséquences significatives sur la croissance et le bien-être des Africains. Emmanuel Macron a fait accepté à ses pairs un moratoire qui pourrait permettre aux pays bénéficiaires de souffler après le Coronavirus. «En cette période de crise mondiale, la solidarité doit prévaloir, et la France prendra sa part», a-t-il assuré la semaine dernière. Avant de renchérir :«Nous devons savoir aider nos voisins d’Afrique à lutter contre le virus plus efficacement, à les aider aussi sur le plan économique en annulant massivement leurs dettes». Un appel qui rejoint celui lancé quelques heures plus tôt par le souverain pontife, qui demandait lui aussi de réduire voire effacer l’ardoise des budgets les plus pauvres. Leur message a, semble-t-il, été entendu par les ministres des Finances et les banquiers centraux du groupe G20 qui ont donné leur aval mercredi à une suspension immédiate et pour une durée d’un an de la dette de 76 États, dont 40 d’Afrique subsaharienne. Un geste qui libère 20 milliards USD de liquidités.
Confrontée à son tour à l’épidémie de Covid-19, l’Afrique se retrouve face à un défi conséquent, tant sanitaire que socio-économique. Elle devra faire face à une récession économique jamais égalée même si à ce jour, elle reste le continent le moins touché par la pandémie.
Comment s’explique cette dette alors que ce continent regorge des ressources naturelles les plus importantes de la planète ? Restituer les réserves des pays africains de plus de 500 milliards d’euros détenus à la Banque de France aurait résolu plus de la moitié des besoins financiers des pays africains estiment certains analystes financiers. « Si la France veut aider l’Afrique, qu’elle restitue les réserves financiers de 500 milliards USD des pays africains qu’elle détient à la banque de France. Les pays africains doivent déposer leurs réserves financières auprès de la Banque de France? », clame Camille Ouedraogo du mouvement citoyen sénégalais «Balai Citoyen». Selon lui, la France retient les réserves financières de quatorze pays africains depuis 1961 : Bénin, Burkina Faso, Guinée Bissau, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal, Togo, Cameroun, République Centrafricaine, Tchad, Congo-Brazzaville, Guinée Equatoriale et Gabon. La gouvernance des politiques monétaires de ces Etats reste ainsi asynchrones et incomplètes du fait qu’elles sont pilotées directement par le gouvernement français, sans une implication suffisamment responsable des autorités financières des pays tels que la CEMAC ou la CEDEAO.
Ainsi, du fait des conditions qui lient les banques de ces zones économiques et financières, elles sont obligées de garder 65% de leurs réserves de change dans un compte d’opérations tenu par le Trésor Français, ainsi que 20% supplémentaire afin de couvrir «les risques financiers». Une autre figure du néocolonialisme qui appauvrit le continent.
AM