Nous sommes en train d’atteindre ce moment crucial où l’hyperpuissance américaine en déclin se met à douter d’elle-même. La très patriotique presse américaine se charge de le révéler en relatant ce que Jimmy Carter, 96 ans, président des Etats-Unis entre 1977 et 1981, a dit à Donald J. Trump lors d’une récente entrevue.
L’actuel locataire de la Maison-Blanche avait invité son prédécesseur pour parler de la Chine avec laquelle Carter avait établi des relations diplomatiques. Lors d’une assemblée de l’Eglise baptiste en Géorgie dont il est un fervent adepte, Carter a rendu publique la teneur de leur entretien.
A l’heure du Covid-19 et des pressions américaines sur les autorités de la RDC au nom d’une pseudo lutte contre la corruption et l’impunité, ses propos méritent d’être médités au pays de Lumumba.
« Vous craignez que la Chine devienne plus puissante que nous (USA, NDLR). Je suis d’accord avec vous. Mais savez-vous pourquoi la Chine est en train de nous dépasser? J’ai normalisé les relations diplomatiques avec Pékin en 1979. Depuis cette date, pas une seule fois la Chine n’a été en guerre avec qui que ce soit alors que nous, nous sommes constamment restés en guerre. Les États-Unis sont la nation la plus belliqueuse de l’histoire du monde, parce qu’ils désirent imposer leurs valeurs aux autres pays. La Chine, elle, investit ses ressources dans des projets tels que les chemins de fer à grande vitesse au lieu de les consacrer à des dépenses militaires. Combien de kilomètres de chemin de fer à grande vitesse avons-nous aujourd’hui dans ce pays ? Nous avons gaspillé 3.000 milliards de dollars en dépenses militaires. La Chine n’a pas gaspillé un seul centime pour faire la guerre. C’est pourquoi elle est en avance sur nous dans presque tous les domaines. Et si nous avions investi les 3.000 milliards de dollars dans des infrastructures en Amérique, nous aurions des chemins de fer à grande vitesse, des ponts qui ne s’effondrent pas, des routes en bon état. Notre système éducatif serait aussi bon que celui de la Corée du Sud ou de Hong Kong », a dit Jimmy Carter à Trump.
Qu’un tel bon sens n’ait jamais effleuré l’esprit d’un dirigeant américain au cours de ces dernières années en dit long sur la nature du pouvoir dans ce pays. Il est sans doute difficile, pour un Etat qui se glorifie de totaliser à lui seul 45 % des dépenses militaires mondiales et qui dispose de 725 bases militaires à l’étranger, un Etat dans lequel les industriels de l’armement contrôlent les rouages du pouvoir et déterminent une politique étrangère responsable de plus de 20 millions de morts depuis 1945, d’interroger son rapport pathologique avec la violence armée. Martin Luther King disait déjà que « La guerre au Vietnam, est le symptôme d’une maladie de l’esprit américain dont les piliers sont le racisme, le matérialisme et le militarisme ».
La question concerne maintenant l’avenir. Par la faute de leurs dirigeants, les USA sont quasi inéluctablement condamnés à connaître le sort de ces empires qui ont sombré à cause du péché d’orgueil et des ambitions démesurées de leurs dirigeants qui contribuent bon an mal an à plomber leurs dépenses militaires. A la fin de son mandat, en 1961, un autre président américain, Dwight David Eisenhower, qui savait de quoi il parlait ayant été le commandant en chef des forces armées alliées Occidentales contre l’Allemagne nazie et les puissances de l’Axe en 1945, dénonçait avec des accents prophétiques « le complexe militaro-industriel qui fait peser une chape de plomb sur la société américaine ». Mais pas plus que Trump ou Obama, il ne s’est soucié du sort des populations affamées, asservies, envahies ou bombardées par l’Oncle Sam au nom d’une conception utilitaire de la démocratie et des droits de l’homme (c’est lui donna l’ordre d’éliminer politiquement et physiquement le leader indépendantiste Patrice Lumumba coupable d’avoir sollicité l’aide de l’Union soviétique pour stabiliser son pays). A l’instar de Jimmy Carter aujourd’hui, il pressentait sans doute que la course aux armements serait la principale cause du déclin de l’empire américain.
Les néoconservateurs et autres « Docteur Folamour» du Pentagone, depuis plusieurs décennies, n’ont pas seulement fait rimer démocratie libérale et massacres de masse au Vietnam, au Laos, au Cambodge, en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, ou des tueries sans états d’âme à l’ombre de la CIA et ses succursales dans des pays comme le Congo, de l’extermination de la gauche indonésienne (500.000 morts) aux exploits des escadrons de la mort guatémaltèques (200.000 morts) en passant par les bains de sang exécutés pour le compte de l’empire par les lobotomisés du djihad planétaire. Les théoriciens de l’endiguement du communisme à coups de napalm, puis les apprentis-sorciers du « chaos constructif » par importation de la terreur n’ont pas seulement mis la planète à feu et à sang. Marionnettes des suprématistes militaristes, ces bellicistes qui ont pignon sur rue au Congrès, à la Maison-Blanche et dans les ‘’think tanks’’ néo-cons ont également plongé la société américaine dans un marasme que masque à peine l’usage frénétique de la planche à billets.
Car si le bellicisme des Etats-Unis est une des manifestations les plus évidentes de leur déclin, il en est aussi la cause. Il en est la manifestation, parce que pour enrayer ce déclin, la brutalité des interventions militaires, des sabotages économiques et des opérations sous des fallacieuses bannières démocratiques ou humanitaires reste la marque de fabrique de la politique étrangère US.
Il en est la cause dans la mesure où l’inflation démentielle des dépenses militaires sacrifie le développement d’un pays où tout est fait pour que les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus nombreux.
Alors que la Chine investit dans les infrastructures civiles qui profitent à tous, les Etats-Unis laissent les leurs à l’abandon au profit de traders de Wall Street et des industries de l’armement.
Le Coronavirus a révélé que Washington roule les mécaniques hors de ses frontières mais laisse le pays se déliter à l’intérieur. Le PIB par habitant du pays est colossal, mais plus de 20% de sa population croupit dans la pauvreté. Les prisons sont pleines avec un nombre de détenus estimé à plus de 25% des prisonniers de la planète. 40% de la population y est frappée par l’obésité. L’espérance de vie des Américains est de 79,6 ans mais Cuba, petit pays socialiste, soumis à l’embargo, fait mieux que cette gigantesque puissance capitaliste qui ne cesse de lui faire la nique avec une espérance de vie estimée à 80 ans. Parce que du point de vue de ceux qui décident à Washington, la santé de l’Américain lambda n’est pas la priorité…
Habile compétiteur, Donald Trump a gagné les élections en 2016 en promettant de restaurer la grandeur des Etats-Unis et en prenant l’engagement de rétablir les emplois perdus à cause d’une mondialisation débridée. Les résultats obtenus, faute de réformes structurelles, infligent une douche froide à ses ardeurs. Le déficit commercial avec le reste du monde a explosé en 2018, battant un record historique (891 milliards de dollars), pulvérisant celui de 2017 (795 milliards). Donald Trump a complètement échoué à inverser la tendance, et avec la pandémie du Coronavirus, les deux dernières années de son administration risquent bien d’être les pires, en matière commerciale, de l’histoire des États-Unis. L’économie ne ment pas comme l’a écrit Guy Sorman. Dans ce déficit global, le déséquilibre des échanges avec la Chine pèse très lourd car il a atteint en 2018 le record historique de 419 milliards, un chiffre qui dépasse de loin le bilan déjà jugé désastreux de 2017 (375 milliards). La guerre commerciale engagée par Trump a eu comme conséquence paradoxale d’aggraver sensiblement le déficit commercial américain : alors que les exportations de produits chinois vers les USA continuaient de croître (+7%), l’empire du milieu a, au titre de mesures de réciprocité (ou représailles c’est selon) réduit ses importations en provenance des Etats-Unis dans une proportion beaucoup plus élevée. Le président Trump a voulu utiliser l’arme tarifaire pour rééquilibrer le bilan commercial des Etats-Unis. Une mesure légitime, mais irréaliste pour un pays qui a lié son destin à une mondialisation dictée par des firmes transnationales US dont la Chine était devenue l’usine…
L’économie ne ment pas
Si l’on ajoute que le déficit commercial avec l’Europe, le Mexique, le Canada et la Russie s’est également aggravé, on mesure les difficultés qui assaillent l’hyperpuissance en déclin. Mais ce n’est pas tout. Outre le déficit commercial, le déficit budgétaire fédéral s’est creusé (779 milliards de dollars en 2018 contre 666 milliards en 2017).
Il est vrai que l’envol des dépenses militaires s’est révélé impressionnant. Le budget du Pentagone pour 2019 est le plus élevé de l’histoire des Etats-Unis : 686 milliards de dollars. La même année, la Chine n’a consacré que 175 milliards de dollars à ses dépenses militaires, avec une population quatre fois supérieure (300 millions d’habitants aux USA contre 1 milliard 200 millions en Chine). Normal que la dette fédérale aux Etats-Unis ait battu un nouveau record, atteignant 22.175 milliards de dollars. Quant à la dette privée, celle des entreprises et des particuliers, elle a de quoi donner le vertige : 73.000 milliards USD !
Certes, les USA bénéficient d’une rente de situation exceptionnelle. Le dollar est encore la monnaie de référence pour les échanges internationaux et pour les réserves des banques centrales. Mais ce privilège n’est pas éternel. La Chine et la Russie remplacent de plus en plus leurs réserves en dollars par des lingots d’or et une part croissante des échanges est désormais libellée en yuans. Les Etats-Unis vivent littéralement à crédit aux dépens du reste du monde. Pour combien de temps encore ?
Selon la dernière étude du cabinet d’audit PwC intitulée « Le monde en 2050: comment l’économie mondiale va changer ces 30 prochaines année », les “pays émergents” (Chine, Inde, Brésil, Indonésie, Mexique, Russie, Turquie) pourraient peser 50% du PIB mondial en 2050, tandis que la part des pays du G7 (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Japon) descendrait à 20%.
Si ce n’est pas encore la chute définitive de l’aigle, cela y ressemble fort.
Bruno Guigue
Analyste politique