Les prétentions des médias « globaux » majoritairement enfouis dans la vieille Europe avec des relais en Afrique à être dépositaires de « la » Vérité qu’ils nous font gober quotidiennement à travers de doctes et omniscients ‘‘correspondants’’ et ‘‘experts’’ sont mises à mal avec l’affaire du député Brazza-congolais Denis Christel Sassou Nguesso. En effet, depuis le 6 février courant, l’AFP, RFI, l’Express.fr, Le Monde.Afrique etc. avaient relayé abondamment une information de Challenges.fr selon laquelle ce fils du président de la République du Congo Denis Sassou Nguesso avait été mis en examen en décembre 2019 pour « blanchiment d’argent et détournement de fonds publics » dans une affaire de « biens mal acquis ». Sans prendre en compte le démenti de l’avocat de ce dernier indiquant que son client n’avait été ni mis en examen, ni même convoqué par le juge d’instruction dans le cadre de cette enquête.
Pour la médiacratie occidentale, la messe était dite : dès lors que sur une dénonciation de l’ONG Transparency International en décembre 2018 une enquête était ouverte en France sur les les conditions d’acquisition du patrimoine des présidents africains Denis Sassou Nguesso, Omar Bongo Ondimba et Teodoro Obiang Nguema, tout était possible…
Le sensationnalisme assaisonné de racisme dans le traitement et la diffusion des informations sur l’Afrique et les africains de la plupart des médias globaux trahissent en fait leur fausse neutralité. Ils n’hésitent pas à déformer les faits et, au besoin, à manipuler l’opinion publique en transformant des rumeurs en faits avérés sur fond de chantages politico-idéologiques. Dans le cas d’espèce, c’est moins le souci d’informer sur des pratiques d’enrichissement illicite de certains dirigeants africains au détriment de peuples paupérisés qu’un moyen de pression pour influencer les élites du continent réfractaires au maintien des rapports scandaleusement léonins existant entre leurs pays et les anciennes métropoles coloniales qui fondent la démarche. La récente condamnation de Téodorin Obiang Nguema à une « amende » de plus de 30 millions d’Euros assortie de la confiscation de l’ensemble de ses biens saisis, dont un somptueux hôtel particulier avenue Foch à Paris, sans qu’aucun dispositif du jugement ne prévoit la remise des fonds et biens y relatifs au peuple de Guinée Équatoriale indique qu’il s’agit d’une nouvelle manœuvre de dépossession de l’Afrique au profit de la France. L’agression caractérisée de l’OTAN et de la France contre la Libye illustre à suffisance le rôle de la médiacratie manipulatrice de l’opinion publique au profit d’intérêts prédateurs de l’impérialisme. Alors qu’il offrait à son peuple un niveau de vie meilleur qu’en Europe, le régime du guide libyen Mouammar Kadhafi avait été présenté dans les médias globaux comme un enfer qu’il fallait absolument mettre hors d’état de nuire. En réalité ce sont les tombeurs du colonel Kadhafi qui, dans l’unique but de s’emparer des ressources pétrolières de la Libye, ont fait de ce pays africain un enfer pour son malheureux peuple et les peuples du sahel voisin.
La 56e conférence sur la sécurité tenue à Munich (Allemagne) la semaine dernière s’est focalisée sur le thème révélateur du « westernessless », en référence à l’affaiblissement de l’Occident (désoccidentalisation) face à l’émergence de nouvelles puissances comme la Chine ou l’Inde. L’émiettement de l’influence des « maîtres autoproclamés du monde » à travers les controverses entre Américains et Européens, voire entre Européens eux-mêmes (Brexit) y ont dominé les discussions au cours desquelles les désaccords se sont multipliés. Ce qui a conduit le président français Emmanuel Macron à déplorer « un affaiblissement de l’Occident dans le monde » du fait de l’assaut sur ses valeurs de plus en plus « bousculées » par l’isolationnisme de l’Amérique de Donald Trump. L’Afrique devrait se concentrer sur les voies et moyens d’éviter de ne servir que de bouée de sauvetage à ceux qui, à partir du vieux continent, tentent désespérément de s’accrocher à elle pour éviter, amortir ou retarder leur déclin à ses dépens et qui la manipulent à cette fin par médias interposés. En 2002 déjà, un stratège français Sylvain Timsit a mis en évidence quelques stratégies de manipulation médiatique face auxquelles les africains devraient prendre garde :
– La distraction : qui consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants. Par exemple, en l’inondant de nouvelles qui distraient et informent sur des questions banales ou moins pertinentes socialement. Le but est de garder l’esprit des personnes occupé. De cette façon, les individus finissent par « prioriser » ce que proposent ces médias au détriment d’autres problèmes sur lesquels les informations ne sont pas divulguées et qu’ils finissent par oublier ;
– La manipulation médiatique : qui s’effectue par le lancement d’un « poisson-pilote » en politique. Autrement dit pour tester la population en diffusant des rumeurs ou des idées les plus saugrenues pour évaluer leur réceptivité par les individus. Son analogue médiatique consiste à créer un problème pour plus tard, en se basant sur la réponse du public, le résoudre et s’ériger en sauveurs ;
– La gradualité : consistant à manipuler les citoyens de telle sorte qu’ils finissent par accepter des décisions socialement injustes. Il s’agit d’une manipulation progressive, réalisée petit à petit, au fil des ans, d’une sensibilisation à doses infinitésimales de l’opinion à la « grande nouvelle » dont l’annonce brusque aurait indubitablement provoqué une réaction négative ;
– La temporisation : différer des décisions impopulaires pour ne les présenter que le moment venu comme «nécessaires », « pour un meilleur avenir » ou « pour notre propre bien » en faisant croire au public que ses sacrifices entraîneront plus tard une grande amélioration. Ainsi, les citoyens s’habituent à vivre de manière insatisfaisante. Et par effet d’accoutumance, ils finissent par normaliser des circonstances marginales. À l’avenir, la population s’en trouvera résignée et sans capacité d’exiger ce pour quoi elle s’était battue jusque-là.
– L’infantilisation : plus la prétention à manipuler les individus est grande, plus le ton utilisé à cet effet est infantilisant. Les médias globaux s’adressent souvent au public comme à des enfants dépourvus de sens critique. Les arguments, personnages ou intonations sont édulcorées et traitent le public comme s’il manquait de maturité. L’objectif est de rechercher une réaction soumise et docile de tous.
– L’émotion : l’aspect émotionnel est beaucoup plus puissant que la réflexion objective. Et les médias mondiaux font appel à cette dimension affective et sensible que nous portons tous en nous. Ainsi, ils limitent le sens critique des citoyens et contrôlent leur raisonnement. Rappelons-nous à quel point la peur est puissante et comment elle est capable de mobiliser les individus pour une cause supposée « supérieure ».
– L’ignorance et la médiocrité : les médias mondiaux réduisent autant que possible l’accès de leur public à la vie intellectuelle et à la culture. Isoler les individus de toutes sortes de savoirs et de connaissances permet de les manipuler plus facilement et de les empêcher d’adopter des attitudes d’insubordination ou de rébellion. L’information est le pouvoir ;
– La stimulation : étroitement liée à la précédente, c’est une stratégie de manipulation médiatique qui passe souvent inaperçue. Ainsi, les programmes proposés à la télévision répondent moins aux goûts des citoyens qu’à la ligne éditoriale des médias. Le public est pratiquement hypnotisé par le consumérisme et la banalité. Il ne s’inquiète pas de ce qui se passe réellement parce qu’il est entraîné, habitué, à une médiocrité complaisante ;
– L’auto-culpabilité : les médias font croire que les gens sont eux-mêmes responsables de leurs malheurs. Et que c’est leur faible capacité qui les rend misérables et infructueux. Ils cherchent l’auto-incrimination à travers l’auto-culpabilisation et rendent ainsi inactive toute mobilisation sociale.
Pour être en mesure de contrôler, il est nécessaire de connaître. Et les oligarchies actuelles se sont parfaitement occupées de cela. En l’espèce, les campagnes comme celle odieuse autour des « biens mal acquis » par quelques dirigeants africains procèdent de stratégies savamment élaborées sur pied des avancées psychologiques, sociales et technologiques qui permettent à des entités impériales voulant élaborer leurs projets stratégiques de savoir comment chaque individu pense et perçoit le monde environnant. Le « système » connaît bien les revendications des descendants des peuples colonisés d’Afrique et grâce à son pouvoir médiatique, il essaie de les en détourner par diverses manipulations à sa convenance.
Alfred Mote