Maître Omar Kavota du Centre d’Etudes pour la promotion de la Paix, la Démocratie et les Droits de l’homme (CEPADHO) de Beni ne décolère pas. Il le dit au sujet du dernier séjour à Kinshasa de Peter Pham, Envoyé spécial de l’administration américaine pour la région des Grands Lacs. En dénonçant une diplomatie du business plutôt qu’au service de la stabilisation de la sous-région. Pham était accompagné par une firme US venue signer des accords d’une valeur d’1 milliard USD à investir dans divers secteurs de la vie nationale. « Certes ces investissements viennent en appui au programme du gouvernement dans différents secteurs d’activités de cette entreprise américaine mais les relations interétatiques ne peuvent souffrir pareilles improvisations à la limite de l’imposture», déclare l’avocat nord-kivutien qui exprime son dépit face à cette façon de procéder. «L’objet réelle du dernier séjour de M. Pham à Kinshasa s’inscrit manifestement hors de son mandat dans la région des Grands Lacs», estime notre interlocuteur qui rappelle que lors de son séjour à Londres en janvier dernier, le président de la RDC, Félix Tshisekedi avait, sur pied des informations portées à sa connaissance par les canaux diplomatiques officiels, annoncé plutôt la visite dans son pays du patron de Peter Pham, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo. « Il n’est pas acceptable que par la suite, sans aucune explication sérieuse, le diplomate américain se contente lors d’un entretien avec la presse congolaise de faire mentir le numéro 1 congolais en prétendant fallacieusement qu’il n’avait jamais été question d’un voyage à Kinshasa du secrétaire d’Etat Pompeo », a-t-il ajouté. Cette déclaration de Peter Pham selon laquelle Kinshasa n’était pas prévu dans le programme de la mini tournée africaine de Pompeo en a surpris plus d’un à Kinshasa. « Mais le plus révoltant est que cet envoyé spécial dont le mandat consiste à coordonner la politique américaine sur les questions transfrontalières, de sécurité, de politique et d’économie dans cette région avec un intérêt particulier sur le renforcement de la société civile et la mise en place d’institutions démocratiques se soit retrouvé à la tête d’une mission d’affaires privée », s’est insurgé l’avocat. Pour lui, le mandat de Peter Pham tire sa justification dans la situation d’instabilité et la détérioration des conditions de sécurité dans la région des Grands Lacs depuis ces deux dernières décennies. « Notre espoir était qu’après avoir été souvent mis en cause, à tort ou à raison, dans un rôle néfaste pour l’unité de la RDC, Monsieur Pham allait mettre à profit son mandat d’Envoyé spécial pour faire oublier cette image négative et œuvrer à réaliser des avancées, notamment par des pressions sur toutes les parties pour l’accomplissement des engagements convenus, notamment dans l’accord-cadre d’Addis-Abeba». Et de noter que si, à ce jour, Kinshasa a marqué des progrès dans ce cadre, il n’en est pas de même pour certains autres partenaires de cet accord-cadre comme l’Ouganda et le Rwanda qui continuent à héberger des groupes terroristes recherchés par la justice congolaise, contribuant ainsi à entretenir l’activisme déstabilisateur de l’Est de la RDC. Pour le vice-président du CEPADHO, les populations du Nord-Kivu avaient espéré que l’apport du nouvel émissaire américain allait être déterminant pour lutter contre le terrorisme islamiste qui a pris corps et s’étend comme un cancer sur cette partie de la partie septentrionale du Congo-Kinshasa sont en train de déchanter. « Nul n’ignore que le groupe djihadiste ADF/MTM qui a tué à ce jour plus de 3.500 civils innocents dans la ville de Beni et alentours (un peu plus que le nombre des victimes des attentats terroristes du World Trade Center aux USA) ont fait allégeance à l’État Islamique, qu’ils recrutent dans leurs rangs des supplétifs dans tous les États de la région auprès desquels M. Peter Pham a été accrédité comme l’Ouganda, le Burundi, le Rwanda, le Kenya, la Tanzanie et la RDC dans le but avoué d’établir un califat à Beni au Nord-Kivu. Mais nous ne constatons de sa part qu’une cynique indifférence devant cette réalité alors que les USA se battent contre l’Etat Islamique en Syrie et ailleurs dans le monde » a martelé Me Kavota qui est d’avis que le fait pour M. Pham de se complaire dans l’accompagnement d’investisseurs privés au lieu d’alerter Washington sur la menace terroriste dans la région où il est envoyé constitue au minimum un manquement extrêmement grave à ses devoirs. « Les quelques activités à caractère politique auxquelles il s’est livré, notamment ses rencontres avec des acteurs politiques comme le nouveau président de la République Félix Tshisekedi, son gouvernement, l’ancien président Joseph Kabila aujourd’hui chef de la majorité parlementaire, les opposants et les représentants de la société civile, me donnent l’impression de n’être qu’une manière de couvrir ce qui semble être la priorité de son agenda : les affaires. Business as usual », accuse Kavota. Et de ramener à la surface le profil de Peter Pham et ses opinions concernant la RDC : « Après tout M. Pham est de ceux qui, aux Etats-Unis, ont toujours considéré notre pays comme un Etat ‘’fictif et artificiel’’ ; un pays en proie à des poussées séparatistes dans ses frontières héritées de la colonisation. Peut–être ceci explique-t-il cela ? », conclut-il. Dans une tribune qu’il avait signée en 2012 dans les colonnes du New York Times intitulé ‘’To save Congo, let it fall apart’’ (‘’pour sauver le Congo, laissez-le se déliter’’) Peter Pham considérait que la RDC était un pays trop vaste qu’il faut partitionner. Pour lui, en effet, cette balkanisation de la RDC permettrait à la communauté internationale d’affecter ses ressources au développement et à l’aide humanitaire à de petites entités gérables et viables et non au maintien de la sécurité dans un grand ensemble difficile à contrôler efficacement. « Qu’est-ce donc qui aurait changé dans ses positions pour qu’aujourd’hui nous puissions croire qu’il peut mener à bien une mission de pacification de ce pays dans la région des Grands Lacs pour créer les conditions d’assistance humanitaire et de développement ? », s’interroge Kavota. On aurait au moins espéré qu’au-delà du discours, les USA apportent une assistance à la RDC pour la mise en place des instruments nécessaires à la promotion de la bonne gouvernance, notamment par la lutte contre la corruption. Plutôt, Peter Pham a préféré coacher un investisseur privé certainement pour des intérêts personnels. La menace de balkanisation du pays de Lumumba, longtemps dénoncée par l’ancien président Joseph Kabila, à l’époque même où Peter Pham en faisait l’apologie, se précise aujourd’hui de manière assez inquiétante. « Pendant que les Forces armées de la RDC la combattent farouchement avec le soutien de la population et des média, nous avons toutes les raisons de nous inquiéter de voir le gouvernement américain, à travers des officiels comme M. Peter Pham, jouer désormais une autre partition en prétextant la présence dans les rangs de la vaillante armée gouvernementale d’officiers déclarés unilatéralement ‘’indésirables’’ hors de toute procédure disciplinaire ou judiciaire par lui-même à travers l’Office of assets control (OFAC) pour justifier son immobilisme et sa politique de non assistance à peuple en danger » s’insurge Maître Kavota qui appelle les Congolais de toutes les tendances et de toutes les couches à savoir situer leurs vrais intérêts dans les relations internationales sans se laisser manipuler par un angélisme de mauvais aloi dans des ouvertures diplomatiques dont le pays ne tire aucun dividende. L’homme du CEPADHO plaide pour que, « en toute chose, nos dirigeants doivent songer à préserver la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale pour espérer continuer à diriger dignement ce pays, sans diktat de qui que ce soit. Ainsi que le répétait à maintes reprises l’ancien Président Joseph Kabila en son temps, ce pays a certainement besoin des conseils pour aller de l’avant, mais surtout pas d’injonctions. A cela nous pouvons ajouter que la RDC a besoin de connaître réellement qui sont ses vrais amis sur lesquels il peut compter. A mon humble avis, Peter Pham est, en tout cas, loin d’en être un ». Dont acte.
JN