Ituri, Haut Lomami, Kasaï Oriental, Sankuru, Kongo Central… C’est le boomerang du péché originel. Il pleut des motions de défiance et des sommations de démission sur les gouverneurs d’au moins 5 provinces. Le président de la République Félix Tshisekedi s’en est inquiété aussi bien dans sa communication au Conseil des ministres du 6 décembre dernier que dans son mot d’ouverture du Forum d’évaluation de la décentralisation 11 jours plus tard. En fait chaque province a sa spécificité. Si au Kasaï Oriental et dans une moindre mesure au Sankuru voisin, le ‘casus belli’ réside dans l’incompétence avérée du gouverneur Maweja incapable, selon un élu provincial joint à Mbuji Mayi, de poser le moindre acte de gestion de ses hautes responsabilités et de son collègue Mukumadi qui a préféré sécher carrément la séance de présentation de son programme pour recevoir l’investiture légale de l’Assemblée provinciale, imprimatur incontournable pour entamer son mandat, préférant accompagner une équipe de partenaires au développement d’un évêque catholique de sa juridiction pour montrer à la population de sa juridiction qu’il amenait « des blancs pour développer la province » (sic !), dans l’Ituri, le Haut Lomami et le Kongo Central, on se trouve en face de motions de défiance votées par les assemblées pour des présomptions de prévarication à charge des chefs des exécutifs provinciaux. Le président de la République Félix Antoine Tshisekedi a indexé les attitudes capricieuses des Assemblées provinciales dont les membres cherchant simplement à s’en mettre plein les poches au détriment du trésor public mettraient la pression sur les gouverneurs à cette fin. Un point de vue que ne partage pas Richard Muyej Mangez, le gouverneur du Lualaba, l’une des provinces les plus riches, et les plus stables, du pays qui dans son intervention au forum d’évaluation de la décentralisation a mis l’accent sur la nécessité de revisiter la loi sur la libre administration des provinces. Il est d’avis que dans la situation vaudevillesque observée ces jours dans certaines provinces, les fautes sont partagées entre les organes délibérants et certains de ses collègues (gouverneurs) qui ont tendance à déconsidérer leurs assemblées provinciales et à violer les textes des lois régissant les provinces.
Guéguerre assemblées provinciales – gouverneurs
Un spécialiste de droit public de l’Université catholique du Congo interrogé par nos rédactions donne raison à Muyej. « L’explication du chef de l’Etat sur les causes de la mauvaise ambiance dans quelques provinces me paraît quelque peu superficielle et n’est vraie qu’à moitié », estime-t-il. « Dans la plupart de ces situations, on se trouve face à l’effet boomerang d’une sorte de péché originel car, à l’exception du Kasaï Oriental et plus ou moins l’Ituri, la spécifité de ces provinces instables est d’avoir des gouverneurs élus en totale inadéquation avec les majorités siégeant dans les assemblées provinciales, lesquelles, faisant fi de toute moralité politique avaient décidé de vendre leurs voix au plus offrant au lieu de voter des candidats désignés par les formations politiques dont ils sont issus », explique-t-il en prenant pour exemple le Haut Lomami et le Sankuru où les candidats « indépendants » Lenge et Mukumadi étaient en réalité des membres de Lamuka et de CACH qui ont circonvenu des assemblées très largement composées de députés du FCC pour les détourner des mots d’ordre de leur plateforme contre espèces sonnantes et trébuchantes. Quant au Kongo Central, le retrait de la confiance du FCC du fait du scandale sexuel dans lequel il s’était trouvé impliqué avec son assistante et son vice-gouverneur semble avoir jeté Atou Matubuana dans les bras de CACH. La décision du ministre de l’Intérieur du gouvernement central, issu de cette plateforme, de prendre fait et cause pour ces gouverneurs en rupture de ban et qui ont, circonstances aggravantes, utilisé la force publique pour empêcher l’organe délibérant en session de siéger, entraînant des mesures de délocalisation, confirme cette thèse.
Effet boomerang d’un péché originel
On a beau jeu dans les allées du pouvoir au Palais de la Nation et au ministère de l’Intérieur du gouvernement central d’accuser les « tireurs de ficelles » auteurs de règlements de comptes par des motions de défiance injustifiées contre de vertueux gouverneurs de provinces qui seraient de la sorte « harcelés ». Le vrai problème est ailleurs, selon l’expert : « toute prestation politico-institutionnelle est en principe un tir de ficelles et un règlement de comptes. Cela s’appelle redevabilité. Par ailleurs, le gouvernement central a trop souvent tendance à interférer pour interrompre le travail des assemblées provinciales sur lesquelles la loi ne lui accorde aucune ascendance. L’article 65 de la Loi sur la libre administration des provinces ne reconnaît au gouvernement central qu’un pouvoir sur le gouverneur mais seulement dans l’exercice de sa mission de représentation du gouvernement central et de coordination des services publics déconcentrés », précise-t-il. Les convocations intempestives par le ministère de l’Intérieur des gouverneurs «accompagnés des présidents des assemblées provinciales» pour résoudre des matières autres que celles relatives à la mission de représentation du gouvernement central et de coordination des services publics déconcentrés pour lesquels les (seuls) gouverneurs répondent de leurs actes devant le gouvernement central sont donc en marge de la loi en vigueur.
Sur le site Legrandcongo, un internaute, Thierry Kasongo, a sévèrement flagellé les assemblées provinciales pour leur propension à « ne pas laisser aux gouverneurs qu’elles ont élu la latitude de mettre en application leurs programmes pour appuyer l’action du gouvernement central et même du président de la République ». Mais quid lorsque, comme pour le Haut-Lomami ou le Sankuru, le gouverneur refuse délibérément de présenter son programme à l’approbation de l’Assemblée provinciale en comptant sur l’intervention du vice-premier ministre en charge de l’Intérieur pour le mettre à l’abri de cette épreuve constitutionnelle ? Le même internaute appelle le chef de l’Etat et le gouvernement central à intervenir pour sauver des gouverneurs qu’il estime livrés à la vindicte et aux caprices des présidents des assemblées provinciales mais sans préciser en quoi faisant. Il invoque surabondamment les articles 19 alinéa 3 et 61 point 5 de la Constitution relatifs aux droits de la défense. Mais passe à la serpillière l’article 198 (6°) de la même Constitution en vertu duquel « avant d’entrer en fonction, le Gouverneur présente à l’Assemblée provinciale le programme de son Gouvernement ».
Pour autant, les Assemblées provinciales ne sont pas blanches comme neige. Il s’y passe souvent des choses peu ragoutantes et le chef de l’Etat a raison de s’en inquiéter. Mais la solution n’est certainement pas de s’écarter du strict prescrit des textes constitutionnels et légaux. La première chose à faire pour le président de la République serait de donner à la Justice les moyens d’éradiquer la corruption au sein de ces institutions. Il en avait pris la résolution après les élections controversées des sénateurs mais la suite n’a pas été à la hauteur de cet engagement.
Le deuxième pallier d’intervention, plus radicale pour ne pas dire révolutionnaire, serait la dissolution en respectant les procédures prévues par la constitution, des assemblées qui s’avèreraient incapables de se mettre d’accord avec les exécutifs qu’elles ont elle-même mises en place. Quoiqu’en pourraient en penser certains chroniqueurs, il n’y a pas d’autre solution car l’article 220 de la constitution, en son alinéa 2 stipule : « est formellement interdite, toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne ou de réduire les prérogatives des provinces et des entités territoriales décentralisées ». En d’autres termes, les prérogatives reconnues aux Assemblées provinciales sont aussi ‘’verrouillées’’ que le sont les autres matières à caractère intangibles comme le nombre de mandats présidentiels (alinéa 1er de l’article 220).
JN