Dans une communication faite à la presse à Beni lundi 2 décembre 2019, le porte-parole de l’état-major général des Forces armées de la RDC (FARDC), le général-major Léon-Richard Kasonga, avait annoncé que les forces gouvernementales ont, au cours de leur dernière offensive de grande envergure engagée à partir du 30 octobre 2019 à Beni, dans la province du Nord-Kivu, « neutralisé » près de 80 terroristes ougandais des Allied democratic forces (ADF). Une nouvelle confirmée par Aimé Ngoy Mukena, le ministre de la Défense invité avec le vice premier ministre Gilbert Kankonde à présenter un état de la situation sécuritaire à Beni devant une plénière chauffée à blanc de l’Assemblée nationale ce mercredi 4 décembre 2019. Le patron du ministère de la Défense a aussi confirmé que 4 des 6 « généraux » qui constituent la hiérarchie de ce mouvement terroriste actif dans l’Est de la RDC figurent parmi les 80 assaillants tués. De même que la reprise de Mayangose, grenier agricole du territoire rural de Beni et de la ville éponyme par les troupes loyalistes. « L’ensemble de Mayangose est à l’heure actuelle totalement et complètement libéré et sous le contrôle des Forces armées de la République Démocratique du Congo. Et donc, les 28.000 familles qui se livraient aux travaux des champs dans Mayangose pourront facilement y reprendre leurs activités », avait affirmé le général Kasonga deux jours auparavant. Il a néanmoins recommandé aux exploitants agricoles dans cette région d’attendre avant de regagner leurs pénates la fin des opérations de nettoyage en cours. « Il est nécessaire que les forces armées de la République ainsi que la police et les services spéciaux sécurisent totalement Mayangose avant d’y envisager la reprise des activités champêtres » avait-il prévenu.
Le correspondant du Maximum dans le grand Nord estime que la quasi-totalité des objectifs militaires que les FARDC se sont assignés ont été atteints. La mort des 4 chefs sur les 6 qui encadraient sur place les terroristes de l’ADF est considérée à cet égard comme un très important succès d’étape à cet égard. « En plus de la neutralisation définitive de 80 terroristes de l’ADF, nous avons appréhendé plusieurs dizaines d’autres ainsi que des Congolais qui leur servaient de supplétifs et de collaborateurs. Nos experts sont occupés actuellement à exploiter utilement les révélations qu’ils sont faites avant que la Justice militaire ne les prenne en charge », selon le porte-parole national des FARDC qui a également attribué cette victoire à la population de Beni qui, selon lui, doit continuer à collaborer avec son armée pour vaincre complètement les ennemis de la paix dans cette partie du territoire congolais.
Aussi bien le général Kasonga que le ministre Ngoy ont lourdement insisté sur le fait que c’est aux seules FARDC que l’on doit ces bonnes nouvelles pour les populations meurtries du grand Nord Kivu. Ce qui soulève une multitude de questions sur l’utilité et l’apport des casques bleus de la très coûteuse Mission de l’Organisation des Nations-Unies pour la stabilisation du Congo (Monusco) et de ses 17.000 hommes déployée depuis 20 ans dans le pays. « Nous sommes très préoccupés et inquiets de constater l’indolence affichée par la Monusco et nous comprenons la déception de nos compatriotes qui protestent contre leur attitude proche de l’indifférence ou de la non assistance à personnes en danger », commente sobrement un vieux prêtre de Beni. En effet, alors que les égorgeurs des ADF multiplient les assauts contre des populations congolaises inoffensives, les éléments de la Monusco donnent l’impression de se limiter à faire de l’observation et à prolonger d’interminables discussions avec les autorités congolaises autour des « bases de la stratégie de la mission pour la sécurité des populations de l’Est de la République Démocratique du Congo ». C’est le cas du tout dernier round de ces échanges tenus à Kinshasa entre le premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba avec une délégation de l’organisation mondiale conduite par le Français Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général chargé des opérations de maintien de la paix. Au cours de cette séance de travail, les deux hauts responsables, accompagnés chacun de leurs collaborateurs respectifs, se sont livrés une fois de plus à une réévaluation de la collaboration entre le gouvernement congolais et la Monusco en matière de sécurisation des populations dans la partie Est de la RDC, en proie à l’activisme ininterrompue depuis ces trois dernières décennies des terroristes ougandais des ADF.
Après que Jean pierre La Croix eut exprimé la solidarité d’Antonio Guteres, le numéro 1 des Nations-Unies à la suite des massacres des populations civiles dans l’Est de la RDC, le ministre congolais de la Défense Nationale, Aimé Ngoy Mukena, a rassuré les participants de la totale détermination de l’armée congolaise à avoir le dernier mot dans la guerre asymétrique que leur mènent les terroristes ADF. Il a, à cet égard rappelé sans révéler les stratégies opérationnelles adoptées sur le terrain que les forces loyalistes ont, malgré des moyens réduits, enregistré plusieurs victoires.
Marie Tumba Nzeza, la ministre d’État en charge des Affaires Étrangères et Innocent Bokele, le vice-ministre de l’Intérieur ainsi que quelques officiers supérieurs des FARDC et de la PNC assistaient aussi à cette séance de travail. Du côté des Nations-Unies, aux côtés de La Croix, se trouvaient l’Algérienne Leïla Zerrougui, la cheffe de la Monusco, Carlos Loitey, conseiller militaire du sous-secrétaire général chargé du Département des Opérations de Paix de l’ONU, François Grignon, un des adjoints de Zerrougui, le général Thierry Lion, Commandant intérimaire de la Force Monusco, Ugo Solinas, directeur adjoint de la Division de l’Afrique Centrale et Australe au secrétariat général de l’ONU, Saad Adoum assistant spécial de Lacroix et Daniel Palmer, assistant spécial de Leïla Zerrougui. Après cette séance de travail, Jean-Pierre Lacroix, a livré ses impressions au cours d’une conférence de presse. Il a réaffirmé l’importance du partenariat Monusco – Etat Congolais en souhaitant qu’il y ait une compréhension commune du problème de l’insécurité créée dans le Nord-Kivu par les terroristes ougandais des ADF qui endeuillent le Nord-Kivu, à l’Est de la RDC.
Evoquant les attaques contre la mission onusienne, il a, en réaction aux demandes pressantes des manifestants à Beni, Goma et Kinshasa de voir la Monusco quitter la RDC, rappelé que « les Congolais ne doivent pas se tromper d’ennemi car les vrais ennemis, sont les groupes armés qui attaquent et tuent la population ».
Il a livré une restitution de sa visite à Beni pour éclairer l’opinion publique au sujet des allégations et insinuations largement diffusées à l’encontre des casques bleus de la Monusco. «Quand on voit dans les réseaux sociaux que la Monusco travaille avec les ADF, j’ai envie de demander que l’on se souvienne qu’il n’ y a pas si longtemps, nous avons eu 16 morts et 50 blessés ; tués et blessés d’un seul coup au cours d’une attaque par des éléments ADF. Il y a aussi des choses que nous ne pouvons pas tolérer et je le dis sans méconnaître du tout la frustration, la tristesse et l’angoisse que peuvent ressentir les populations congolaises », affirme-t-il. Et de surenchérir : « il ne faut pas se tromper d’ennemis. Ceux qui sont l’ennemi, ce sont les groupes armés qui attaquent nos collègues de la riposte Ebola, les groupes qui attaquent nos collègues civils et militaires congolais ».
Ce à quoi un expert congolais proche du dossier rétorque en signalant « une forme de duplicité dans la communication des Nations-Unies. Il y a plus de trois ans maintenant, le gouvernement congolais de Joseph Kabila dans le cadre du dialogue stratégique avec la mission a tenté sans succès d’amener celle-ci à préparer son retrait et à reconfigurer son déploiement et à revisiter de fond en comble ses règles d’engagement en tenant compte de la réalité des défis sécuritaires concentrés dans deux sur les 145 entités territoriales du pays. Ils ont réservé une fin de non-recevoir à ces propositions évoquant le fait qu’ils ne s’en iraient que sur ordre du conseil de sécurité lorsque le pays serait démocratisé. Maintenant que des élections démocratiques ont eu lieu et que la population congolaise les pousse à quitter le pays, ils prétendent que seule une requête du gouvernement pourrait les amener à envisager toute nouvelle éventualité. C’est dire une chose et son contraire ».
Interrogé sur le dialogue stratégique entre la RDC et la mission qui se tient depuis plus de trois ans sans résultat, le diplomate onusien visiblement gêné a botté en touche en soulignant qu’à son point de vue, le partenariat qui existe à l’heure actuelle entre la Monusco et le Gouvernement est efficace dans plusieurs territoires. « Il n’y a aucune raison qu’il ne le soit pas aussi à l’Est du pays », a-t-il répondu. Avant d’ajouter doctement qu’à son avis, la solution de l’insécurité dans le grand Nord n’est pas militaire : « les canons et les bombardements ne régleront pas le problème. Il faut que nous ayons une même compréhension du problème des ADF et de la complexité de la question », estime-t-il. Pour La Croix, ces attaques contre la Monusco sont intolérables car elles font beaucoup de mal et ont des conséquences néfastes sur l’efficacité de la riposte à la maladie à virus Ebola.
Il y a, selon lui, des améliorations sensibles qui doivent être apportées à la manière de travailler. « Il n’y a pas de réponses simples au drame que vit l’Est de la RDC. A côté des efforts pour restreindre l’espace occupé par des groupes armés, il faut travailler avec la population pour améliorer leurs conditions de vie », a-t-il laissé entendre. En outre, il a exprimé sa solidarité et sa compassion à l’égard des victimes de ces dernières attaques. Beaucoup ne le croient plus en RDC où l’on a de plus en plus tendance à exiger le départ de la Monusco après une présence jugée aussi onéreuse qu’inutile au cours de ces 20 dernières années. « Le bilan de la mission onusienne est très mitigé », estime un activiste de la société civile du Nord-Kivu. «la Monusco est là mais on continue à nous tuer devant ses yeux. Qu’elle soit là ou non, ces terroristes vont continuer à nous massacrer. Il est préférable qu’elle ne soit pas là car c’est très frustrant que l’on nous tue sous sa barbe».
Ce message répété par de nombreux habitants du grand Nord et des autres entités congolaises envahi les travées des institutions nationales congolaises. Cela ne date pas d’hier : il y a trois ans, recevant une délégation des 15 membres du Conseil de sécurité, l’ancien président congolais Joseph Kabila avait établi un bilan très négatif des deux missions de l’ONU dans son pays, la première (Onuc) étant venue du temps de Lumumba en 1960 quelques jours après l’indépendance et l’actuelle 39 ans après en 1999. « Vous êtes venus ici pour la première fois en 1960 au nom de la démocratie mais c’est devant vous que les ennemis de la paix ont attrapé le premier ministre Lumumba, issu d’élections démocratiques et sont allés le tuer à Lubumbashi où se trouvait pourtant un de vos contingents. Aujourd’hui vous êtes là pour apporter à notre armée de l’eau et des boîtes de conserves comme si cela pouvait vraiment l’aider à remplir son devoir de sécuriser et stabiliser le pays » leur avait-il déclaré, sans cacher son amertume. Les faits lui donnent raison et les propos de Lacroix laissent croire que l’incommunicabilité persiste. « Ce que Monsieur Lacroix dit, c’est du déjà entendu », s’insurge à ce sujet un officier général des FARDC. « Pour mériter d’être prise au sérieux dans le chaudron de l’Est, l’ONU ferait mieux de revoir de fond en comble sa stratégie et proposer autre chose aux Congolais qui n’ont que faire de la comptabilité macabre dans laquelle elle semble se spécialiser, à l’exception de la brigade spéciale d’intervention composée de troupes sud-africaines, malawites et tanzaniennes. New-york serait bien inspiré de proposer une opération de type Artémis qui avait été menée par les forces françaises en Ituri en 2003. Ce serait aussi utile que concret », a-t-il ajouté.
J.N.