La lecture de « 20 ans de marche sur les œufs » du journaliste d’investigations Innocent Olenga réserve plusieurs surprises aux lecteurs. Dans sa préface, Tshivis Tshivuadi de Journalistes en Danger (JED) s’extasie devant ce livre plein d’histoires (au propre comme au figuré), où le journaliste se raconte : son parcours ; ses débuts dans la profession, ses aventures et mésaventures…en citant des noms, en donnant des dates et des lieux de ce qui aurait pu s’intituler : « Le parcours de combattant d’un Journaliste en danger ». Un livre ‘‘d’histoires’’ où il est lui-même, tour à tour : victime des exactions, témoin de l’histoire, et historien du présent…
Les dépositions du journaliste portent selon Tshivuadi sur deux décennies d’exercice journalistique dans le contexte déprimant et contraignant qui est le nôtre au Congo-Kinshasa depuis près d’un demi-siècle (…). Il rapporte des faits significatifs qui ont émaillé son étincelant itinéraire de chevalier de la plume et du micro, avec ferveur et sans fioritures devant la nation et la corporation, sans narcissisme et sans l’ambition de donner des leçons. « D’entrée de jeu, écrit-il, Innocent Olenga, comme tout professionnel, annonce les limites de ses ambitions en écrivant, dans son avant-propos : ‘’Ce livre est un souvenir que je lègue aux chercheurs sur la défense et la promotion de la liberté de la presse, aux passionnés de la lecture pour un plus de savoir sur l’exercice du métier de journaliste en République Démocratique du Congo, mais surtout aux jeunes et futurs journalistes qui embrasseront ce métier qui m’a pris presque la moitié de ma vie, à la date de la dernière touche de la rédaction de ce livre. Je suis convaincu que le contenu de ce livre leur servira des repères à certains égards’’. Ainsi donc, à la lumière de tous ces faits qu’il aligne avec intelligence, l’auteur nous offre des chroniques d’un métier difficile certes, souvent décourageant, mais lequel, pratiqué avec intelligence et abnégation, offre des grandes joies ». Le préfacier évoque Olenga, jeune diplômé d’Etat sorti d’une école commerciale, qui patiente depuis trois promotions pour entrer à la célèbre Ecole militaire des officiers de Kananga (EFO) et qui après le refus de ses parents, tâte du journalisme, dès 1995, sur insistance d’un ami ingénieur dans une station de radiodiffusion du Kasaï « Déjà là, alors qu’il cumule sa fonction de journaliste à la radio avec celle de correspondant » d’un journal de Kinshasa, l’Observateur, de l’intransigeant feu Mankenda Voka d’heureuse mémoire, il subit des intimidations. Pendant 5 ans, de 1995 à 2001, notre jeune reporter qu’on appelle « Kamajor », pour stigmatiser sa résistance contre le mal, développe les dispositions qui vont raffermir sa grandeur dans le métier : il exerce, par exemple, sa mémoire à retenir les numéros des plaques d’immatriculation de véhicules qui roulent à Kananga ! Par simple curiosité, dit-il. Cette curiosité et cette mémoire (lui permettent de) «pister en 1998, le véhicule étranger qui transporte le général Faustin Munene et un prisonnier relégué qui n’est autre que ‘’Muula Nkuasa’’ c’est-à-dire l’inoubliable Etienne Tshisekedi wa Mulumba, en route vers la relégation dans son village de Kabeya Kamuanga au Kasaï Oriental. Munene va terroriser le jeune journaliste ainsi que sa station ». Mais Innocent Olenga se signale aussi par bien d’autres qualités professionnelles : il entretient des rapports affables avec les autorités publiques, le vice-gouverneur Albert Mukandila Monji Mule, par exemple, élu au stade par acclamations, sous le régime de l’AFDL. Et puisqu’il respecte les champs opératoires des autres services de l’information et du renseignement, ceux-ci font confiance à son professionnalisme. « C’est ainsi qu’un agent de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR) l’informera du détournement de la paie des policiers en lui indiquant là où était caché la malle d’argent qui devait rejoindre Lubumbashi ! Son enquête va conduire à l’éviction du chef provincial de la police (…). Il sait aussi taire une information explosive pour ne pas brûler un Congo fragile et, au besoin prendre la tangente pour protéger la primeur informationnelle. Ainsi quand le gouverneur Lubaya injurie copieusement son adjoint Biselele, ‘Kamajor’ sait que dans les minutes qui suivent, les services risquent de lui confisquer ses dictaphones pour faire disparaître les traces de la violence verbale du gouverneur. La suite est connue : les attaques de Lubaya contre son adjoint vont faire les choux gras dans les médias nationaux » !
Olenga se dévoile aussi par un flair instinctif qui est la marque des bons journalistes. C’est lui qui a dénoncé les magouilles des agents de l’Agence Spéciale pour la Sécurité des Aéroports et Aérodromes (ASSAA) qui faisaient voyager des gens sans payer les billets d’avion et empochaient l’argent au détriment des transporteurs. Cela lui vaut quelques ennuis. « Paradoxalement, il va pourtant se réconcilier avec les inspecteurs de l’ASSAA qui ont fini par comprendre le bien-fondé de son métier et le font voyager vers Kinshasa, jeudi 4 janvier 2OO1, dans une Caravelle de la Compagnie Waltair sans billet et sans débourser un kopek ! ».Il atterrit à Kinshasa et entre à l’Institut Facultaire des Sciences de l’Information et de la Communication (IFASIC) où il décroche, quelques années plus tard, son diplôme avec distinction. L’expérience acquise sur terrain y est sûrement pour quelque chose. Alors commence la carrière ou l’aventure « Radio Okapi» qui constitue une carrière journalistique bien chargée. Ce livre rapporte les grands reportages menés par le secrétaire de rédaction Innocent Olenga à la radio onusienne. Mais il va plus loin et offre, de l’intérieur, un témoignage plein d’humour, où il met les proverbes du grand Congo à contribution pour affirmer sa sagesse et surtout masquer une grande désillusion sur une station pourtant censée être la meilleure école du Congo par son bassin de couverture, ses conditions de travail au standard international. Innocent Olenga aligne un certain nombre des faits pour mettre à nu cette désillusion: « il doit se débrouiller avec 117 dollars par jour à Kampala, à Munyonyo Hôtel où se déroulent les négociations de l’Etat congolais avec le M23 et où la chambre la moins chère est à 125 dollars! Alors qu’il est convaincu que, quelle que soit la sensibilité de l’information, le professionnalisme devrait primer. Il peine souvent à lier les exigences du métier là où pèse le poids du cinquième étage c’est-à-dire les pontes des Nations-Unies qui soumettent l’information à leurs propres intérêts lesquels ne sont pas toujours et forcément conciliables avec les exigences du métier d’informer ». Journaliste d’investigation, Innocent Olenga éclaire l’opinion nationale et internationale sur un des épisodes les plus troublants des années de pouvoir du quatrième président Congolais Joseph Kabila : l’affaire Armand Tungulu. On apprend ainsi sous sa plume que « ce Belge d’origine congolaise mort dans un cachot de l’ANR en 2013 où il avait été enfermé parce qu’accusé d’avoir caillassé le véhicule du président Joseph Kabila, aurait été victime d’une méprise ! Selon Innocent Olenga, Armand Tungulu était un kabiliste qui expliquait en Europe le programme des cinq chantiers de Joseph Kabila et qui était venu à Kinshasa dans l’espoir de récupérer sa fille adulte restée au pays. Ce jour-là il sortait de l’immeuble de la Maison Schengen et voulait traverser l’avenue de Libération (ex-avenue du 24 novembre) quand un policier l’en empêcha parce que le cortège du président Joseph Kabila allait passer. Tungulu résista et, ancien boxeur, distribua quelques coups de poings qui firent fuir le policier qui, en fuyant, avait jeté des pierres sur Armand Tungulu ! C’est quand celui-ci tenta de jeter aussi des pierres sur le policier qu’une meute d’agents de sécurité de l’escorte présidentielle s’en prit à lui ! La suite est connue !». Aujourd’hui, alors que le Congo-Kinshasa patauge encore dans les relents morbides des guerres interethniques et d’occupation à l’Est, Innocent pose un regard objectif sur ses reportages brûlants d’hier et pose quelques questions de brûlante actualité: « pourquoi a-t-on continué à négocier avec le mouvement rebelle pro-rwandais M23 alors que ce mouvement était battu militairement sur terrain par l’Armée congolaise ? Pourquoi les Plénipotentiaires de l’ONU, à l’instar de Mary Robinson, ont-ils continué à soutenir des dialogues qui ne valaient pas la peine pour la RDC, alors même que le trésor public devait débourser 500 dollars quotidiennement pour chaque participant aux pourparlers qu’il soit rebelle ou loyaliste ? ». Sa longue et riche carrière permettent à Olenga de devenir un véritable analyste politique qui essaie d’éclairer ses lecteurs sur la nébuleuse des groupes armés nationaux et étrangers qui écument l’Est de la RDC, qui constituent une menace sérieuse contre l’Etat rdcongolais.
H.O