Ce sont probablement les derniers soubresauts de la plateforme née à Genève en novembre 2018 et muée en plateforme politique en juin dernier à Bruxelles. Déchiré entre les partisans d’une opposition systématique au pouvoir FCC-CACH et adeptes d’une opposition démocratique et constructive, Lamuka semble devoir se diviser, au moins en deux groupes distincts et opposés. Les leaders Lamuka jouaient encore à l’unité de façade il y a quelques semaines, en publiant un communiqué commun à la faveur de l’élévation à la dignité cardinalice de l’archevêque de Kinshasa, le 5 octobre 2019. Il semblait alors que tous étaient d’accord pour se lancer à l’assaut de la rue et faire battre le pavé, notamment à l’occasion des marches projetées par le Comité de Coordination Laïc (CLC), un groupe de pression proche de l’archévêché catholique de Kinshasa.
Mais la désignation du porte-parole de l’opposition, une fonction stratégique définie par la constitution de la RDC, pourrait miner définitivement l’édifice Lamuka. Confortablement représenté au parlement avec 39 députés à l’Assemblée nationale, le MS-G7 (Mouvement Social – G7) et Pierre Lumbi ne cachent plus leurs ambitions pour un poste qui leur apporterait, outre une visibilité plus qu’évidente, les avantages et les honneurs dus à vice-premier ministre (au terme de la constitution). Une perspective qui n’arrange pas tout le monde. Particulièrement le candidat malheureux à la présidentielle 2018, Martin Fayulu Madidi. Un porte-parole de l’opposition autre que lui, c’est la fin d’un rêve pour le président de l’Ecidé et de la Dynamique pour la Vérité des Urnes (DVU), la nouvelle appellation de la petite plateforme Lamuka qui avait porté sa candidature à la présidentielle et le confortait encore dans la peau de ‘‘primus inter pares’’ dans l’opposition dont il n’a nullement hâte de se défaire.
Page à tourner
Au sein de Lamuka, la plupart des leaders sont d’avis que la page des élections de décembre 2018 à laquelle s’accroche Martin Fayulu comme à une bouée de sauvetage doit être tournée. La mutation de la plateforme créée pour soutenir une candidature unique qui a échoué en coalition visait précisément cet objectif, explique au Maximum une source proche de la présidence du MLC. Martin Fayulu, soutenu par Adolphe Muzito (jusque-là) et accessoirement par JeanPierre Bemba (29 députés à l’Assemblée nationale), n’entend pas lâcher le morceau qui lui a échu à Genève en novembre 2018.
A l’inverse du MS-G7 et de l’AMK-AL qui représentent ensemble 69 députés de l’opposition à l’Assemblée nationale qui estiment qu’il faut aller de l’avant parce qu’il y a un temps pour pleurer et un temps pour agir. Dans un communiqué signé par Dieudonné Bolengetenge, son secrétaire exécutif national, le MS a, tout en réaffirmant son appartenance à Lamuka, indiqué qu’il s’«inscrit dans la logique de l’opposition républicaine et constructive et suivra avec attention l’accomplissement des promesses du chef de l’Etat pour l’établissement d’un Etat de droit en RDC ».
Réaction de la DVU
La réaction au sein de la coalition bruxelloise ne s’est pas faite attendre. La DVU de Martin Fayulu a fait savoir dans une déclaration de Jean-Félix Senga et Mathieu Kalele qu’elle était opposé au principe de la désignation d’un porte-parole de l’opposition. Parce qu’on ne peut pas à la fois affirmer sa victoire aux élections du 30 décembre 2018 et en même temps se positionner dans l’opposition. « La Dynamique pour la Vérité des Urnes fustige cette imposture qui tend maladroitement à légitimer Monsieur Félix Tshilombo et dénonce énergiquement ce qu’elle considère comme une énième trahison dans les acteurs politiques congolais, un complot contre le peuple congolais pour enterrer définitivement sa volonté souveraine exprimée lors des élections du 30 décembre 2018 », lit-on dans ce communiqué qui qualifie de « traitres » Pierre Lumbi et le MS. Voire au-delà, Moïse Katumbi, un des 4 leaders demeurés encore dans la coalition.
Mercredi 16 octobre 2019 à Kinshasa, le dernier ministre Kabila des Relations avec le Parlement (et ministre a.i. des Sports jusqu’à la dernière finale de la coupe d’Afrique des Nations en Egypte), Jean-Pierre Lisanga Bonganga, a ajouté une couche à cette tendance résolument séparatiste de Lamuka. Juché désormais à la tête d’une structure de son cru dénommée « Congolais Telema», ce véritable feu follet de l’Opposition qui avait naguère traversé la rue avec armes et bagages le temps d’un mandat ministériel s’estime en droit d’interférer dans le dossier Lamuka et tranche : «Pour Congolais Telema, la question de l’interlocuteur attitré au niveau de Lamuka est déjà réglée par le caractère rotatif de la coordination du présidium. Par conséquent, parler en ce moment précis de la désignation d’un porte-parole de l’opposition en dehors de ce mécanisme est une trahison à l’égard du peuple Congolais et des autres leaders en général et, à l’égard de Martin Fayulu en particulier, qui symbolise la victoire du peuple aux élections du 30 décembre 2018», déclare-t-il à l’occasion d’un point de presse.
Pour les observateurs avisés, la voie est ainsi toute tracée pour une scission de Lamuka voire, une disparition pure et simple de la coalition politique née de la plateforme montée de bric et de broc en novembre dernier, pour couler Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe. « En fait, ce sont les poids-mouches qui s’en vont », souffle au Maximum une source au G7 de Moïse Katumbi, faisant allusion sans doute au fait que Martin Fayulu et Jean-Pierre Lisanga ne représentent quasiment rien dans le paysage électoral de la RDC.
Poids-mouches
Après trois législatives organisées depuis 2006, Martin Fayulu et son Ecidé (Engagement Citoyen pour le Développement) n’ont jamais réussi à aligner plus de 4 députés nationaux élus. Le choix porté en novembre dernier par un groupe de leaders (autrement plus importants que lui) sur lui comme candidat à la présidentielle de la DO (Dynamique de l’opposition) tenait davantage aux aptitudes de Fayulu « à faire du tshisekedisme sans Tshisekedi » qu’à son poids politique, reconnait-on aujourd’hui.
Son nouveau compère, Jean-Pierre Lisanga, n’a pas meilleure mine sur ce registre. Ancien mobutiste révélé à la Conférence Nationale Souveraine des années ’90, où il a fait partie des troupes rameutées pour faire échec au changement radical prôné par le défunt Etienne Tshisekedi, Lisanga Bonganga est devenu opposant à la faveur de la chute du Maréchal Mobutu, et s’est retrouvé dans les rangs des radicaux après avoir fait la prison pour distribution de tracts hostiles à Mzee Laurent-Désiré Kabila. Elu député national de Kinshasa avec un peu moins de 3.000 voix en 2006, le président de « Congolais Telema » n’a été réélu ni en 2011, ni en 2018, malgré sa proximité ostentatoire avec certains milieux catholiques de la capitale.
Fayulu et Lisanga partis de Lamuka, cela ne changerait pas grand’chose à l’équilibre général de la coalition, assure-t-on du côté du MS-G7 de Lumbi.
J.N