Selon des sources du Maximum, le président de la République est attendu à Bukavu dans les 7 jours qui suivent, soit vers le 8 octobre 2019. Au chef-lieu du Sud-Kivu, Félix Tshisekedi va inaugurer et encourager les travaux initiés par l’International Institute of Tropical Agriculture (IITA), un organisme de recherche appliquée en agriculture qui vise son intensification et son développement en Afrique.
Très intéressé par le potentiel agricole de la RDC, capable de nourrir toute l’Afrique, le président de la République voudrait à l’occasion de ce voyage à Bukavu, mettre l’accent sur la nécessité de faire de cette partie du pays un havre de prospérité agricole.
Ce sera la toute première visite de Félix Tshisekedi à Bukavu depuis son élection à la magistrature suprême fin décembre dernier. Elle devrait intervenir après son dernier séjour dans la ville collinaire qu’il a quittée le 9 décembre 2018 après une tournée électorale à Katana, Kavumu, Miti, Mudaka, Kabare, Bukavu, Nyangezi, Kamanyola, Luvungi, Mutare, Sange, Uvira, Walungu.
Mais Bukavu, ce ne sont pas seulement les activités encourageantes de l’IITA. Le chef-lieu du Sud-Kivu est ravagé par une régularité déconcertante d’incendies dévastateurs. A l’instar de celui du 11 septembre 2019, qui a vu plus de 200 habitations de Nyamugo, un quartier populaire de la commune de Kadutu, partir en fumée. C’était déjà le quatrième incendie en un peu plus d’un an, selon des statistiques qui sont loin d’être exhaustives.
Parce que le 1er juillet, deux mois plus tôt donc, un feu géant avait détruit plusieurs autres centaines d’habitations.
Incendies récurrents
Un autre incendie spectaculaire, qui a fait date à Bukavu, s’est produit le 27 décembre 2018 au quartier Nyakaliba en commune de Kadutu. Le feu qui avait embrasé plusieurs maisons avait tué 6 personnes d’une même famille, dont une grand’mère âgée de 60 ans.
Les déboires urbanistiques de Bukavu ne s’arrêtent pas là, loin s’en faut. Sur la route d’Uvira au quartier Ndendere (commune d’Ibanda), le 27 août dernier, en pleine journée (14 heures locales) un impressionnant éboulement de terre avait causé la mort de trois personnes qui étaient occupées à terrasser une parcelle située sur la colline qui surplombe les locaux de l’Office Congolais de Contrôle (OCC/ Bukavu).
Les constructions anarchiques, consécutives à la flambée de demandes de terres dans l’agglomération urbaine de Bukavu, elle-même due à l’insécurité régnante aussitôt quitté la ville et le centre des affaires, tel est le nœud gordien dans lequel se débattent les habitants de cette partie du pays. Que le président de la République ne saura sûrement pas escamoter.
Le 22 août dernier, la Société des Architectes du Congo (SAC), avait donné de la voix sur les drames récurrents du chef-lieu du Sud-Kivu, interpellant vigoureusement les autorités sur les risques qu’encourent leurs administrés du fait des constructions anarchiques et autres négligences dans le secteur du bâtiment. C’est qu’à Bukavu, « on en vient à vendre des parcelles verticales», rapporte un témoin interrogé par Le Maximum. Qui explique que « les parcelles, privées ou du domaine public de l’Etat, son multi morcellées, au point que certaines fosses septiques sont construites à même les rues faute de place ».
Ce dont conviennent les architectes réunis au sein du SAC, qui dénoncent l’existence des «… quartiers, bâtiments, salles des fêtes, stations-services, logements et autres équipements communautaires potentiellement à risques ». Constructions anarchiques
Dans les maisons bâties à la hâte, en bois, comme il en pousse allègrement dans les agglomérations de la partie Est du territoire de la RD Congo, l’enfer est si vite arrivé. Ce sont des habitations précaires qui ne sont séparées que par des petits couloirs permettant de circuler, à pied, entre-elles.
La ville amoureusement bâtie à flancs de collines par le colonisateur belge n’en avait pas prévu autant, et cela pose problème, naturellement. Un nostalgique de l’une des plus belles villes rd congolaises de l’époque (avec Likasi dans la province du Katanga) suffoque à la vue d’images présentant une meute de mères de familles, bidons jaunes entre les mains, se disputant une voie d’eau potable. «C’est inimaginable, tempête-t-il. J’ai grandi dans cette ville, et j’utilisais une salle de bain depuis ma naissance. Ce spectacle est insupportable ! ».
A Bukavu, tous affluent, des agglomérations et villages riverains. Sans doute pour goûter aux facilités de la vie citadine, mais également pour des raisons de sécurité. « Ici, ça tire dès qu’on s’éloigne de quelques km des lieux agglomérés et éclairés. Impossible de se rendre aux champs : milices, inciviques, déserteurs, tous armés, sont là qui attendent les imprudents». Conséquence: on accourt se mettre à l’abri là où la sécurité est assurée. Pas très loin des plus hautes autorités politico-administratives et militaires provinciales, donc. Surpopulation, insécurité Conséquence logique : il faut bien trouver où se loger. « A l’époque, on ne construisait pas comme on voulait. Les quartiers étaient lotis et pré-dessinés. On n’achetait moyennant un plan de construction avalisé par l’autorité. Ça ne pouvait donc être une habitation en bois, vous vous en doutez », explique cet ancien de Bukavu. C’est du lointain et nostalgique passé, désormais. Ici, quelques planches suffisent pour bâtir des abris pour femmes et enfants. Très vite. Même si, c’est connu, la région est sismique ! Les constructions en bois, c’est bien l’affaire de tous ces gagne-petits. Et, à Bukavu, dans ces quartiers à habitations érigées sur les flancs des collines, la saison pluvieuse n’est pas la meilleure de l’année. « Il déboule des torrents d’eau capable d’emporter tout vers … le lac », témoigne ce citadin, qui en parle comme s’il s’agissait d’un fait anodin.
Mais il y a les autres. Les nouveaux riches, hommes d’affaires, marchands prospères affublés du titre de commerçants, exploitants miniers, creuseurs de matières minérales. Aussitôt la première dizaine de milliers de dollars US gagnée, ils accourent vers la ville basse, à la recherche de terrain pour construire en matériaux durable. Ça fait bourgeois.
Seulement, des espaces à bâtir, à Bukavu comme dans la plupart des agglomérations de l’immense RD Congo, il n’en existe plus. Il faut donc les créer, miraculeusement, s’il le faut. Le miracle immobilier est rendu possible grâce à un enchevêtrement de réseaux maffieux qui ont trouvé dans la vente et le morcellement des parcelles déjà cadastrées, leur pain quotidien.
Ruée vers l’immobilier
A Bukavu, depuis des années, le secteur immobilier est des plus anarchiques. C’est la loi de la jungle. La maffia immobilière bukavienne a rongé et épuisé les propriétés relevant du domaine public. Il n’y a pas jusqu’aux camps militaires, dont le célèbre Camp Saïo, qui n’ait pas été re-loti. Tout au moins partiellement. « Ces gens ont même vendu le Mess des officiers de la ville », s’étrangle ce natif de la ville. Mais il n’y a pas que cet espace qui ait été re-loti et vendu, il y a aussi le terrain de l’Office Congolais de Contrôle (OCC), et tant d’autres … La ruée vers l’immobilier à Bukavu n’a même pas eu d’égard à l’endroit d’une propriété présidentielle, selon la presse.
Terrains et espaces relevant du domaine public épuisés, à Bukavu, on peut acheter, de gré ou de force, des propriétés privées. On les morcelle à l’infini : des terrains de 4 m x 4 sont quérables. Il suffit d’y construire, en hauteur. Dans Bukavu ainsi redessiné, les fosses septiques sont creusées à même le salon et enfouis sous les divans en cuir. Quitte à placer des tuyaux d’évacuation d’air et autres sur la rue, déplore-t-on. Il suffit de s’allier quelques autorités politiques ou judiciaires de la place et l’incontournable conservateur des titres immobiliers, sans oublier l’autorité politique suprême ici, le gouverneur de province.
Un certain Ibuka, procureur de la République à Bukavu, a ainsi sévi durant 3 ans, engageant la République sans que ses supérieurs ne se rendent compte que l’homme était un parfait faussaire et n’avait jamais entrepris d’études de droit nulle part au monde. Le gaillard a morcelé et vendu à tours de bras des terres à Bukavu, avant de disparaître dans la nature.
Il est vrai que dans les services de la conservation immobilière, le faussaire avait trouvé malfrats à sa taille, grâce à des complicités politiques. L’avant dernier conservateur des titres immobiliers, un agent de bureau de 2ème classe placé là par une ministre provinciale des affaires foncières ne valait pas un clou. Mais il était protégé. Au prix d’un conflit de compétence et d’autorité entre le gouvernement central qui avait nommé un « vrai » conservateur et l’autorité provinciale qui avait imposé son « client ».
Conséquence : Bukavu est anarchiquement redessiné. Les dégâts ne font que commencer, si Fatshi ne les arrête au plus tôt.
J.N.