«Changement de mentalité», «responsabilité», « le peuple d’abord», ces expressions ont constitué la quintessence du discours du chef de l’Etat, Félix Antoine Tshisekedi, le dimanche 8 septembre 2019 à la télé publique (RTNC) alors que l’affaire de 15 millions USD des pétroliers distributeurs tient en haleine l’opinion publique, inquiète de l’intégrité du nouvel ordre politique.
«La décote n’a pas bénéficié à l’Etat» selon le pré-rapport du patron de l’Inspection générale des Finances (IGF), Victor Batubenga à propos de 15 millions USD représentant une décote de 15 % dus à l’Etat sur le montant destiné à compenser le manque à gagner des entreprises pétrolières.
L’IGF entendait mener un audit comptable notamment du Comité de suivi des prix des produits pétroliers présidé par le ministre sortant de l’Economie dont un conseiller, avec le secrétaire général de ce ministère «sont comptables de USD 14.775.000 retirés au profit du Comité de suivi des prix des produits pétroliers », note-t-il. Le fait n’est pas nouveau.
Dans un ouvrage sur l’industrie pétrolière en RDC, l’expert José Bafala, un ancien de la Société congolaise des industries de raffinage (SOCIR) et de la SONAHYDROC, parle, en effet, « d’intérêts occultes croisés» qui s’enchevêtrent ou se neutralisent. Les contrats, les conventions, etc., bref, l’argent du pétrole a toujours emprunté des méandres.
Intérêts occultes croisés
En 2007, le député Bofassa Djema (opposition), avait posé au premier ministre Antoine Gizenga la question suivante : «où va l’argent du pétrole?». Le leader adulé des masses lumumbistes a, dans ses répliques, éludé subtilement la question devenue une énigme.
Un élu Ne Kongo, (feu) Kembukuswa qui y revint en colloque particulier avec le patriarche bandundois pour en avoir le cœur net, se fera dire à la Primature que l’argent du pétrole avait servi à payer la dette extérieure. Cela n’avait pas empêché que la RDC soit soumise à l’impitoyable cure de l’Initiative pays pauvre très endettée (IPPTE) pour éponger sa dette.
En 1960 déjà, le tout premier premier ministre, Patrice-Emery Lumumba, en avait fait les frais. Les pipelines qui approvisionnent la capitale depuis Ango-Ango au Kongo-central font, en effet, l’objet d’un contrat de cession de terre qui date de 1910 dont la propriété aurait dû revenir à l’Etat en 1960. Hélas, le système de régénération du pipeline a relégué la rétrocession au-delà de 2025 ! Rien ne rassure que dans six ans, le Congo-Kinshasa recouvrera la propriété de cette infrastructure.
La gestion du pétrole est si ténébreuse que la RDC aurait le plus officiellement du monde ‘‘oublié’’ de nommer un DGA à FINALOG, l’entreprise qui fait louer à la Société des entreprises pétrolières (SEP) les deux pipelines de 6’’qui vont de Ango-Ango sur quelques 339 Km avec une capacité combinée de 1.400.000m3/an. Et se ramifient en trois autres au niveau de Kinshasa. Curieusement, selon nos sources, salaires et autres avantages pécuniaires dus à ce DGA fantôme de FINALOG auraient toujours été versés.
Gestion ténébreuse
Il y a pratiquement six ans, dans une note datée du 10 octobre 2013, adressée à Augustin Matata Ponyo, alors premier ministre, Louise Munga Mesozi, ministre du Portefeuille, a déploré à propos de SEP, que « la partie privée invoque l’insuffisance des moyens financiers (…) explication que je considère comme un prétexte » avant d’exiger «un audit spécifique». En vain.
Que ce soit dans l’exploitation du brut ou la distribution des produits finis, l’Etat rd congolais a toujours été un « sleeping partner », pour reprendre l’expression du professeur Bafala. En clair, le pays est toujours saigné, sans doute avec la connivence de quelques décideurs. Contrats et conventions mal ficelés au détriment de l’Etat, distribution des combustibles au gré des entreprises commerciales, qui, il y a une année jour pour jour, avaient faussement laissé entendre que le pays était ‘‘à sec’’.
Le coulage des recettes a toujours été endémique dans le secteur pétrolier depuis les années Mobutu. La dernière affaire des 15 millions USD aura sans doute été la goutte d’eau de trop qui a fait couler le baril au sommet de l’Etat. Le directeur de cabinet du président aura beau se justifier dans des médias étrangers, dans une bonne partie de l’opinion publique nationale, les arrestations certes brèves des limiers de l’Inspection générale des finances, les anicroches de bric et de broc au ministère de l’Economie, à la Rawbank, etc., pour justifier certains mouvements de fonds restent autant des pièces à conviction d’une intention présumée de couvrir péculat et bakchich.
Coulage des recettes
Pour mémoire, les entreprises de distribution des produits pétroliers ENGEN DRC, COBIL, TOTAL, SOCIR, SPSA, SEPCONGO, GNPP, les banques RAWBANK et FBNBANK ainsi que la Direction générale des impôts (DGI) et la Direction générale des douanes et accises (DGDA) ont fait l’objet d’une mission de contrôle de l’IGF qui devait certifier le manque à gagner réclamé par les sociétés pétrolières de distribution au Trésor public, établir la répartition entre les sociétés pétrolières précitées du montant de 100 millions USD payés par le Trésor pour compenser le manque à gagner revendiqué ainsi que la décote de 15% appliqué sur ce montant; et, enfin, enquêter sur le bien-fondé des sommes réclamées avant de procéder, le cas échéant, à la récupération de tout paiement indu, notamment au regard des chiffres d’affaires déclarées par ces entreprises ainsi qu’aux charges déduites de leurs bénéfices imposables.
Quoique confrontée notamment à l’indisponibilité du ministre de l’Economie, président du Comité de suivi (seul habilité à mettre à la disposition de l’équipe de contrôle, les pièces justificatives de l’utilisation de la décote) et au refus de la Rawbank de produire les soubassements des retraits de fonds dans les comptes ayant logé la décote sans réquisition judiciaire, la commission de l’IGF a livré un rapport préliminaire, qui confirme l’existence de la demande d’une ligne de crédit de 100 millions USD à mettre à la disposition de la Banque centrale du Congo (BCC), pour le compte des sociétés pétrolières.
La demande a, en effet, été formulée par une lettre du ministre intérimaire de l’Economie référencée n°362/ CAB/MINET/ECONAT/ HYM/GYN/2019 du 16 mai 2019. Selon les banques précitées, les pétroliers distributeurs ont été servis : RAWBANK, Engen DRC (29.905.080 USD), Cobil SA (22.930.088 USD), Total (18.842.216 USD), SOCIR, 8.777.679 USD), GNPP (2.441.257 USD), SPSA COBIL (1.179.340 USD) et SEP-CONGO (15.924.296 USD).
Banques instruites
Le ministre a.i. de l’Economie a ensuite recommandé à la BCC d’instruire la RAWBANK et la FBNBANK de retenir à la source, une décote de 15% sur le montant octroyé à chaque société pétrolière et de virer cette décote respectivement dans le compte du Comité de suivi des prix des produits pétroliers et du ministère de l’Economie nationale ouverts à la Rawbank.
Mais en date du 10 mai 2019, le dircab du chef de l’Etat, avait déjà demandé par sa lettre n° 0957/05/2019 au DG de Rawbank de virer le montant de la décote au compte 01061555601- 27 «COMITE DE SUIVI PROGRAMME /PR » au lieu du compte habituel utilisé par le Comité de suivi des produits pétroliers.
L’IGF a souhaité poursuivre son enquête mais tout porte à croire qu’elle ne pourra pas aller plus loin. D’ailleurs un extrait de compte du Comité de suivi des prix des produits pétroliers circule dans des médias et fait les gorges chaudes de la presse globale et des réseaux sociaux avec moult détails des transactions effectuées par le Comité bénéficiaire du 1er janvier au 20 juillet 2019, comme pour nourrir le doute quant au fait que les 15 millions USD aient servi…au peuple.
Une affaire à suivre.
POLD LEVI MAWEJA K.