Dimanche noir à Mbau, bourgade située à une vingtaine de km de la ville de Beni sur la RN 4 Beni-Oicha. Autour de 20 h, dimanche 18 août 2019, des tirs soudain ont déclenché une débandade sans pareille lorsque les populations se sont lancées dans une fuite éperdue vers les localités avoisinantes sur la route de Matumbi. Des assaillants ADF venus de l’Est de Mbau affrontaient les FARDC en faction dans la localité. 3 personnes ont été tuées, dont 1 élément des forces loyalistes. 4 autres personnes ont été blessées, dont un nourrisson de 10 mois, décédé quelques heures plus tard. « Ces rebelles sont venus attaquer le village dans les heures vespérales. Ils ont surgi derrière le bureau du secteur de Beni-Mbau. Ils ont du coup exécuté un couple qui s’était déjà caché sous le lit. Ensuite un militaire FARDC a aussi trouvé la mort lors de la poursuite de ces rebelles » explique un journaliste actif dans la région, cité par la presse à Kinshasa. Comme d’habitude, les assaillants ont emporté plusieurs biens de valeur.
Lundi 19 août, l’attaque de la veille à Mbau a suscité plus que de l’émoi, à Mbau même et dans la région de Beni en général, aggravant le bilan des victimes de cette énième incursion meurtrière ADF dans la région. A Mbau, les activités ont été paralysées une grande partie de la journée en raison de barricades érigées par des jeunes en colère. Tout autant qu’à Oicha, un peu plus loin, où des manifestants exigeaient une plus grande implication des autorités pour régler les problèmes sécuritaires. Impossible de se rendre de Beni à Oïcha, la route étant bloquée à partir de l’aéroport de Mavivi à la sortie de la capitale administrative du Grand Nord Kivu, selon des opérateurs économiques dont les véhicules empruntant l’important axe routier se sont retrouvés bloqués. Manifestations insurrectionnelles coordonnées
A Oicha, la police venue rétablir l’ordre a rencontré la résistance des manifestants, et usé d’armes à feu. Des témoins font état d’au moins 3 morts par balles perdues lors de ces échauffourées, dont un jeune grièvement atteint au ventre et un pygmée fauché près de l’école primaire Mwangaza qui a succombé sur place. En représailles, les populations ont incendié l’habitation d’un agent de police du lieu au quartier Mbimbi.
A Beni et Butembo, les manifestations de lundi ont été organisées par des groupes dits de pression, comme cette association culturelle (en principe !) dénommée Véranda Mutsanga, de plus en plus politiquement engagée. Elle avait appelé, longtemps avant la conflagration de Mbau, à une ville morte pour protester contre les tueries des civils et … Ebola, dans le but de rappeler au président de la République sa promesse de restaurer la paix. Des sources locales rapportent qu’à Oicha, ce sont des activistes de cette Véranda Mutsanga qui ont affronté les forces de police. Ils avaient décrété une journée ville morte à Beni pour, soutiennent-ils, dénoncer le silence des autorités face aux maux qui assaillent la région. Des pneus ont été brûlés sur la chaussée et la ville morte s’est transformée en marche de colère dès les premières heures de la journée.
Responsabilités locales
Situation similaire à Butembo où des jeunes mobilisés par Véranda Mutsanga ont barricadé certaines avenues de la capitale économique du Grand Nord Kivu, notamment dans la commune de Bulengera, à Muthiri et à Mutsanga. « Nous organisons cette journée ville morte à Butembo, Beni et Lubero pour demander l’implication du chef de l’Etat dans la restauration de la paix à Beni mais aussi à Minembwe et à Djugu. Parce que ce n’est pas normal (…) C’est pour- quoi nous appelons le chef de l’Etat à prendre cette situation comme une urgence nationale », expliquait le week-end dernier, plusieurs heures avant l’attaque de Mbau donc, Chafi Musitu, un activiste de Véranda Mutsanga à Butembo.
En fait de journée ville morte, les manifestants ont attaqué les forces de police en lançant des projectiles contre leurs véhicules. Dans l’après-midi, lundi 19 août 2019, Véranda Mutsanga a annoncé l’interpellation de 10 manifestants par les forces de l’ordre à Mutsanga, Mutiri, Mukuna, Nziapanda, des coins de la ville qui se sont avérés particulièrement chauds en cette journée de début de semaine. Comme toujours dans cette partie de la province du Nord Kivu écumée par des groupes armés locaux et étrangers depuis plusieurs années, aucune allusion n’est faite aux responsabilités locales, pourtant de plus en plus avérées.
Au cours d’une récente attaque ADF à Kisima, à 30 km à l’Est de Beni sur la route de Kasindi, les assaillants ont déclaré être « venus chercher leur argent détenu par les commerçants locaux ». Cette information corrobore les conclusions des études sur les moyens de subsistance et l’extraordinaire vélocité des rebelles ougandais qui ont pris racine dans la région depuis la deuxième République. A Kisima où 2 civils avaient été tués le 5 août 2019, des maisons de commerce et du bétail ont été emportés et une trentaine de civils enlevés. Des rescapés ont rapporté des propos d’assaillants citant des commerçants de Kisima et Bulongo qui « travaillent avec leur argent, ils sont venus chercher leur argent auprès de ces commerçants ». Mais lorsque les groupes dits de pression de Beni et Butembo décrètent des journées de protestation, ils ne pipent mot sur ces responsabilités locales qui expliqueraient en partie les exactions vécues par les populations.
J.N.